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Ce que "casseur" veut dire. La figure de l'ennemi dans le discours politique

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par Pierre CHARTIER
Université de Bretagne Occidentale - Master 1 2017
  

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V.3. LA CONSTRUCTION DU CONFLIT

a) Mécanismes de construction de la figure de l'ennemi

Selon A. Fournier et M. Monroy, l'acte de désignation de l'ennemi est l'aboutissement d'une série de mesures qui visent la construction de la figure de l'ennemi :

L'image idéale de l'ennemi suppose qu'il se prête à la disqualification, qu'il ait pris l'initiative de séquences conflictuelles, qu'il soit responsable aux yeux de tous de fautes ou de dommages, qu'on puisse attendre de lui le pire et enfin qu'il soit coopérant à se couler dans ce moule (1997 : 56).

Nous retrouvons dans notre corpus toutes les caractéristiques énoncées précédemment. Tout d'abord, le fait « qu'il se prête à la disqualification » au travers des affrontements avec la police ou des slogans polémiques que les politiques relèvent : « un policier, une balle », « Policiers, la France vous hait » (Cazeneuve 14 juin : 27-29) ; « sur

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le pont d'Avignon, on pend tous les patrons » (Valls 19 mai : 330-331). L'affiche de la CGT contre les violences policières (« La police doit protéger les citoyens et non les frapper. Stop à la violence ») a beaucoup participé à la disqualification du syndicat par le gouvernement, jusqu'à être confondu parfois avec les « casseurs » (Baylet 3 mai : 174181 ; Valls 15 juin : 111-112, 127-130 ; Cazeneuve 3 mai : 62-63, Cazeneuve 19 mai : 325327 ; Cazeneuve 14 juin : 21-22). Nous retrouvons aussi la prise d'« initiative de séquences conflictuelles » dans Cazeneuve, 19 mai : « (...) des violences qui sont autant de provocations destinées à engendrer d'autres violences » (217-218), dans Valls 19 mai : « Quand on s'attaque, encore une fois, à des policiers, qu'on veut tuer des policiers, la justice doit passer particulièrement sévèrement » (120-121) mais aussi plus généralement dans le discours journalistique, comme nous l'avons vu dans notre première partie. Notre précédente sélection d'éditoriaux démontre que les « casseurs » seraient « responsable[s] aux yeux de tous de fautes ou de dommages », tout comme l'homogénéisation des discours politiques quant à la condamnation des violences. Le fait « qu'on puisse attendre de lui [l'ennemi] le pire » s'exprime très clairement dans plusieurs énoncés : « quand on fracasse une voiture de police, quand on y jette un fumigène, alors qu'il y a des fonctionnaires de police à l'intérieur, tout cela démontre incontestablement une volonté de nuire, de blesser, voire pire » (Valls 19 mai : 32-34), ou encore : « ces mouvements ultra-minoritaires, ultra-violents, qui sont dans la destruction, dans l'agression, et éventuellement même des actes de mort » (Touraine 19 mai : 70-72). Quant au fait d'être « coopérant à se couler dans ce moule », la présence réduite des discours des « casseurs » dans les médias va dans ce sens, d'autant plus que les rares paroles captées et/ou diffusées vont la plupart du temps dans le sens des discours politiques. Comme nous l'avons vu dans notre première partie, il faut sortir de la sphère des médias de masse* pour entendre ou lire des « casseurs », à quelques exceptions près89. Les banderoles sont tout autant un excellent moyen de diffuser un message et à ce titre, la banderole votée lors d'une AG de Rennes 2 disant « nous sommes tous des casseurs » pourrait être un exemple de cette coopération à « se couler dans le

89. Puisque notre sujet ne porte pas sur le discours des « casseurs », nous ne développerons pas davantage ce point. Cependant, nous pouvons indiquer deux références qui peuvent se montrer éclairantes quant aux motivations, idéaux et réflexions politiques des « casseurs » : le documentaire « Alors c'est qui les casseurs? » produit par le collectif Actividéo disponible sur la plateforme Youtube : URL : https://youtu.be/URAb-apeTj0 [consultée le 15 mai 2017] et un reportage diffusé dans l'émission « Envoyé Spécial » sur France 2 (qui est pourtant un média de masse)

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moule ».

b) Les valeurs communes : construction de l'opposition à l'ennemi

La disqualification dans un conflit a pour but de rassembler la communauté autour de valeurs communes pour qu'elle puisse faire corps face à cet ennemi. C'est pour cela que cet antagoniste doit être « radicalement différent de nous : laid et repoussant, [...] rendu éthiquement inacceptable pour les moeurs » (Fournier et Monroy 1997 : 59). La dénonciation des griefs participe aussi à la construction de l'ennemi puisque ce qui est reproché est ce qui n'est pas éthique90, ce qui n'est pas acceptable pour soi. On s'appuie sur les « universaux » (ibid. : 63), tels que la morale, la loi ou les dogmes, avec le double avantage qu'ils sont incontestables et qu'ils apportent une légitimité à « porter la parole » d'un « ordre social ou moral supérieur bafoué » (loc. cit.).

Le « nous » comme incarnation du camp républicain

Pour notre corpus, « l'ordre social supérieur bafoué » est la République, « l'État de droit », avec en corollaire la Loi et la Liberté. Lorsque Bernard Cazeneuve déclare : « à chaque fois que nous prenons des mesures de police administrative pour protéger le pays contre des casseurs [nous soulignons] et qu'il nous est possible d'interjeter appel, nous le faisons systématiquement » (Cazeneuve 19 mai : 411-413), il affirme qu'un « nous » protège « le pays », instance supérieure qui caractérise la communauté nationale et qui incarne les principes républicains contre les « casseurs » qui sont dans le rôle des envahisseurs, des agresseurs, de l'ennemi. De plus, le « nous » reprend cette idée de porteur de parole puisqu'en sa qualité de ministre de l'Intérieur, il pourrait utiliser le « je » comme il le fait ailleurs à de nombreuses reprises. Cet effacement discursif du « je » est au contraire l'affirmation discursive de l'appartenance de l'énonciateur/énonciatrice à l'un des deux camps en conflit, conflit matérialisé discursivement par l'utilisation d'un lexique spécifique. Manuel Valls utilise aussi ce levier idéologique lorsqu'il dit : «quand on fracasse une voiture de police, [...] cela démontre incontestablement une volonté de nuire, de blesser, voire pire, et c'est inacceptable, et l'État de droit est notre bien le plus précieux

90. La notion d'éthique, tout comme celle de responsabilité, est devenue fondamentale dans le discours politique puisqu'elle serait la réponse à la crise de la démocratie représentative. Elle crée une base sur laquelle la société peut se construire malgré son hétérogénéité. Sur cette notion, cf. Boisvert 2001 : 190200 et Koren 2008 : 28-39.

91. « L'inchoactif saisit le procès immédiatement à son début » (Riegel et al.2009 : 523).

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[nous soulignons], les sanctions doivent être donc implacables » (Valls 19 mai : 35-38). Le « donc » crée un lien de causalité qui lie « l'État de droit » et « les sanctions [...] implacables ». Il indique ainsi ce qu'il faut défendre des « casseurs », représentés par le « on », qui mettent en danger « notre bien le plus précieux ». Il y a encore le marqueur d'appartenance « notre » qui s'oppose à ce « on » indéfini. Le lien de causalité a aussi la fonction symbolique du retour à l'ordre : lorsque les sanctions seront prises et appliquées, cela voudra dire que l'État de droit est sauvé.

La justice qui passe

Cette idée de retour à l'ordre se retrouve aussi par la présence de constructions stéréotypées comme dans Cazeneuve 19 mai : « de manière à ce que le droit passe rapidement et avec la plus grande sévérité » (60-61), « un ministre de l'intérieur qui veut faire en sorte que le droit passe ne peut pas s'éloigner des principes de droit en faisant preuve de démagogie » (130-131), Cazeneuve 3 mai : « La justice passera pour chacun des auteurs de ces violences caractérisées » (37), Cazeneuve 14 juin : « je forme vraiment le voeu, je le dis solennellement, que la justice passe parce que cela suffit » (33-34), Valls 19 mai : « la justice doit passer particulièrement sévèrement » (138) [nous soulignons]. La justice semble être une sorte de remède, une finalité qui résoudrait le problème des « casseurs ». L'utilisation du verbe passer est intéressante puisque celui-ci est inchoatif91, ce qui sous-entend que le procès du verbe n'est pas commencé, notamment lorsque le verbe est conjugué au futur de l'indicatif, alors même que le gouvernement revendique de nombreuses arrestations ainsi qu'un certain nombre de condamnations (Cazeneuve 3 mai : 135 ; Cazeneuve 19 mai : 32-36 ; Touraine 19 mai : 38-39 ; Hollande 17 mai : 548549).

Finalement, toutes ces caractéristiques permettent de construire une image discursive des « casseurs » comme ennemis publics. Mais la construction de l'autre permet aussi de construire de façon contrastive sa propre image.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld