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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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III - Livie, la mère qui n'aimait pas son enfant

a. Rapports mère/fils

En plus des deux épouses de Tibère, il y eut une troisième femme influençant sa vie et ses actions, une figure maternelle ambitieuse - dont les traits de caractère se retrouvent chez sa descendante Agrippine la Jeune : Livie. Personnage de premier plan politique, femme et fille adoptive du

771. Ibid. p. 384-385

772. Ibid. p. 426

773. Tarver 1902, p. 186

774. Franceschini 2000, p. 256

775. Maranon 1956, p. 87

776. Ibid., p. 60

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premier prince de Rome et mère du second, elle représente un élément majeur dans la compréhension de la dynastie julio-claudienne. Souvent représentée dans la fiction, nous devons nous intéresser aux rapports qu'elle entretint avec les premiers empereurs.

Le trait principal de son caractère est l'ambition. Étant une femme, dans une société où le pouvoir était réservé aux hommes, elle devait agir par l'intermédiaire d'un proche masculin. D'abord femme d'Auguste, lui permettant de prétendre à un rôle de premier plan, elle consacra sa vie à promouvoir son fils, Tibère, pour régner à travers lui. Cette ambition serait née avant même son mariage princier : Maranon fait remonter les premiers indices à la naissance de Tibère, quand elle en fit faire l'horoscope, cherchant en cet « homme né de la chaleur de ses désirs » l'instrument de sa passion à gouverner le monde777. Toujours dans cette idée de superstition, elle aurait couvé entre ses seins un oeuf duquel serait sorti un poussin à la crête déjà dessinée : un présage de virilité et de puissance pour l'enfant qu'elle portait. Pourtant, ce fils semble peu décidé à assumer les ambitions de sa mère, à son grand désarroi. C'est le propos de la pièce de Pellegrin, dans laquelle elle doit pousser Tibère à accepter le rôle qu'elle veut lui faire tenir, devant son manque d'intérêt (une feinte habile de la part du fils) :

LIVIE
Et ce fut, pour remplir de si superbes voeux,
Que d'un premier hymen je rompis les saints noeuds.
Néron y consentit : et moins époux que père,
Il céda sa Livie en faveur de Tibére.
Cependant ce Tibére a-t-il assez d'ardeur ?
Regarde-t-il son sort dans toute sa splendeur ?
Absent, mais trop instruit de tout ce qui se passe,
Il sçait par mes Courriers quel péril nous menace.
Qui luy fait differer son retour ? Et pourquoy
Semble-t-il, pour regner, moins empressé que moy ?778

Plutôt que de répondre aux attentes de sa mère, Tibère préfère la vie d'intellectuel, loin du centre du pouvoir. L'incompréhension est mutuelle, et jamais la mère et le fils n'ont pu agir ensemble. La Livie des Dames du Palatin se fâche de savoir que l'aîné des Claudiens, celui qui doit être digne de son rang, préfère la compagnie des grammairiens aux prétentions qu'elle veut lui inculquer. Pour elle, il manque d'ambition, se soucie plus de sa femme que de l'Empire, et est une pomme pourrie de l'arbre de la famille - une déception encore plus grande que celle éprouvée pour la débauchée

777. Maranon 1956, p. 25

778. Pellegrin 1727, p. 4

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Claudia qui elle, au moins, mettait ses vices sexuels au service de la famille779.

La nature de leurs rapports reste ambiguë. Au vu de leurs différences de caractère et de l'ambition prêtée à Livie, la majorité des auteurs pensent que leur relation était conflictuelle. Allan Massie romance la vision de l'enfant Tibère envers sa mère comme celle d'un couple sado-masochiste : elle le punissait régulièrement, le fouettant quand il la décevait, mais il ressentait de l'amour dans ce châtiment qui lui devenait un rite sauvage avec, en son centre, l'orgueil de la famille780. Si la description de leur relation n'est pas toujours aussi crue, les auteurs notent souvent que Livie ne ressentait pas l'amour maternel tel qu'il doit être naturellement manifesté - selon eux. Tibère était son oeuvre, un moyen de parvenir à satisfaire ses propres ambitions. Non qu'elle n'aimait son fils, mais il lui était plus un instrument qu'un objet d'affection781. En ce point, Livie rappelle à l'historien un autre personnage de l'Antiquité romaine, Agrippine la Jeune, qui avait servi les mêmes ambitions à travers son fils Néron.

Mais là où Néron sut se débarrasser de sa mère, la faisant assassiner lors d'un naufrage, Tibère ne put régner sans sa mère jusqu'au jour de sa mort. Et si Néron était encore jeune lorsqu'il perdit sa mère, Tibère entrait dans sa soixante-et-onzième année. La situation a offert matière à sourire pour qui veut en souligner l'absurdité, celle d'un vieil homme soumis au bon vouloir de sa mère grabataire. Ainsi le présente la pièce de Chénier, où le vieil homme reconnaît avec honte la nécessité de se soumettre à sa mère, l'empire était un de ses bienfaits782. Il doit tout à sa mère : son règne et sa vie, et s'en affranchir lui serait une infâme ingratitude783. Le propos est aussi moqueur dans l'introduction du roman Poison et Volupté, ou l'empereur est à la fois mûr et infantilisé :

Quand il était embarrassé, Tibère avait coutume, dans son enfance, de faire craquer ses doigts en les tirant vers
l'arrière. Il avait longtemps combattu cette mauvaise habitude qui exaspérait sa mère. Il se surprit à arrêter, avec le
sentiment d'être en faute, ce geste machinal, et secoua la tête. Quand donc oublierait-il les remontrances de Livie ? A
faire craquer ses phalanges, que risquait-il désormais, sinon de lancer une nouvelle mode à Rome ? Il regarda ses
grosses mains velues, marquées par les premières tâches brunes de l'âge. Non, ce n'étaient plus les mains d'un enfant784.

La situation devait lui être honteuse : lui, le prince, le maître du monde, était le jouet d'une femme ! Charles Beulé y consacre un chapitre entier, désignant le règne de Tibère jusqu'à son exil à Capri comme « le règne de Livie », une longue période où il tentait vainement de diriger Rome sans

779. Franceschini 2000, p. 167-169

780. Massie 1998, p. 14

781. Beulé 1868, p. 240-241

782. Chénier 1818, p. 15

783. Ibid., p. 29

784. Franceschini 2001, p. 3-4

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qu'elle agisse elle-même et sape son autorité. Pour le bon fonctionnement de sa politique, il rencontrait deux barrières : la première était le sénat, un obstacle qu'il créait lui-même alors qu'il pouvait lui ôter tout pouvoir, l'autre étant Livie, qu'Auguste avait désigné comme son égale dans son testament, la nommant Augusta785. Tibère restait une « bête domptée », que sa mère pouvait dresser comme elle le voulait, l'humiliant et l'asservissant786. Et pour se débarrasser d'elle, il est

impuissant : Je renonce à vous peindre (votre imagination suffira à cette tâche) les drames intérieurs que Tibère a dû subir pendant onze ans, ses projets, ses fausses résolutions, son découragement subit, sa dissimulation. Tentera-t-il un coup d'État contre sa mère ? Elle serait plus forte que lui et plus populaire. L'exilera-t-il ? Rome entière et les prétoriens eux-mêmes s'y opposeraient. Aura-t-il recours au poison, qui a fait disparaître devant lui toute la famille d'Auguste ? Mais c'est elle qui est le grand maître dans l'art des poisons ; malheur à qui la provoquerait !787

Toutefois, le prince ne pouvait se laisser asservir comme cela. Alors certains auteurs le montrent tenant tête à sa mère, parvenant à régner seul ou du moins à remettre Livie à sa place : derrière lui-même. Ainsi, l'enfant maladroit des Dames du Palatin a assez d'assurance pour, à l'annonce de la mort d'Auguste, menacer Livie de lui nuire si elle le gêne dans ses actions : il n'est plus le petit garçon qui jouait avec des toupies et si elle se prenait pour César, cela lui coûterait cher788. Dans la pièce de Pellegrin, cette révélation passe par la rupture de sa dissimulation : Livie comprend que celui qu'elle pensait manipuler l'a depuis longtemps dépassé en vices, et qu'elle a créé un monstre. Alors, en clôture de la tragédie, elle s'exclame :

LIVIE

Du repos ! Ah ! J'entends ce superbe langage ;
Faut-il me voir réduite à craindre mon ouvrage.
Grands Dieux ! Je reconnois votre courroux vangeur.
Et je perds en un jour, l'Empire et l'Empereur.789

Il arriva un jour où Tibère rompit avec sa mère. Les raisons et le moment restent à déterminer. Était-ce à la suite d'une dispute ? Était-ce après qu'il ait réussi à lui avouer son ressentiment couvé depuis des décennies ? Parmi les causes les plus récurrentes dans les récits d'historiens, on retrouve la vexation, Livie ayant abusé de son rôle pour le tourner en ridicule, ou la lecture de lettres d'Auguste, dans lesquelles le prince dépréciait son successeur - non qu'il en soit personnellement atteint, mais elles représentaient une atteinte à sa dignité, voire entraient dans les motifs de lèse-

785. Beulé 1868, p. 98

786. Ibid., p. 260

787. Ibid., p. 246

788. Franceschini 2000, p. 428

789. Pellegrin 1727, p. 69

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majesté790. Il reste une certitude : Tibère ne revint pas à Rome pour les funérailles de sa mère, dédaignant celle qui l'avait porté, pensait-on, au pouvoir : sans doute n'avait-il jamais pardonné les humiliations qu'elle lui avait fait subir791.

Dans les Mémoires de Tibère, Allan Massie propose une vision originale de leurs rapports. Âgée (elle meurt à plus de quatre-vingt ans), elle est présentée comme atteinte de démence sénile. Incapable de tenir une discussion suivie, elle porte des accusations délirantes envers son fils, allant jusqu'à lui reprocher d'avoir fait tant de mal à Julie, qu'elle présente comme « la meilleure des filles » alors qu'elle n'avait jamais pu la supporter de son vivant. Tibère souffre en voyant sa mère, qu'il a connu belle et intelligente, devenir une vieille femme gâteuse792. Avant de partir pour Capri, il hésite à venir lui faire ses adieux :

Aller prendre congé de ma mère était sans objet ; elle ne reconnaissait plus personne et appelait la mort de ses pleurs et de ses gémissements. Je priais pour qu'elle soit libérée le plus vite possible, ce qui se produisit six mois après mon

départ793.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci