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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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d. Réhabiliter Julie

Les femmes de l'Antiquité ont souvent été accusées d'adultère, d'inconduite morale ou de prétentions malvenues. Le propos est souvent celui d'une société misogyne, et les historiens modernes se sont essayé à la réhabilitation des figures féminines les plus décriées.

Dans la fiction, on citera le film Imperium Augustus, où Julie est présentée sous un regard compatissant. Le personnage (joué par Vittoria Belvedere) vient de perdre son mari Agrippa, qu'elle avait appris à aimer avec le temps, et doit se résoudre à épouser Tibère. Elle s'éprend du fils d'Antoine, Iullus Antonius, qui se sert d'elle pour atteindre celui qu'il estime être l'assassin de son père. Auguste n'est pas dupe et veut lui faire comprendre que l'union avec cet amant est impossible, même s'il veut croire qu'on peut faire changer les hommes : il en a eu la preuve avec Antoine, perverti par Cléopâtre. Quand Antonius tente d'assassiner Auguste, Tibère sauve la vie du vieil homme (après une hésitation : doit-il sauver celui qu'il déteste?), et le conspirateur est mis à mort. Julie est vue comme une traîtresse et son père l'exile, mais il comprend qu'il est devenu le tyran qu'il a toujours refusé d'être. C'est sur son lit de mort qu'il se réconcilie avec sa fille, revenue d'exil en apprenant que son père est mourant. L'histoire est contée en partie du point de vue de Julie, qui cherche un père pour ses enfants, un amant pour elle-même et ne cesse jamais d'aimer son père, quand bien même il se montre ingrat.

Les Dames du Palatin est essentiellement le récit de Julie. Réellement amoureuse de Marcellus, elle est peinée par son décès mais se résigne à accepter l'union avec Agrippa : en épousant un homme mûr, elle ne trahit pas la mémoire de l'être aimé en lui substituant un jeune rival (bien qu'elle entretienne une liaison avec Jules Antoine par la suite), et ce nouveau mari l'avait toujours traitée avec attention - de plus, il bénéficiait d'assez de puissance pour la protéger de Livie767. Même résignation quand on lui associe Tibère : mieux vaut cet homme austère mais droit qu'un

765. Caratini 2002, p. 164

766. Laurentie 1862 I, p. 336

767. Franceschini 2000, p. 73-75

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flatteur arriviste768. Mais ni l'un, ni l'autre ne peuvent remplacer celui qu'elle aimait et elle regrette toute sa vie qu'aucun de ses enfants ne soit celui de l'être aimé769. Malgré leurs égards, Agrippa et Tibère ne peuvent la rendre heureuse. Les auteurs (Paul-Jean Franceschini et Pierre Lunel) présentent la première nuit de ces deux mariages, à travers le témoignage de Julie. Ainsi, le lecteur peut compatir à ses sentiments, mêlés de joie et de mélancolie. Avec Agrippa, elle est partagée entre la reconnaissance des égards de ce nouveau mari et l'étrange de cette situation, où elle est liée à celui qu'elle considérait depuis son enfance comme un oncle sympathique :

Au soir de ses noces, pour la première fois de sa vie, Agrippa s'abstint de prendre une femme à l'abordage. Ne pouvant
traiter sa « petite princesse » comme les filles à soldats dont il avait l'habitude, il prit ses quartiers dans une pièce
écartée du palais et lui laissa la chambre nuptiale. Il avait toutefois le désagréable sentiment de violer une consigne. Si
Auguste avait appris qu'il ne travaillait pas chaque nuit à engendrer l'héritier, il aurait vu dans ce comportement plus
qu'une extravagance, une trahison.
Julie fut émue par une délicatesse aussi inattendue : elle n'aurait jamais cru qu'un Romain, encore moins un soldat, en
fût capable. Agrippa osait à peine rencontrer son regard, comme s'il lui avait fait injure. Un soir, elle alla se glisser,
nue, dans le lit de son époux.770

Le problème est différent pour Tibère. Cette fois, elle trouve des qualités inespérées chez cet homme qui passait pour timide et austère. Mais elle ne peut cacher son manque de bonheur et son mari le prend comme une injure qu'il ne pourra jamais pardonner :

Après les festivités, elle trouva quelque consolation dans l'attitude de son époux. Au-delà de ses défauts, de ses éternels
scrupules, de sa méfiance, de son obsession du devoir, de son manque de grâce et de fantaisie, elle découvrit un Tibère
secret. Celui qui ne bégayait pas mais parlait avec drôlerie des petits ridicules d'Auguste, qu'il n'aimait guère, ou
évoquait Livie, qui l'avait tyrannisé enfant. Elle mesurait toute la distance entre ce qu'il était et l'idée qu'on se faisait de
lui au Palatin. On prenait pour un soldat inculte l'helléniste qui, en campagne, avait besoin de deux mulets pour porter
sa bibliothèque. On le croyait terne parce qu'il n'était pas brillant, lourd parce qu'il n'était pas rapide. Elle le jugea très
supérieur à son frère Drusus, beau comme Apollon et agile comme Mercure, mais, au bout du compte, sans grande
consistance. Tibère était un incompris comme elle.
Dès la nuit de noces, elle s'aperçut que, comme beaucoup de grands timides, il était affligé d'ejaculatio praecox. Son
désir pour elle l'emportait trop vite, la laissant à la fois excitée et inassouvie. Elle voulut cacher sa déception, mais, un
soir où elle était de méchante humeur, ne pût s'empêcher de se trahir.
Tibère se montra blessé dans son orgueil viril : toutes les autres femmes avaient feint d'éprouver de la volupté entre ses
bras, et il se croyait un amant remarquable. Son humiliation fut d'autant plus cruelle qu'il ne parvint jamais à juguler
sa fougue. Julie, pendant les exercices imposés par la procréation, rêvait à la douceur de l'amour, tel qu'elle l'avait
connu avec Marcellus puis avec Jules Antoine. Ceux-là auraient pu lui faire des enfants à leur image, mais elle était
condamnée à en donner à des hommes qu'elle n'aimait pas.

768. Ibid., p. 227

769. Ibid., p. 99

770. Ibid., p. 85-86

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A la fin du roman, elle meurt en exil d'un cancer du sein. La réhabilitation va dans les deux sens, Julie pensant dans ses derniers jours au mari qu'elle a blessé, regrettant de ne pas avoir su rester son amie, telle qu'elle était durant leur enfance, et constatant qu'il la haïrait à jamais771. Mais, s'il n'a pas pardonné ses fautes, elle se juge trop durement : Tibère se reproche la mort de Julie, n'arrivant pas à se persuader qu'il n'en est pas coupable772.

A ce manque d'affection peuvent s'ajouter d'autres peines qui ont ruiné la vie de Julie et ont fait d'elle la femme décriée que la postérité à retenu. Pour Tarver, c'est son incapacité à parler avec ses maris qui l'a poussé à trouver des amants, qui arriveraient à mieux la comprendre. Libérée des contraintes dues à son rang, elle pouvait vivre une vie libérée, telle qu'une femme pouvait la souhaiter773. Il est aussi un drame de sa vie qui fut peu usité tant il semblait courant à l'époque et contraire à l'image de la mauvaise femme : la perte du bébé qu'elle avait eu de Tibère, et qui mourut après trois semaines, semble t-il « chétif et malformé774». N'oublions pas aussi qu'elle perdit trois fils adultes dans des conditions brutales. Cet amour maternel aurait pu être hérité de Scribonie, sa propre mère, qui s'exila de son plein gré pour suivre sa fille775.

Avec elle disparaît l'une des dernières représentantes des Juliens et de la descendance directe d'Auguste. G. Maranon, lorsqu'il évoque la mort de Julie, regrette que le Christ n'ait pu la sauver :

Dans la dernière phase de sa vie, elle fut très malheureuse, autant que pouvait l'être celle qui avait été heureuse avant ce désert. Elle ne connut jamais la consolation du pardon, qu'il soit humain ou divin. Elle mourut dans l'infamie durant son exil, sans avoir entendu une voix surhumaine qui ne devait tarder à s'élever : la voix du Seigneur qui avait été capable d'entendre Madeleine.776

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus