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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Une vie d'humiliations

Un autre motif de sa haine envers l'humanité viendrait des humiliations subies tout au long de sa vie. Tout d'abord, les réprimandes de son beau-père dans son enfance ont pu le marquer. Il a été rapporté que celui-ci, ne l'aimant guère, se plaisait à l'insulter. Ainsi le surnommait-il « petit vieux », en raison de son manque de grâce et de son attachement aux valeurs du passé. Le propos a pu traumatiser l'enfant, d'autant qu'il devait être repris par les proches du prince, jusqu'aux esclaves qui trouvaient moyen de railler le patricien qu'il était878. Le Tibère d'Allan Massie avoue, dans ses Mémoires écrites à Rhodes, avoir cherché durant des années l'approbation, voire l'amour d'Auguste, en vain : celui-ci préférait le charme faussement spontané de Marcellus, et était désormais tout à ses petits-fils879.

Ensuite, il devait être moralement blessé par les Princes de la Jeunesse, ces enfants qui lui faisaient de l'ombre, à lui qui avait tant mérité d'être reconnu à sa juste valeur. Il trouvait injuste d'avoir enduré de longs services militaires, d'avoir du sacrifier son amour et de s'être tant démené pour l'empire et, au final, qu'on lui préfère des héritiers inexpérimentés qui, en grandissant, se montraient présomptueux880. Ce motif pourrait aisément expliquer un ressentiment enfoui, qui l'aurait forcé à partir pour Rhodes afin de ne pas démontrer de sa haine publiquement. Dans les Dames du Palatin, il rêve de vengeance : il lui est intolérable de s'incliner devant ces enfants arrogants et il se promet de donner une leçon à ceux qui l'injurient de la sorte881. Le ressentiment atteint son paroxysme après

que Caius l'ait publiquement insulté : Tibère sortit de la chambre de commandement sans rien montrer de sa fureur. Le temps viendrait de faire payer toutes les offenses. Sa mère avait fait de lui l'instrument de son ambition ; Auguste l'avait obligé à quitter la femme qu'il aimait, Julie l'avait bafoué et Caius l'insultait I Oui, si Thrasylle avait raison, il n'aurait pas trop d'une longue vie pour se venger. Qu'ils me haïssent, se répétait-il, pourvu qu'ils me

878. Beulé 1868, p. 76-77

879. Massie 1998, p. 9

880. Beesly 1878, p. 97

881. Franceschini 2000, p. 264-265

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craignent !882

Toutefois, il ne faut considérer les Princes de la Jeunesse comme des rivaux inoffensifs. Eux mêmes étaient jeunes, mais ils bénéficiaient d'un pouvoir de décision seulement dépassé par celui d'Auguste, et - par leur âge - étaient aisément influençables par des conseillers avides. Il suffisait qu'un ennemi de Tibère encourage Caius ou Lucius a lui nuire - Lollius s'y était essayé - et l'exilé de Rhodes aurait été immédiatement condamné883.

Ajoutons à cela l'humiliation du divorce d'avec Vipsania, celle de l'infidélité de Julie puis - bien plus tard - la trahison de Séjan, et l'on peut faire de la vie de Tibère une succession d'humiliations nourrissant le ressentiment. C'est de cette vie de brimade qu'il se plaint devant Antonia dans les Dames du Palatin, cherchant un soulagement dans la confidence : Julie lui est irrespectueuse, Auguste et Livie ne cessent de le vexer et Caius est insolent. Il veut partir immédiatement pour Rhodes, là où il ne verrait plus ce Palatin qui lui donne la nausée884.

Énervé par les humiliations, Tibère s'enferme dans une colère qu'il arrive difficilement à réprimer.

C'est le propos de Charles Beulé : Il a vécu sous Auguste, auprès d'Auguste, dans son intimité, sous un joug plus particulier et plus dur. Là commencent ses souffrances et ses difformités morales. Enfant, il est en butte aux sarcasmes d'un beau-père qui le hait; l'aversion qu'il ressent et qu'il faut cacher égale l'aversion qu'il inspire et qu'on ne lui cache pas. Adolescent, il est pénétré lentement par le poison de l'envie, au milieu de grandeurs qu'il touche, que sa mère lui montre et qui ne seront pas pour lui. Ceux qu'il aime sont moissonnés par la mort ; la femme qu'il chérit est arrachée de ses bras par Auguste; son coeur est broyé comme sa volonté; le trouble des sens ne le console pas de l'opprobre que lui inflige Julie; le plus juste ressentiment doit être refoulé et soigneusement dissimulé; il faut qu'à la lâcheté s'ajoute l'hypocrisie. Que d'épreuves, messieurs ! Quelles tortures de tous les jours ! (...) Ajoutez les conseils de Livie, sa froide prévoyance, son machiavélisme, son parti pris de tout supporter pour l'avenir; ajoutez l'exemple d'Auguste, son immoralité, son hypocrisie et les malfaisantes leçons du contact journalier de sa politique comme de sa vie privée, et confessez que, pour résister à cette longue corruption et ne pas être avili par une telle servitude, il faut une nature au-dessus de l'ordinaire, il faut une fierté native que trente ans de persécutions, mal déguisées sous les faveurs arrachées par Livie, n'ont pu abattre. (...) Alors l'héritier des Claudius aura été anéanti avec les instincts altiers et la vigueur républicaine de sa race; il ne restera plus que le digne héritier d'Auguste.885

Ce type de propos est un poncif de la fiction : pour réhabiliter le mauvais, ou du moins pour expliquer l'origine de ses torts, on en revient à son passé. L'antagoniste aurait pu être aussi bon que le héros, il lui ressemble d'ailleurs en bien des aspects, mais un événement traumatisant, ou une

882. Ibid., p. 319

883. Beulé 1868, p. 123

884. Franceschini 2000, p. 270

885. Beulé 1868, p. 103-106

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suite d'événements, lui ont fait rejeter l'humanité et basculer vers la haine et la méchanceté. Qui veut représenter un antagoniste attachant va lui attribuer une vie de malheurs : nous penserons, en prenant un exemple bien loin de notre sujet, au Magneto de la bande-dessinée X-Men. Celui-ci, mutant d'origine juive, est un idéaliste voulant faire cesser les persécutions envers ses semblables, tout comme le souhaite son ami Xavier, qui lui fait partie du camp des bons. Mais là où ce dernier prône la cohabitation entre espèces, Magneto n'a aucune confiance en l'humanité : rescapé des camps d'extermination nazis, il voue une haine aux Hommes qui méprisent les mutants, les considérant aussi indignes que ceux qui ont décimé sa famille. Alors que ses convictions sont louables, son ressentiment le pousse à agir selon des méthodes radicales et inacceptables. Il en va de même chez le Tibère de fiction - et dans une moindre mesure chez le Tibère réhabilité : il voulait être digne de Rome, permettre l'élévation du peuple romain vers une meilleure société, mais les humiliations et le manque de reconnaissance l'ont désespéré de ses promesses et l'ont conduit à se comporter comme le pire des tyrans, ce qu'il abhorre le plus. L'auteur voulant réhabiliter le prince, ou du moins réduire sa responsabilité dans les actes de son règne, cherchera à faire ressortir la responsabilité des autres dans la perversion de Tibère. S'il est devenu mauvais, ce n'est pas par nature ou par perversion morale, mais par rupture affective face aux humiliations et à un destin qu'il refuse d'assumer, devenant une sorte de héros déchu.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe