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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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B - Tragédie et Décadence, l'image d'un homme blessé

Nous nous intéressons ici à deux courants littéraires, si l'on peut les nommer ainsi, prenant Tibère comme exemple pour démontrer de la tristesse de l'humanité. Dans un premier temps, il nous faut faire état de la présence du prince dans la tragédie, là où il représente la mélancolie. La seconde partie de notre propos sera consacrée à la décadence, un « hymne » à la destruction de Rome. Enfin, nous ferons la part belle à l'exemple, en nous servant de quatre extraits de fiction où Tibère apparaît comme le tristissimus homo, le plus malheureux des hommes, par la rupture de sa dissimulation face aux malheurs : la trahison, la compassion, le deuil et le fatalisme.

I - Tragédie : le malheur de vivre

a. Tibère au théâtre

Nous évoquions lors du premier chapitre le plan proposé par Roger Vailland pour analyser la vie des Césars. Celui-ci s'applique tout autant au personnage de fiction présenté dans la tragédie :

- Un homme comme les autres : le spectateur s'identifie au personnage historique, tant ses qualités et défauts sont humains.

- Qualités militaires et politiques : le personnage impérial témoigne de puissance, de grandeur, quand bien même il s'en sert à mauvais escient.

- Qualités « socialistes » : ce point est peu exploité, si ce n'est que le personnage doit interagir avec le peuple, exprimer son sentiment envers lui, voire être jugé par ses sujets

- Morale : c'est tout le propos de la fiction, où le dénouement doit offrir à la réflexion

- Dérèglement de la personnalité : le personnage a bon fond, mais les embûches de la vie font de lui un tyran haineux.

- Attaques envers les proches : c'est souvent l'élément structurant de la trame principale, permettant de déterminer qui sont les bons et qui sont les mauvais.

- Spectateur de ses actes : nous sommes dans la fiction, et le spectateur fait face à l'acteur.

- Conclusion par la mort : poncif de la tragédie, les malheurs cessent pour les morts et continuent pour les vivants.

La fiction consacrée à Tibère doit être vue comme un prolongement de l'historiographie : on oeuvre à le condamner ou, au contraire, à le réhabiliter. La tragédie est le support le plus « parlant » pour ce

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faire. Dans ce genre théâtral, millénaire s'il en est, le malheur est exposé et, pour Tibère, il se manifeste par la trahison des proches et l'impuissance. Prisonnier d'une période charnière entre paganisme et christianisme, entre république et empire, il devient le bouc émissaire de Capri, voué à la souffrance et à la mélancolie de l'homme incompris, hanté par le négativisme. Parfois aussi, sa haine est exacerbée et il est présenté comme un affreux tyran. Ses crimes trouvent un écho, à travers le témoignage de ses victimes : si l'historien ne peut accéder à leurs pensées, si ce n'est quand les dernières paroles ont été sauvegardées dans des récits, l'auteur de fiction peut retranscrire les dernières heures tragiques du condamné. C'est de cette manière que, souvent, s'achève la pièce : par une mort injuste. Ainsi Serenus doit pleurer, dans la pièce de Nicolas Fallet, la perte de ses deux enfants et maudit Tibère, qui est responsable de ses malheurs :

SERENUS
Ô de férocité raffinement affreux !
Moi, je vivrois ! Ah, monstre !... Ecoutez-moi, grands Dieux
Que le jour où la mort doit le faire sa proie,
Que ce jour soit marqué par la publique joie ;
Qu'inhumain comme lui, son lâche successeur,
S'ouvre un chemin au trône en lui perçant le coeur.
TIBERE
Que dis-tu, malheureux ? Ah ! Quand je te fais grace,
Quelle rage en ton sein allume tant d'audace !
Mais tu perds tes enfans, j'excuse ta douleur.
Romains, je veux d'Auguste être en tout successeur ;
Comme lui dédaignant une juste vengeance,
Je veux voir tous vos coeur conquis par ma clémence.
Allons, et déplorant le sort de ses enfants,
Par nos soins généreux consolons les vieux ans940.

La mort du protagoniste peut-être, et est souvent, due au suicide. Vivant dans l'horreur, le bon ne désire plus exister et, dans son dernier souffle, dénonce celui qui l'a persécuté. Ce dernier, s'il reste vivant, est victime d'une condamnation encore plus violente : il va vivre dans la peur, conscient de ne pas être aussi puissant qu'il le pensait, si la volonté de celui qu'il pensait son inférieur a pu surpasser la sienne. Ainsi meurent les personnages les plus illustres des pièces de Chénier et Campan, Cnéius et Emilie, le premier voyant son père mourir alors que l'accusatrice Agrippine venait de lui accorder le pardon, la seconde en apprenant que, dans sa colère, Tibère a fait exécuter ses enfants en même temps que leur père condamné. Cnéius rejette la pitié du prince, qui lui promettait la paix s'il renonçait à défendre son père, Émilie laisse un homme brisé en lui avouant la

940. Fallet 1782, p. 63

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vérité sur la mort de son fils Drusus.

CNEIUS.
Je ne sens point d'effroi.
César est immobile, et calme ainsi que moi.
(...)
Et toi qui, dans un coeur de crimes déchiré,
Savoures le tourment que tu m'as préparé,
Tyran profond, mais vil, honte et fléau de Rome,
Éclipsé dans ta cour par l'ombre d'un grand homme,
Quand, de tes attentats ministre infortuné,
Pison par son complice expire assassiné,
Tu m'offres des trésors teints du sang de mon père!
Garde pour un Séjan les faveurs d'un Tibère.
C'est le prix des forfaits; je ne l'accepte pas :
Rien de toi, rien, César; pas même le trépas.
Un sort plus glorieux doit être mon partage.
Le poignard de Pison, voilà mon héritage.
Ce fer me suffira. Tu pâlis, malheureux!
Va , je te le rendrai teint d'un sang généreux;
Un autre aura l'honneur de venger tes victimes;
Séjan respire encor; tu puniras ses crimes :
J'ai vécu , je meurs libre, et voilà mes adieux.
Il est temps de placer Tibère au rang des dieux941.
-
EMILIE
C'est ici,
C'est aux yeux des Romains, qu'un dernier sacrifice
Doit prouver de vos lois l'immuable justice.
Elius, trop coupable, expire sous vos coups ;
Long-temps, pour mon malheur, il fut digne de vous ;
Plus habile dans l'art de choisir ses victimes,
Un succès éclatant eût couronné ses crimes,
Mais il a succombé ; les destins ennemis
M'arrachent à la fois mon époux et mon fils.
Mon fils ! C'était pour lui , qu'épouse moins que mère,
Je craignis d'éclairer et d'irriter Tibère ;
J'hésitai pour lui seul, c'est moi qui l'ai frappé ;
Mon espoir cette fois ne sera pas trompé.
Prête à me joindre à lui, je veux de la vengeance

941. Chénier 1818, p. 79

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Emporter avec moi la flatteuse assurance.
A la fleur de ses ans Drusus fut moissonné ;
Drusus vous était cher, il fut empoisonné.
Du trône où l'on courait, barrière insurmontable,
A d'adultères faux obstacle redoutable,
Il fallait sa ruine et l'on s'était promis
D'obtenir la couronne et l'hymen à ce prix.
Séjan dut préparer la coupe empoisonnée ;
On craignit sans frémir qu'il ne l'eût pas donnée.
Opprobre de son sexe, avec férocité,
Une femme sourit de sa timidité.
L'ambition, l'amour lui prêtent un courage
Qu'augmente en s'éloignant la pudeur qu'elle outrage.
L'infortuné Drusus expire dans ses bras,
Et ce monstre à vos yeux jouit de son trépas
Gardez vous d'en douter, juger plutôt vous-même.
Je vous laisse l'aveu de Lygdus et d'Eudème.
Si pour elle ma voix aiguise un fer vengeur,
Si je remplis vos jours de tristesse et d'horreur,
Mes voeux sont exaucés. Craindrais-je votre haine ?
Par votre cruauté je suis libre ; et, romaine,
La mort perdrait pour moi son attrait le plus doux,
Si je la recevais d'un tyran tel que vous942.

Survivant à sa victime, le tyran est souvent physiquement impuni à la fin de la pièce. Toutefois, il en sort changé : il a été humilié, a retenu une amère leçon de vie et sera à jamais bouleversé par ce qui vient de se passer. Ainsi, le Tibère de Campan, qui se savait impopulaire auprès des Romains, comprend que sa propre famille le renie et le déteste pour ses crimes. Ainsi le condamne Livie, sa belle-fille qui, en tuant Drusus, le blessait lui-même :

LIVIE
Je ne veux pas défendre
Un sang qu'avec délice on vous a vu répandre.
A l'amour de Séjan j'aurais tout accordé ;
Vous n'existeriez pas s'il m'avait secondé.
Sur le fils immolé, j'eusse immolé le père ;
Je devais cette offrande aux mânes de mon frère.
(...)
Vous étiez l'assassin ; elle [Antonia] vous a permis

942. Campan 1847, p. 73-75

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De condamner sa veuve et d'exiler son fils. Vous laissant disposer de tout ce qui lui reste, Elle a formé pour moi le noeud le plus funeste. Mais j'ai dissimulé, j'ai frappé mon époux ; En vous perçant le coeur je m'égalais à vous943.

Pour faire état de la présence de Tibère au théâtre, nous vous proposons une brève analyse d'extraits issus de trois pièces, chacun témoignant d'un propos différent, d'un rapport entre l'Histoire et la tragédie.

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