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Ce que "casseur" veut dire. La figure de l'ennemi dans le discours politique

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par Pierre CHARTIER
Université de Bretagne Occidentale - Master 1 2017
  

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V.4. CONSTRUIRE L'ENNEMI, SE CONSTRUIRE SOI-MÊME

La construction de l'ennemi fabrique l'ethos discursif de celles/ceux qui le désignent comme tel. Cet ethos est composé de plusieurs traits constitutifs intrinsèquement liés aux locuteurs/locutrices : la Justice, la sévérité et l'exemplarité.

a) L'indépendance de la justice comme pilier des discours

Comme nous venons de le voir, la justice, comme fondement essentiel de la République, semble être un outil pour mettre un terme au conflit qui oppose l'État aux « casseurs ». Certains énoncés permettent d'affirmer le principe d'indépendance de la justice : « je ne m'attarderai pas sur l'enquête : il convient, en ces matières, de respecter rigoureusement la séparation des pouvoirs. » (Cazeneuve 19 mai : 03) ; « j'y donnais pour instructions [...] de travailler avec le procureur pour que la justice suive son cours en toute indépendance » (Cazeneuve 3 mai : 02) ou « je ne commente pas la chose jugée, je la respecte. Je ne cherche pas à faire pression sur les juges, ce qui, dans la responsabilité qui est la mienne, serait totalement inconvenant et contraire au principe de la séparation des pouvoirs. » (Cazeneuve 19 mai : 05). Cependant, comme le rappelle M. Edelman, le langage qui construit la signification de l'objet politique est « intrinsèquement discontinu et, en un certain sens, se mine lui-même » ( 1991: 33) car il attire indirectement l'attention sur ce qu'il dénonce (thèse et antithèse sont les deux faces d'une même pièce). Ce renversement, qui se double parfois en « auto-illusion », est très fréquent dans le langage politique : en déclarant que tel pays respecte les droits de l'Homme, cela fait écho à tous les éléments qui prouvent le contraire ; l'affirmation du « respect de la séparation des pouvoirs » invoque en palimpseste toutes les « affaires » où le pouvoir politique a influencé le pouvoir judiciaire.

b) Les promesses de sévérité

Ainsi, certains propos contredisent les déclarations précédentes, notamment lorsque les politiques « promettent » les sanctions les plus sévères ou fermes possibles (Cazeneuve 19 mai : 60-61 ; Valls 19 mai : 138, 259-261) ce qui, dans le cas d'une institution judiciaire indépendante du pouvoir politique, est problématique. La plupart des énoncés tels que « la justice passera pour chacun des auteurs de ces violences caractérisées » (Cazeneuve 03 mai : 37), « il faut agir, interpeller et faire en sorte [nous soulignons] que la justice [...]

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puisse condamner avec la plus grande fermeté » (Valls 19 mai : 69-70) ou « la justice doit passer particulièrement sévèrement » (ibid. : 138) semblent être en contradiction avec l'idée même d'indépendance de la justice puisque c'est le pouvoir politique qui donne des instructions de sévérité et de fermeté.

En nous appuyant sur la théorie des actes de langage de J. L. Austin, nous pouvons voir qu'au delà des actes locutoires92 qui appartiennent respectivement à la promesse (« la justice passera »), au conseil ou à l'avertissement selon l'interprétation du verbe falloir (« il faut agir [pour] que la justice puisse condamner ») et à la constatation (« la justice doit passer »), tous ces énoncés impliquent un acte illocutoire93 qui est promissif (engagement à condamner les coupables), exercitif (exhortation à passer à l'action) ou comportatif (devoir d'être sévère). Alors que hors contexte, ces énoncés seraient constatifs (au sens où ils ne font que constater des faits), le contexte d'énonciation, et particulièrement le statut social et institutionnel des énonciateurs/énonciatrices, nous permet d'analyser ces énoncés comme étant performatifs94. Cependant, à défaut de pouvoir démontrer qu'ils ont eu l'effet escompté, nous ne pouvons pas savoir s'il y a acte perlocutoire95. Nous pouvons aussi nous interroger sur l'intentionnalité des énonciateurs/énonciatrices : veulent-ils/elles vraiment influer sur le cours de la justice ? Tous les éléments que nous avons relevés jusque là, dans le fait d'affirmer « l'indépendance » de la justice ou de ne pas vouloir « faire pression sur les juges » (Cazeneuve 19 mai : 119-120), tendent à qualifier, selon la terminologie de J. L. Austin, ces actes de langage comme étant non-intentionnels96 (2010 : 117). Mais dans quelle mesure ces affirmations ne sont pas des « preuves de bonne foi » pour les récepteurs/réceptrices, à des fins persuasives ? Déjà, Aristote affirmait que la confiance en l'orateur/oratrice était « une force de persuasion [qui] doit naître du discours [et de la] probité éthique de l'orateur » (2007 : 45). Dans cette perspective, les affirmations de bonne foi cachent des intentions contraires, participant ainsi à la construction de l'ennemi en même temps que celle de l'ethos des politiques.

92. « Un acte de langage qui consiste simplement à produire des sons appartenant à un certain vocabulaire, organisés selon les prescriptions d'une certaine grammaire, et possédant une certaine signification. » (Austin 2010 : 138).

93. «Acte effectué en disant quelque chose, par opposition à l'acte de [sic] dire quelque chose » (ibid. : 113).

94. « Énonciations qui, abstraction faite de ce qu'elles sont vraies ou fausses, font [sic] quelque chose (et ne se contentent pas de la dire [sic]). Ce qui est ainsi produit est effectué en disant cette même chose, ou par le fait de la dire, ou des deux façons à la fois » (ibid. : 181).

95. « Un acte qui [...] produit quelque chose « PAR [sic] le fait » de dire. Ce qui est alors produit n'est pas nécessairement cela même que ce qu'on dit qu'on produit » (loc. cit.).

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c) Les principes : le cas de l'exemplarité face aux accusations de violences policières

L'utilisation de la justice et de son champ notionnel (État de droit, démocratie, etc.) est une arme idéologique qui permet de désigner et disqualifier l'ennemi mais aussi à se légitimer soi-même et son camp. La justice fait partie de ces « universaux » dans lesquels les politiques viennent puiser leur autorité et leur légitimité, c'est pourquoi le respect de ces « universaux » est un souci constant pour elles/eux. Ainsi, dans Cazeneuve 03 mai, l'item lexical « principe(s) » est utilisé à onze reprises. Si le ministre de l'Intérieur l'utilise avec un complément d'objet (de droit, constitutionnels, républicains, de proportionnalité), c'est qu'utilisé de façon autonome, son sens est bien trop vaste puisque selon le PLI (2017) un principe est une « règle définissant une manière type d'agir et correspondant le plus souvent à une prise de position morale ». Revendiquer l'importance de ces principes et les instituer comme ligne de conduite, c'est avant tout pour se placer du côté moral face à l'immoral. Cela permet aussi de dénoncer l'attitude de l'ennemi en insistant sur sa propre conduite qui serait irréprochable :

En même temps, ce qui fait la force, la fermeté, l'autorité de l'État lorsqu'il y a une situation difficile comme celle à laquelle nous sommes confrontés, c'est le respect rigoureux et scrupuleux de tous les principes de droit [nous soulignons] lorsque l'État agit car c'est dans la force du droit que l'État puise aussi son autorité. Je ne peux donc pas prendre de disposition qui ne soit pas en toute occasion conforme aux principes de droit (Cazeneuve 19 mai : 106-109).

La violence des « casseurs » et les « blessés » de la police

La notion d'exemplarité a particulièrement été utilisée pendant les manifestations contre la loi Travail suite aux nombreuses accusations de violences policières. En effet, si « les policiers de France sont ardemment et passionnément républicains » (Cazeneuve 14 juin : 17-18) et « exemplaires et magnifiques dans leurs missions » (Cazeneuve 19 mai : 243-244), il est inconcevable que ces mêmes policiers/policières puissent se livrer à des actes répréhensibles. D'autant plus que, comme le rappelle Manuel Valls, « elle [l'autorité de l'État] s'exprime aussi dans le maintien de l'ordre » (Valls 19 juin : 31), c'est-à-dire que les « violences policières » seraient la monstration de la violence de l'État. Ainsi, la classe politique a condamné ces accusations de violences policières maintes fois

96. J. L. Austin fait la distinction entre effets « intentionnel » et « non-intentionnel ». Le premier désigne la volonté du/de la locuteur/locutrice de produire un effet sans pour autant réussir ; le second caractérise l'effet produit sans, ou même contre, la volonté du/de la locuteur/locutrice.

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en rappelant à chaque fois « à quel point ils [les policiers] payent un lourd tribus pour assurer la sécurité des français » (Cazeneuve 14 juin : 15-16) ou en donnant le nombre de blessé-e-s dans leurs rangs. C'est d'ailleurs une des constantes de notre corpus qu'il nous faut analyser. Dans Hollande 17 mai, le président de la République déclare :

Là il y a un individu, hélas jeune, qui est mis en examen pour meurtre, ou tentative de meurtre, plus exactement, à l'égard d'un policier. Vous savez combien il y a de policiers qui ont été blessés ? 350 policiers qui ont été blessés depuis le début du mouvement. Il y a aussi, effectivement, eu des graves incidents qui ont pu toucher des jeunes qui n'avaient peut-être rien à voir avec ces casseurs (549-553).

En commençant par cet exemple, François Hollande contextualise la suite de ses paroles : Qui ? « Un jeune ». Quoi ? « Un meurtre ». Quand ? « Là ». À qui ? « Un policier ». En produisant deux effets, de la compassion pour le « policier » et de l'indignation contre le « jeune », le président de la République se situe clairement dans le pathos, dans le but « de se mettre lui-même, et mettre aussi le juge, dans un certain état d'esprit » (Aristote 2007 : 127). Puis il continue en annonçant le nombre de blessé-e-s dans les rangs de la police : « 350 », précédé par une question rhétorique qui a pour but argumentatif de fixer l'attention des coénonciateurs/coénonciatrices mais aussi de montrer son indignation. Cependant, le cas est semble-t-il assez rare pour le souligner, il évoque aussi « de graves incidents qui ont pu toucher des jeunes ». Il différencie les blessé-e-s puisque les modalisateurs qu'il utilise dénotent une incertitude que l'on ne retrouve pas lorsqu'il évoque les « 350 policiers » : « il y a aussi, effectivement, eu des graves incidents qui ont pu toucher des jeunes qui n'avaient peut-être rien à voir avec ces casseurs » [nous soulignons] n'a pas le même sens que : « il y a aussi eu de graves incidents qui ont touché des jeunes qui n'avaient rien à voir avec ces casseurs. » De plus, alors que les policiers « ont été blessés », ce qui dénote une volonté de les blesser, les « jeunes » ont pu être touché-e-s par des « incidents », c'est-à-dire selon le TLFi, par un « petit événement fortuit et imprévisible », très loin de la « tentative de meurtre », même si ces « incidents » sont qualifiés comme « graves ». Avec ce terme, François Hollande fait allusion à un étudiant rennais qui a perdu un oeil suite à un tir non-réglementaire de LBD (Lanceur de Balle de Défense) (Hollande 17 mai : 555).

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Différenciation entre « violences » et « maintien de l'ordre »

Ainsi, on oppose à la violence mortifère des « casseurs » des « graves incidents » ou un « accident meurtrier » (ibid. : 556) dus à l'exercice même du maintien de l'ordre. Le même processus est à l'oeuvre lorsque les politiques contrent les accusations de violences policières par le nombre de policiers et policières blessé-e-s et de « casseurs » interpellés (Cazeneuve 3 mai : 49-58 ; Cazeneuve 19 mai : 205-219 ; Cazeneuve 14 juin :146-154 ; El Khomri 16 septembre : 10-17). L'opposition faite en pratique des forces de l'ordre et des « casseurs » relève de l'opposition théorique entre violence légitime et violence illégitime. La première n'est d'ailleurs jamais caractérisée comme étant de la « violence » mais plutôt au travers d'un « lexique euphémisant : coercition, contrainte, force, etc... » (Braud 1993 : §2). Nous retrouvons notamment le lexème la force, toujours « nécessaire et proportionnée » (Cazeneuve 3 mai : 47 ; Cazeneuve 14 septembre : 157, 175), dont les formes substantivées sont nombreuses : forces (de l'ordre, de police, spécialisées, de sécurité, mobiles, municipales), ainsi que l'item lexical l'action (Cazeneuve 19 mai : 104), qu'elle soit publique (Cazeneuve 19 mai : 45), de nos services (Cazeneuve 3 mai : 67, 137 ; Cazeneuve 19 mai : 158) pour qualifier la violence.

Du point de vue étatique, il ne peut pas y avoir de « violences » policières puisque, comme le dit M. Weber : « depuis toujours les groupements politiques les plus divers [...] ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir » (1963 : 125). Les accusations de « violences policières » peuvent être perçues comme une remise en cause de la légitimité de leur groupe sur celui du groupe manifestant. La construction de l'image négative des « casseurs » a deux effets : celui de justifier l'action de la police et de diviser le groupe manifestant pour ainsi se trouver un ennemi commun. C'est en quelque sorte la mise en pratique de l'adage « diviser pour mieux régner ».

Légitimé la police en amalgamant « casseurs » et terroristes

La légitimité de la police dans les manifestations est défendue en créant un parallèle entre les heurts avec les « casseurs » et les actes terroristes qui ont frappé la capitale. En effet, la période des manifestations contre la loi Travail correspond aussi à la période où l'état d'urgence et le terrorisme étaient très présents dans le discours publics. Cet hasard du calendrier permet de mettre en valeur des ressemblances entre les discours sur le terrorisme

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et celui sur les « casseurs » :

Moi, je ne suis pas de ceux qui théorisent la consubstantialité de la violence à la police parce que je sais ce que les policiers et les gendarmes de France font actuellement pour assurer la protection des Français face à de multiples formes de radicalité violente dont certaines se sont exprimées à l'occasion des manifestations contre la loi Travail [nous soulignons] (Cazeneuve 14 septembre : 161-165)

Preuve que l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits, empêchant des actions violentes et des attentats sur notre sol (Cazeneuve 19 mai : 137138)

Mais renoncer à des manifestations sportives, à des manifestations culturelles, renoncer à des rassemblements de fête, c'est précisément renoncer non seulement face à la menace terroriste, mais face à la violence [nous soulignons]. Les maires des dix villes, et en l'occurrence pour ce qui concerne Paris, la maire de Paris, tiennent à ces manifestations. Il y aura aussi tous les moyens en termes de sécurité privée, ce sont plusieurs centaines d'agents de sécurité privés qui ont été recrutés pour assurer la sécurité. Mais abandonner l'idée même de la fête, de ces moments de rassemblement festif et populaire, ça serait renoncer face à cette violence inacceptable. Et les mots que nous venons d'entendre de la part de ces casseurs montrent qu'il n'y a qu'une seule réponse, celle de la fermeté, de l'autorité, de l'État de droit, et de la sanction (Valls 19 mai : 128-137)

Ces trois extraits font tous un lien, plus ou moins implicite, entre le terrorisme et les « casseurs ». Outre le contexte d'énonciation spécifique, le cotexte est très important puisque les trois discours dont sont tirés ces extraits portent tous sur la « menace terroriste » et « la prorogation de l'état d'urgence ». Ainsi, lorsque Bernard Cazeneuve parle de « multiples formes de radicalité violente dont certaines se sont exprimées à l'occasion des manifestations », le sous-entendu est que les autres « formes de radicalité violente » sont le terrorisme. De même dans le second extrait dans lequel il sépare « actions violentes » des « attentats ». Pourtant, qu'est-ce qu'un « attentat » à part une « action violente » ? Grâce au contexte, on comprend que le lexème « actions violentes » vise les « casseurs », mis discursivement sur le même pied d'égalité que les terroristes.

Manuel Valls n'utilise pas vraiment de sous-entendus lorsqu'il déclare que « renoncer à des manifestations sportives, [c'est] renoncer non seulement face à la menace terroriste, mais face à la violence. [...] Ça serait renoncer face à cette violence inacceptable. » S'il fait la même distinction que Bernard Cazeneuve entre terroristes et « casseurs », c'est pour mieux les comparer. Un politique se distingue des autres par la virulence des propos tenus, c'est Jean-Pierre Giran, député-maire Les Républicains, au micro de France-Bleu le 20 mai 2016 :

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Écoutez, moi j'ai été absolument scandalisé, stupéfié par les images de la voiture de police agressée dernièrement. Ce n'est plus une manifestation, ce ne sont même plus des casseurs, ce sont des tentatives de meurtres. Et je crois qu'il faut augmenter les capacités de réaction de la police, qui n'est pas une cible, qui n'est pas le « poulet rôti » promis à la mort par certains et il faut aussi avoir des sanctions beaucoup plus fortes. Honnêtement, il ne faut plus traiter ces casseurs comme de simples agités qui viennent dans une manifestation casser un abri-bus ou une vitrine. Il y a tentative de meurtre contre les gardiens de la République que sont la police nationale. Cela est intolérable parce que si on laisse faire, il n'y a plus de limite et il n'y a plus de société. [...] De mon point du vue, ce qu'il se passe là, c'est du terrorisme ! Ce sont des Daesh de l'intérieur ! Quelle est la signification de jeunes qui ne revendiquent rien d'ailleurs ? C'est pas sur la loi Travail, c'est pas sur l'emploi, c'est pas sur le chômage, c'est pas sur le revenu, c'est pas sur leur avenir ! Ils cassent du flic. Hé bien je crois que cette guerre qui est déclarée, il faut que la République la mène. Et vous savez, je suis parmi les députés, l'un des moins « sécuritaire », je comprends tout à fait les nécessités de la mixité sociale, de l'ouverture, de l'intégration mais là, c'est la République qui est attaquée et je crois que l'on n'a pas pris la mesure de ce qui s'est passé : voir une voiture de police, qui n'est pas en intervention, qui est simplement en circulation, qui se voit agressée, où on envoie un engin incendiaire à l'intérieur pour tuer les deux policiers, ce n'est plus acceptable. Alors il faut savoir qui sont ces jeunes, on le sait, c'est un groupe d'extrême-gauche... Ça ressemble, ça me rappelle les Brigades Rouges de l'époque que nous avons connues, ce sont des gens qui veulent détruire la République et la démocratie [...]et bien il faut s'y opposer.

On retrouve ici un condensé de tout ce qu'on a vu jusqu'alors : les « casseurs » sont des « jeunes » qui veulent tuer des policiers/policières désigné-e-s comme les « gardiens de la République ». Ils ne revendiquent rien car leurs intentions sont de détruire la République, la démocratie, la société. Mais le lien entre « casseurs » et « terroristes » est clairement établi lorsqu'il déclare : « c'est du terrorisme ! Ce sont des Daesh de l'intérieur ! » et plus loin « ça me rappelle les Brigades Rouges. » D'après nos recherches, aucun-e membre des forces de l'ordre n'est mort-e à l'occasion d'une manifestation au moins depuis la seconde guerre mondiale. C'est-à-dire que le terrorisme, qualifié « d'islamiste » ou « islamique » dans les médias, a tué plus de membres des forces de l'ordre en dix ans que les manifestations violentes en un siècle environ. La comparaison des deux n'est qu'un effet rhétorique de construction d'une image menaçante et dangereuse. Nous remarquons d'ailleurs que Jean-Pierre Giran déclare que « la guerre est déclarée », ce qui explique qu'il construit une image d'ennemi de l'intérieur, concept justement apparu lors de la guerre d'Algérie (Rigouste 2011). Cette notion d'ennemi de l'intérieur est d'ailleurs historiquement rattaché au racisme institutionnel, caractéristique présente dans le discours de Jean-Pierre Giran qui affirme qu'il est « parmi les députés, l'un des moins « sécuritaire », [et qu'il comprend] tout à fait les nécessités de la mixité sociale,

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de l'ouverture, de l'intégration ». Il fait ainsi un lien direct entre le terrorisme et l'immigration, reprenant à son compte des thèses de l'extrême-droite. En une déclaration, Jean-Pierre Giran fait d'une pierre deux coups : en les comparant à des « Daesh de l'intérieur », il frappe les « casseurs » du sceau de l'ignominie ; en présentant « les gardiens de la République » comme des victimes (« le « poulet rôti » promis à la mort par certains »), il rend inefficace les accusations de violences policières plutôt que de les nier.

Ces extraits s'analysent tous en terme de conflit en s'articulant autour de deux camps qui visent à détruire l'autre. Ainsi, les « casseurs » rejoignent la longue liste des « ennemis de l'intérieur », comme l'ont été les communistes et la « cinquième colonne » ou les « terroristes » qu'il faut traquer et éliminer à tout jamais. Il s'agirait donc bien d'une guerre, mais une guerre de civilisation puisque, comme le dit Bernard Cazeneuve :

J'aurais énormément de difficulté à considérer qu'il y a chez ces hordes sauvages quelque chose qui ressemble à de l'humanité ou, a fortiori, à un début d'idéal. Il n'y a derrière tout cela que de la violence, de la brutalité, et cela traduit un abandon de tous les principes d'humanisme qui sont le fondement de notre civilisation et des valeurs républicaines (Cazeneuve 19 mai : 69-73).

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle