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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. L'ambitieuse

Tiberius Claudius Nero était bien plus âgé que Livie, qui n'avait que quinze ans quand elle l'épousa. Il est fort probable que leur mariage, célébré en 45 av. J.-C., avait été arrangé par les ambitions de la mariée adolescente, une ambition devenue une passion qu'elle démontra tout au long de sa vie, et dont la beauté et la vertu lui servirent d'instruments.794

On garde de Livie l'image d'une ambitieuse, prête à tout pour accéder à ce qu'elle désirait. De ses jalousies et par le destin de son fils, privé un par un de tous ses rivaux, des soupçons sont nés autour de sa personne : ses ambitions ont-elles été servies par le crime, par l'assassinat de tout individu se mettant sur son chemin ?

Il est vrai que bien des rivaux de Tibère sont morts dans des conditions suspectes : Marcellus de maladie à dix-neuf ans, Drusus de gangrène après une chute de cheval, Lucius dans un naufrage, Caius dans des conditions similaires à celles causant la mort de Marcellus et Germanicus par un procédé sur lequel nous nous sommes déjà étendus - n'oublions pas également l'assassinat de Postumus795. Tous ces hommes avaient la prétention de concurrencer le fils de Livie, et il est

790. Lyasse 2011, p. 128-129

791. Siliato 2007, p. 157

792. Massie 1998, p. 234-235

793. Ibid., p. 266

794. Maranon 1956, p. 25

795. La maladie d'Agrippa peut aussi prêter à suspicion, mais elle est moins souvent citée : il était bien plus âgé que

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plausible qu'elle les ait fait disparaître pour le profit de Tibère. On va parfois même jusqu'à l'accuser d'avoir empoisonné Auguste pour précipiter la succession. Tibère est quelquefois associé aux crimes présumés de sa mère. C. Beulé n'y croît guère : Livie n'avait pas besoin d'impliquer son fils pour agir, et un échec aurait condamné celui-là même qu'elle voulait promouvoir796.

Lidia Storoni Mazzolani remet en question la responsabilité de Livie dans les morts qui lui sont attribuées. Le même propos est souvent présenté dans l'Histoire et n'est souvent qu'un poncif destiné à attenter à la mémoire des femmes honnies. En plus du cas analogue d'Agrippine, elle cite celui de Tanaquil, femme de Tarquin, favorisant son gendre Servius Tullius et de Plotine, femme de Trajan, ayant caché la mort de son mari afin qu'Hadrien lui succède sans heurts. Dans les faits, ce sont des « inventions inévitables quand la légitimité d'une succession est contestée797». Du moins, l'image est ancrée dans les mémoires, et Livie reste la criminelle de ce début de dynastie. En témoigne la tragédie de Pellegrin :

LIVIE.
Ta gloire I Ah I Souviens-toy combien le rang suprême
A fait verser de sang à Livie, à toy-même.
J'ay commencé l'ouvrage ; et je cours l'achever.
Au trône, malgré toy, je prétens t'élever.
Dussay-je m'immoler de nouvelles victimes,
Non, je ne perdrai point le fruit de tant de crimes.

A défaut d'user de la force, Livie est rusée. Ainsi se sert elle de la manipulation. Nous citions préalablement son influence sur le règne de Tibère, mais elle fut aussi accusée de se servir d'Auguste pour faire du principat une tyrannie. Usant de ses charmes, elle faisait du maître de Rome son instrument, se servant de lui comme elle le souhaitait. On lui attribue notamment le mariage de Tibère et Julie. Ainsi, dans les Dames du Palatin, elle feint la complicité avec la fille du prince pour la pousser à accepter ce mari : elle le présente comme la solution à ses problèmes, assurant son avenir et celui de ses enfants, et un substitut appréciable aux prétendants arrogants qui la harcèlent pour qu'elle accepte de les élever à la dignité princière798. La série Moi Claude, empereur présente Livie comme un personnage majeur de la succession impériale. Interprétée par Sian Philips, elle travaille pour mettre Tibère au pouvoir. Dès le premier épisode, consacré à l'époque où Marcellus était le successeur, elle s'efforce de promouvoir son fils, quelles que soient les méthodes à employer.

les autres victimes présumées de Livie.

796. Beulé 1868, p. 166

797. Storoni Mazzolani 1986, p. 131-132

798. Franceschini 2000, p. 225-226

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Tout d'abord, elle s'entretient avec Julie, la poussant à révéler qu'elle envie Tibère et Vipsania pour leur mariage heureux et qu'elle en était amoureuse quand elle était adolescente. Elle empoisonne ensuite Marcellus, feignant de rester à son chevet, et guette la réaction de Julie. La voyant inconsolable, Livie charge Tibère de la consoler, mais il n'y montre aucun enthousiasme : il a précédemment établi qu'il n'éprouve aucun attrait pour elle et qu'il n'en voudrait pas, même nue accrochée au plafond de sa chambre. Plus tard, observant les débauches de Julie, elle corrompt l'un de ses amants, un ami de Lucius, pour qu'il établisse une liste des hommes impliqués dans les tromperies de la fille du prince, ce afin de la disgracier aux yeux de son père. Elle empoisonne ensuite Auguste : celui-ci, trop affaibli par la maladie, ne peut se défendre face aux reproches de Livie et meurt durant le monologue.

Mais aussi méprisable que soit Livie, qui se montre également odieuse envers le bègue Claude, elle a droit à une réhabilitation partielle. Voyant sa mort approcher, elle désire être divinisée, non par ambition, mais par peur de la vie après la mort : si elle n'est pas faite déesse, elle pourrira pour ses crimes, même justifiés. Les prédictions nommant Caligula et Claude empereurs, elle se rapproche d'eux, le premier par la licence (c'est un pervers qui s'amuse à l'embrasser et la caresser lascivement), le second par l'honnêteté. Si elle n'affichait que mépris pour son petit-fils, elle avoue avoir toujours su qu'il n'était pas aussi idiot qu'il voulait le montrer. La seule condition qu'exige Claude pour la diviniser est qu'elle dise la vérité sur les morts de la famille : elle confesse tous les meurtres, sauf ceux de Drusus et Germanicus, tout en précisant qu'elle n'aurait pas hésiter à les perpétrer s'ils avaient vécu plus longtemps. Elle meurt à la fin de l'épisode, et les deux prétendants vont la voir chacun leur tour. Caligula la trahit, disant qu'il deviendra dieu lui même et qu'il la regardera souffrir en enfer. Claude reste loyal, malgré son désamour pour elle, car il a compris qu'elle était sincère dans son envie de protéger Rome : des années plus tard, il la fait diviniser.

Le personnage suit ce même rôle dans Imperium Augustus. Interprétée par Charlotte Rampling, Livie est une femme aigrie qui déteste Gaius et Lucius et pousse son fils à épouser une femme qu'il méprise. Tibère lui-même est outré par son ambition : elle menace à mots couverts de tuer les petits-enfants d'Auguste qui sont « encore faibles » - motif qui pousse Julie à accepter le mariage afin que ses fils soient protégés. Dans la dernière scène du film, Auguste est mourant. Livie lui demande le pardon, sous-entendant qu'elle l'a empoisonné. Il ne lui en tient aucune rancoeur, puisqu'il sait qu'elle a fait ce qu'elle estimait être la bonne solution. Leur amour a évolué, n'étant plus la passion d'autrefois, mais il existe toujours, même en cette dernière heure.

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Dans le roman Poison et Volupté, Livie supporte mal de voir Caligula outrager tous les principes moraux. Ses crimes ne lui ont apporté que de la peine, et elle se sent salie au vu des résultats :

Livie soupira. Elle n'avait jamais trouvé la moindre délectation malsaine à user du poison et l'avait fait à contrecoeur.
Elle avait sincèrement pleuré Marcellus, Caius, pour lesquels elle avait de l'affection. Elle n'avait pas eu à jouer la
comédie quand il fallait consoler Auguste de la perte de deux qu'elle lui avait arrachés. Sa conscience ne la tourmentait
pas ; il n'existait aucun autre moyen de faire triompher les Claude et de porter Tibère à l'empire. Et voici que son fils,
qui ne lui adressait plus la parole, la condamnait à voir chaque jour un pervers incestueux franchir son seuil, souiller
son laraire et son buste de la Pudeur ! Elle était décidée à faire bon visage à l'intrus, mais ne savait pas encore quel
parti elle tirerait de cette épreuve799.

Livie, par l'étude de la psychologie, peut-être ainsi réhabilitée : celle qu'on présentait comme une ambitieuse sans scrupules aurait agi par amour maternel envers un fils qui manquait d'esprit de décision. En agissant à sa place, elle se condamnait à vivre dans le scrupule tout en restant fière d'avoir servi les intérêts de Tibère. Quand il l'abandonna, elle se serait rendu compte de l'horreur de ses actes et ses dernières années lui furent une torture morale.

Quand bien même son pouvoir à sa mort n'était plus du qu'au respect du à sa fonction et à sa famille, et qu'elle n'avait plus de rôle politique à jouer depuis que son fils l'avait laissée seule, son décès peut être vu comme un des déclencheurs des « années noires » du règne de Tibère. Pour Villemain, notamment, cette mort « parut enlever une dernière protection aux Romains », désormais privés du dernier symbole vivant de l'époque « bénie » d'Auguste et livrés aux ambitions perverses de Séjan800. Peut-être aussi son existence protégeait Rome de Tibère : morte, elle cessait de protéger sa descendance, qui comprenait les enfants de Germanicus. Sans sa protection, Tibère pouvait les détruire sans pitié801. Enfin, elle représentait le dernier rempart entre Tibère et le principat tyrannique assumé. Sans elle pour lui disputer le pouvoir, il pouvait cesser de dissimuler son ressentiment et ce sont des années de colère refoulée qui s'abattent brutalement sur Rome. Pour reprendre le propos exact de Beulé : Livie a été une digue pour Tibère, mais une digue purement physique; elle

n'a pas apaisé les flots, elle leur a fait obstacle; elle les a fortifiés, refoulés, accumulés, de sorte qu'ils grondent, prêts à s'élancer plus impétueux et plus terribles802. A compter de ce jour, Rome découvrait le véritable Tibère, celui que le ressentiment avait détruit et qui comptait leur faire payer les humiliations subies803.

799. Franceschini 2001, p. 278

800. Villemain 1849, p. 84

801. Caratini 2002, p. 251

802. Beulé 1868, p. 261-262

803. Ibid., p. 283

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En conclusion, citons le bilan de la vie de Livie selon Charles Beulé, un résumé faisant de ses crimes la base de la tyrannie que devait devenir le principat. Par ses actions ambitieuses, elle aura

perverti le régime et a pavé la voie aux despotes à venir : C'est ainsi que s'éteignit, à quatre-vingt-six ans, cette femme funeste à la famille d'Auguste, plus funeste à la chose publique. (...) C'est elle véritablement qui, par son action occulte sur Auguste et son influence déclarée sur Tibère, a contribué à ériger en système cette confiscation lente et progressive de toutes les forces d'un peuple au profit d'un seul homme. En fondant l'empire, elle a préparé l'impunité à toutes les folies et frayé la voie à tous les monstres qui ont succédé à son mari et à son fils. Elle a été leur génie, elle a été la furie de l'État804.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon