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La mise en scène de soi sur Tinder: entre l'originalité et le conformisme


par Geoffrey MILLE
Université de bourgogne - Master 2 Sociologie 2021
  

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C.L'image et la sociologie

En explorant les profils Tinder qui se découpent en deux éléments : la description textuelle et les photographies, cette recherche s'inscrit dans le cadre d'une sociologie visuelle, car nous utilisons les images pour produire des données. À ses débuts, l'image était majoritairement utilisée avec des méthodes qualitatives dans la sphère sociologique anglo-saxonne. C'est à la fin du XXème siècle que des revues comme l'American Journal of Sociology publient des articles mobilisant l'image comme mode d'investigation bien qu'elle reste ne néanmoins qu'un support d'illustratif (Chauvin & Reix, 2015). Cette nouvelle forme de sociologie a comme pères fondateurs Douglas Harper et Howard Becker. À l'origine de l'intitulé « sociologie visuelle », Howard Becker met un point d'honneur à démontrer que c'est le contexte qui donne du sens aux images. Selon Becker (2001), le sens est le résultat de configurations, il évolue à travers le temps et l'espace. La mobilisation de l'image dans deux disciplines (l'anthropologie visuelle et la sociologie visuelle) a nécessité une distinction entre ces pratiques dont Harper en trace les frontières. Selon Harper (dans Chauvin & Reix, 2015), l'anthropologie visuelle serait animée par la production de données filmiques tandis que les sociologies visuelles mobiliseraient davantage la photographie. Rejoignant le point de vue de Harper, Howard Becker met un nouveau coup de marteau sur l'enclume en ancrant la sociologie visuelle dans la photographie documentaire américaine.

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Depuis cette époque, il existe dans le champ sociologique un débat de légitimation de l'image. L'utilisation de données visuelles comme méthode d'enquête subit un fort avilissement en raison de son « caractère frivole ». « [...] La photographie souffrirait d'un biais à la fois descriptiviste et subjectiviste dont la sociologie entend précisément s'affranchir par des approches «morphologiques» du social, donnant à voir des mécanismes causaux par l'examen des institutions (le droit en particulier) ou l'usage de méthodes statistiques» (Chauvin, P. & Reix, F, 2015 : 15). Pour de nombreux chercheurs, les données visuelles produites peinent à être exploitées en raison de l'absence de « guide méthodologique» justifiant leur construction. La démarche d'enquête serait selon eux davantage l'objet d'un bricolage.

La sociologie visuelle a été fortement associée à l'ethnographie visuelle où l'on fait majoritairement usage des méthodes qualitatives en raison de l'ancrage anglo-saxon de cette discipline autour d'Howard Becker et de Douglas Harper (ibid.). Néanmoins, comme Chauvin et Reix (2015) le démontrent, les données visuelles peuvent concorder avec des méthodes quantitatives. Les recherches de sociologie visuelle peuvent traiter quantitativement des données visuelles récoltées par le chercheur par le biais de support ou bien des données issues de l'observation quantitative produites par le chercheur lui-même. (Filion dans Chauvin et Reix 2015). Que ce soit aux États-Unis, où elle est pleinement institutionnalisée, ou en France, la sociologie visuelle reste tout de même jugée comme précaire. Bien accueillie dans l'univers pédagogique, elle subit de nombreuses critiques quant à sa légitimité scientifique. Cela est notamment dû à un usage des images non contrôlé qui les a délégitimées (Chauvin et Reix, 2015). Certains sociologues comme Lahire dans (ibid. : 43) vont illustrer « le statut ambigu de l'image dans l'interprétation pédagogique» bien que ce point de vue soit fondé sur l'absence de commentaires et de contextes assujettis aux photographies qui tend de manière caricaturale à faire paraître dans l'« image» une sorte de vérité qui se suffit à elle-même (Chauvin et Reix, 2015). Or, comme le mentionne Becker (2001, p. 339) : « Les photographies, comme tous les objets culturels, tirent leur sens du contexte. Même les tableaux ou les sculptures qui semblent exister isolément, accrochées au mur d'un musée, tirent leur sens d'un contexte, qui est fait de ce qui a été écrit à leur sujet, du cartel apposé à côté ou ailleurs, des autres objets visuels présents physiquement ou simplement dans la conscience des spectateurs, ou encore des discussions qui ont lieu à leur propos ».

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Rejoignant les idées de Becker, Chauvin et Reix (ibid.) affirment que pour parfaire une analyse de l'image et en dégager le sens, il est nécessaire d'opérer sans cesse « un travail d'articulation entre texte et image afin de préciser le sens des données visuelles utilisées par le chercheur et de restituer leur contexte de production, condition fondamentale d'un usage «scientifique» des images» (Prosser, Stanczak dans Chauvin & Reix, 2015 : 43).

En sociologie, l'observation, l'analyse et l'interprétation sont trois étapes qui permettent de se rapprocher d'un objectif de compréhension du monde social inhérent à la sociologie (Gucht, 2017). Ainsi, comme dans toute investigation sociologique, la sociologie visuelle mobilise un regard sociologique. Celui-ci est une manière d'interroger le monde social, mais nécessite un cadrage de la réalité sociale, une distinction entre le visible et l'invisible, entre ce qui mérite ou non d'exister à travers notre regard (ibid.). Il convient donc à l'observateur de neutraliser au plus possible les effets de sa subjectivité, c'est-à-dire, ces croyances, idées, et stéréotypes. Malgré tout, travailler à partir de l'image implique une certaine représentation du chercheur et de ses préjugés inconscients (Clément, 2017). Analyser l'image, c'est donc tout d'abord définir ce qui mérite d'être vu ou non et d'en justifier les raisons. Il existe différents usages de l'image dans la sociologie visuelle qui viennent se classifier dans trois disciplines : la sociologie de l'image, par ou avec l'image et enfin, la sociologie en image. La sociologie de l'image se rapproche de la sémiologie dans le fait qu'elle est en quête de sens à travers une interprétation. Elle permet de dégager des liaisons entre le processus de construction des images et le monde social qui les modélise et en définit les interprétations. La sociologie en image mobilise majoritairement l'image à des fins pédagogiques que ce soit dans les manuels de sociologie, dans des cours d'université, etc. En outre, elle participe à la vulgarisation scientifique (Gucht, 2017) et facilite à la compréhension d'auteurs. « La sociologie en image est ainsi particulièrement bien représentée lorsqu'il s'agit de restituer et de communiquer des résultats d'une recherche ainsi «mise en image» et «portée à l'écran» ». (ibid., p.68).

Au coeur de notre analyse, la sociologie avec l'image (Faccioli et Losacco, dans Locosacco, 2007) ou par l'image (Gucht, 2017) par du postulat que nous puissions exercer une sociologie en « faisant l'expérience du monde par et avec les images» (ibid., p.68). Dans cette sociologie, l'image devient un outil de recherche (Maresca et Meyer dans ibid.), elle est utilisée comme un instrument pour obtenir des informations et analyser la réalité sociale (Losacco, 2007).

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Comme l'illustre Becker, l'image n'a aucune signification par rapport à son objet d'étude si celle-ci n'est pas accompagnée d'une légende et d'un commentaire mettant en valeur ce que l'on voit sur les photographies. Il est nécessaire d'apporter une précision du contexte en inscrivant des données facilitant une compréhension explicite de l'image au plus possible (au niveau du cadre, de la mise en relation des images entre elles, etc..). Faire de la sociologie visuelle, c'est faire la jonction entre deux disciplines complémentaires : la sociologie et le documentaire photographique dans l'optique d'explorer la réalité sociale par le biais d'un argumentaire construit sur l'image (Gucht, 2017). En outre, la sociologie par l'image requiert « un protocole de recherche fondé sur une épistémologie sociologique ». (Ibid., p.118). À l'effigie de toute sociologie, la sociologie visuelle implique la création d'un cadre théorique permettant d'établir un point de vue sur la manière dont nous allons porter du sens à la réalité sociale.

Nous pouvons tout d'abord apporter quelques précisions au sujet du contexte. En effet, la sociologie par l'image que nous mobilisons ici interfère avec le monde numérique qui en bouleverse les caractéristiques et les usages. Harper dans (Losacco, 2007) nous présente différentes dimensions sur les bouleversements sociaux de la « numérisation de la vision» (Losacco, 2007 : 2). Il relève quatre dimensions, celle du partage, de l'économie et de l'autonomie et enfin, la multimédialité. À travers la dimension du partage, Harper dans (ibid.,) met en avant le fait que l'accessibilité à l'image par les plateformes d'internet permet aux chercheurs de recueillir des images spécifiques à son enquête et lui donne l'opportunité d'entrer directement en contact avec l'auteur. Deuxièmement, les dimensions de l'économie et de l'autonomie traduisent le fait que les structures du « web » peuvent contenir une grande quantité d'images gérables par l'utilisateur dont il est libre de régir à sa guise par l'autonomie que les structures hypertextuelles confèrent. Enfin, il faut prendre en compte l'une des caractéristiques les plus importantes et centrales pour cette recherche, la « multimédialité ». Ce terme désigne le fait que l'image soit accompagnée de champs textuels ou verbaux. L'image étant devenue de plus en plus flexible par le biais du multimédia, il existe dorénavant des techniques visuelles qui « [...] doivent être considérées non seulement comme des instruments, mais comme de véritables éléments de transformation du rapport entre les sujets et les images» Losacco (2007 : 6). Pour conclure, l'image dans l'ère numérique n'est plus une expression spontanée, elle est construite, sans cesse remodelée et intégrée dans une forme de « socialisation en ligne» où elle est l'extension du corps de l'individu et lui confère de la visibilité.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire