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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Le ressentiment

Gregorio Maranon intitule son livre Tiberius, the Resentful Caesar (1956). Dans celui-ci, il tente de mener une étude spécifiquement dédiée à la psychologie du personnage. Il isole ainsi les composants du ressentiment tibérien : intelligence, agressivité, timidité, manque de générosité, haine, ingratitude, hypocrisie, malheur en amour, vertu et manque de succès. Ainsi, il divise l'ouvrage en quatre parties thématiques :

- Les raisons de ressentiment (enfance en exil, tragédie familiale, amours)

- Les ennemis encourageant sa colère (conflits familiaux, Agrippine, Séjan)

- Les amis cherchant vainement à le contenir (Antonia, Nerva)

- Le personnage lui-même (vie et mort, vertus, sentiments)

L'auteur définit lui-même le ressentiment, afin que le lecteur comprenne les enjeux de son oeuvre. Pour lui, ce n'est pas une attitude criminelle, mais une passion qui mène au péché, parfois à la folie et au crime. Le ressentiment est un handicap mental : l'esprit humain se débarrasse de lui-même des

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mauvais souvenirs avec le temps, ou du moins les assimile, tandis que l'être atteint de cette maladie est incapable de voir disparaître les éléments perturbateurs qui forment l'esprit à l'aigreur et à une personnalité instable. C'est le drame de Tibère selon Maranon886.

Dans la biographie de Roger Caratini, c'est envers Auguste que naît le premier ressentiment de Tibère : celui qui se fait désormais appeler Auguste et qui règne sur le monde reste pour lui l'Octavien qui vola sa mère à son affection et à celle de son père et il ne peut s'empêcher de lui reprocher la mort prématurée de Drusus, pour l'avoir envoyé dans le conflit qui l'a tué - certes sans le savoir, mais le mal est fait887. Il est alors inexorablement appelé à devenir un tyran froid et vengeur. Ainsi le représente Charles Beulé. Pour lui, un prince à l'humeur bienveillante, un sentiment qui ne peut s'acquérir que par une vie heureuse, sera bon avec son peuple et fera de grandes choses, tandis que celui qui ne manque pas de talents, mais qui ne peut se départir de la haine est condamné à échouer, quels que soient ses efforts. Sans être né comme la « bête féroce, enivrée aussitôt par le pouvoir, étrangère à l'humanité comme à la raison », une image qui reparaît chez les princes lui ayant directement succédé, Tibère est un homme « doué par la nature, d'une intelligence étendue, ferme, cultivé, issu d'une grande race, admirablement constitué d'esprit et de corps, d'un caractère froid et d'une santé inaltérable, soldat courageux, bon général, administrateur capable, bien entouré, soutenu par les conseils de la mère la plus habile et la plus rusée , favorisé souvent par la fortune , poussé sans effort vers les grandeurs », soit un homme digne de bien des éloges, mais tiraillé par « la crainte et l'envie, l'espoir sans bornes et les alarmes sans nom , tous les appétits provoqués ou contrariés, satisfaits ou dissimulés, la menace journalière de faveurs sans raison et de disgrâces sans appel, la nécessité de flatter et de mentir, le droit de tout oser à condition de tout feindre, l'immoralité d'un appât perpétuel, le mépris croissant pour ceux qui obéissent servilement et pour celui qui commande à tels serviteurs, l'enivrement de l'orgueil excité jusqu'au délire ou rabattu jusqu'au dégoût de soi-même », toutes ces composantes du ressentiment qui fait du despote monté sur le trône un lamentable esclave888. De son état moral dépendait tout son règne, et c'est de cette destruction psychologique que venait ses torts. Oui, il pouvait être méchant, il pouvait agir contre l'humanité, mais ce n'était que le résultat de son ressentiment889. Lidia Storoni Mazzolani décèle ainsi sur le visage de Tibère le portrait de Dorian Gray, « la dégradation d'une âme vindicative et cruelle890» - référence à l'anti-héros dépeint par Oscar Wilde, incapable de racheter ses crimes, forcé de les constater et de les perpétrer chaque jour.

886. Maranon 1956, p. 7-9

887. Caratini 2002, p. 85-86

888. Beulé 1868, p. 60-63

889. Ibid., p. 131

890. Storoni Mazzolani 1986, p. 18-19

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Poussé par le ressentiment, Tibère n'est pas forcément mauvais. Sa fureur est due à la lassitude, en opposition au sadisme « calinéronien », et aux méfaits de la vie891. Mais l'Histoire juge des actes et non des intentions, et toute justification ne pourrait racheter les crimes attestés sous le règne de Tibère. Qu'importe ses efforts pour passer outre sa colère, il ne put la réprimer entièrement et tout débordement est passé à la postérité - injustement au vu de ses éventuelles raisons, mais logiquement892. Quand le Sénat avait voulu le nommer comme successeur d'Auguste, il les avait mis en garde contre un changement de son caractère, le danger premier lorsqu'on nomme un homme comme seul maître d'un gouvernement. C'est ce qui s'est produit, démontrant d'une certaine lucidité de la part de Tibère, le plongeant dans la frénésie, la « pire des folies893».

Dans son roman, Maria Siliato restitue cette crise psychologique, quand Caligula résume le règne de son prédécesseur. Il a été marqué par le récit de la vengeance envers Gallus, blessé dans son orgueil par l'abandon de Vipsania et passant sa cruauté des années plus tard sur ce « vieil homme riche et gentil s'étant souillé d'une seule faute : oser épouser Vipsania ». Ce désir permanent de vengeance ne trouve pas d'exutoire dans les jeux du cirque ou dans les « amours renouvelées et exotiques » : il s'enferme dans la solitude, n'acceptant que la compagnie de jeunes garçons. Misogyne notoire, il ne « supporte plus ni les voix, ni les rires, ni les bruits, avait horreur des cérémonies de cour, des foules, des musiques, des vêtements colorés, des présences féminines ». En résumé, il est empli de cicatrices « profondes et secrètes, jamais avouées894».

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery