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La mise en scène de soi sur Tinder: entre l'originalité et le conformisme


par Geoffrey MILLE
Université de bourgogne - Master 2 Sociologie 2021
  

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C.Les usages et les représentations sexués

De nombreuses études ont démontré que les hommes ont davantage tendance à utiliser davantage ces services en ligne pour des rencontres ponctuelles que les femmes (Nadaud-Albertini, 2019 ; Bergström, 2019 ; Sumter et al. dans Ingram et Al. 2019). Parfois certains masquent leurs attentes pour faciliter les contacts avec la gent féminine pour éviter le stigmate attribué à un homme ayant soif de conquêtes sexuelles (Nadaud-Albertini (2019). Comme le dirait Kaufmann (2011), les daters dotés de l'esprit game, c'est-à-dire, ceux qui sont imprégnés par une logique de compétition cherchent l'accumulation de conquêtes afin de se constituer un statut auprès de leur sphère sociale (notamment masculine). Dans ce « sport fun », chacun à ses techniques et peu importe les moyens, la compétition prime avant tout. Reposant principalement sur un principe de non-engagement, pour être dans la course, ces « chasseurs sexuels» (g11) sont sens cesse dans l'auto-régulation de leur état émotionnel.

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Tout comme Bergström 2019, Nadaud-Albertini (2019) relève que, dans le flirt sur les applications de rencontre, les femmes se montrent réservées (passives dans la drague) et les hommes en sont les initiateurs (actifs). Cette tendance s'illustre notamment par l'envoi du premier message qui s'effectue très souvent par l'homme (Bergström, 2019).

À travers ces éléments rapportés ci-dessus, on retrouve la trame de séduction classique au sein des rencontres pour ces chercheurs (Bergström, 2016 ; Ward, 2016 ; Nadaud-Albertini, 2019). On retrouve la trame de séduction classique au sein des rencontres. Néanmoins, il faut rappeler que l'utilisation des caractères de la description n'est pas pleinement exploitée de manière générale. Selon l'étude de Lefebvre (2018), 74,4 % des utilisateurs avaient une description ayant une moyenne de 31, 75 caractères et 25,6 % n'en avaient pas rédigé. Ainsi, s'il existe une homogamie sociale sur Tinder, celle-ci doit donc s'opérer de manière globale par le biais des photographies.

Bergström (2019) nous donne une première ébauche d'une distinction de classe par les photos de profil en émettant le fait que les utilisateurs des classes les plus favorisées possèdent des photographies plus travaillées, de meilleure qualité et dotées d'une meilleure mise en scène que les usagers des classes défavorisées. Pour les personnes issues d'un milieu plus favorisé, les photos sont mobilisées pour illustrer en arrière-plan des voyages ou des passions. Chez les classes populaires, la photo est plus souvent un « selfie13 » où l'on aperçoit dans l'arrière-plan des éléments du foyer de vie (chambre, cuisine, salle de bain, etc....) (Bergström, 2019). Ainsi, si l'écrit présente traduit un rapport socialement contrasté à l'écrit, mais aussi à l'exposition de soi, il faut mettre à un point d'honneur à souligner que les photos témoignent aussi de clivages sociaux en sus qu'elles sont plus employées que l'expression textuelle sur Tinder.

Bien que l'on pourrait émettre l'hypothèse que les femmes mobilisent plus les photographies que les hommes, l'étude de Ingram et (Al. 2019) partant du postulat que les présentations de soi entre les genres diffèrent montre le contraire. Sur un échantillon de 300 profils, les femmes ont soumis une moyenne de 3,9 photos contre 4,3 photos pour les hommes.

13 Un « selfie » est une photographie où il figure en gros plan le visage de la personne.

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De plus, la liaison du compte Instagram au compte Tinder s'avère être assez similaire (39 % des femmes et 31 % des hommes ont lié à leur compte Instagram à Tinder) (Ibid.). En ce qui concerne l'utilisation de la liaison du compte Spotify, il est recensé une différence significative. En effet, 35 % des hommes disent avoir lié leur compte Spotify contre seulement 22 % des femmes.

Les photos des hommes ont présenté des caractéristiques moins communes aux deux genres. Chez les hommes, on retrouve plus de photos illustrant des activités sportives. On y voit également plus de photographies contenant des animaux de compagnie. Si les hommes utilisent plus les photographies, ils incluent aussi plus régulièrement une description verbale dans leur profil ainsi que leur cursus universitaire. On voit ici que sur les sites de rencontre, les hommes ont conscience que le capital culturel et économique à de l'importance dans leur niveau d'attractivité. Une distinction importante dans l'utilisation de la photographie se traduit par le fait que les photos du corps entier étaient propres aux profils féminins (Ingram et al. 2019). De plus, l'exposition du corps complet démontre que des informations visuelles comme le rapport taille-hanches semblent être importantes pour dans les stratégies sexuelles (ibid.).

Ainsi, selon les usages et les sexes, la présentation de soi se traduit sous des formes différentes. On s'aperçoit ici qu'il y a une distinction dans l'évaluation physique entre les femmes et les hommes sur les applications de rencontre, où les femmes sont évaluées par des parties distinctes du corps qui sont sexualisées tandis que les hommes sont évalués de manière holistique (Illouz, 2020). Comme nous avons pu le constater, certaines logiques sociales se réinventent sur les sites de rencontre comme le montre l'investissement des capitaux propres à l'attractivité de chacun des sexes. Néanmoins, la réaffirmation des tendances à l'homophilie et à l'homogamie sur les réseaux de l'amour reste des questions très discutées dans la littérature scientifique. C'est notamment le cas de l'assortatif éducatif qui pour Neyt et al. (2019) est en baisse depuis l'arrivée des applications de rencontre comme Tinder, ce qui impacte la répartition des revenus par foyers. Si pour certains, ces tendances se réinvestissent sur le marché de l'amour en ligne (Nadaud-Albertini, 2019 ; Bergström; 2019 ; Ward; 2016), pour d'autres (David et Cambre, 2020 ; Illouz, 2020 ; Kaufmann, 2011 ; Galligo, 2017 ; Neyt et al., 2019), des applications comme Tinder viennent situer les individus dans une logique de non-choix et braver les normes sociales.

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Si les styles de vie, les intérêts et les goûts sont constamment évalués comme des préférences chez un consommateur, ce sont des critères d'évaluation venant accentuer une logique de « non-choix ». Ainsi pour Illouz (2020, p.183), « Cette forme de non-choix transparaît dans ce que j'appelle le raffinement des goûts déstabilise l'habitus et rend la dynamique du choix fondamentalement instable. ». Nous pouvons aussi dire que certains facteurs comme la courte durée d'évaluation des profils et la faible moyenne de caractères des descriptions accentuent la perspective de non-choix et atténuent les moyens par lesquels la morale, les normes et logiques sociales se réinvestissent. Néanmoins, comme nous avons pu le voir ici, certaines normes et morales sociales se réinventent sous de nouvelles formes, mais elles semblent parfois être fragilisées. C'est notamment ce que Filter et Magyar (2017) ont pu illustrer avec le concept d'authenticité qui passe d'un état rigide à un état de fragilité et de maniabilité sur Tinder. Dans une société où l'identité singulière s'est démocratisée avec les industries culturelles et où il existe une émergence considérable de plateformes fortifiant ces notions de visibilité et de décontrôle (Granjon, 2014), les agents sociaux deviennent « à la fois plus tolérants et plus indifférents» (Ibid. : 11). La quête de singularité des sujets sociaux sur les applications de rencontre est bouleversée par « l'idée d'une interchangeabilité fonctionnelle des êtres » (Martuccelli, 2010, p.60). Dans une difficulté de faire reconnaître sa singularité, nous pensons que cette quête de singularité sur les applications de rencontre se transforme en une obsession de visibilité et d'originalité (ibid.). Ces plateformes de l'amour seraient donc à ce titre, un vecteur à la « crise identitaire » de ce siècle dans laquelle la singularité des individus est de plus en plus dissolue (ibid.).

S'inscrivant dans la perspective de Granjon (2014), les travaux de Filter et Magyar (2017) illustrent le fait que, comme sur les réseaux sociaux, il existe sur les applications de rencontre une grande tolérance face « aux débordements de soi» acquise plus par un apprentissage que par la permissivité des normes (Granjon, 2014). Cette « tolérance indifférente» (Wouters, dans ibid. : 10) sur le marché de la rencontre en ligne est pour nous une manière d'avilir les normes et les logiques sociales et de les rendre davantage flexibles dans l'optique de mouvoir au mieux sa singularité. C'est en quelque sorte une manière de s'ajuster au monde qui se justifie donc par plusieurs facteurs : la montée de la singularité (Martuccelli,2010) et sa fragilisation sur les sites de rencontre, l'absence de normes explicites (tout particulièrement sur Tinder). Nous pensons donc en conclusion que même si certaines normes se réinvestissent dans les applications de rencontre, elles régissent beaucoup moins les comportements sociaux que dans les rencontres traditionnelles.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle