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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. L'exilé de Capri

La première partie du roman se finissait sur l'image d'un doute : que deviendrait Rome ? Ce n'est que trente ans plus tard que le prince se décide à poursuivre son récit. Durant ces trois décennies, de nombreux événements ont pu se passer, et le personnage a radicalement changé : il est désormais fataliste, constatant l'horreur de la vieillesse. Livilla est le dernier rempart à l'abandon de toute volonté, et sa mort fait définitivement sombrer Tibère. Tout ce qu'il considérait comme bon et beau s'est souillé à ses yeux, et il ne désire plus vivre au milieu de ces traîtres qu'il rêve de voir s'entre-tuer, comme des rats pris au piège. Ainsi, deux propos se font écho l'un à l'autre : le premier étant l'ouverture de cette seconde partie, l'autre un des derniers paragraphes du roman :

La vieillesse est un naufrage. J'ai pu le constater chez Auguste et l'ai même entendu prononcer cette phrase, sans
toutefois, si je m'en souviens bien, l'appliquer à lui-même. Maintenant, j'en éprouve personnellement la vérité. Je suis
moi-même jeté sur les récifs, balayé par des vents cruels. La paix de l'esprit et l'aisance du corps me désertent
ensemble.934
-
Les souvenirs ondulent devant moi comme des ombres projetées par les flammes. Mécène me racontant comme il avait
travaillé à la destruction de celui qu'il avait aimé... Agrippa me plaquant la main sur l'épaule en me disant qu'au
moins, j'étais un homme... Le regard paisible et la voix douce de Vipsania... Julie se caressant lentement la cuisse en
m'invitant à l'admirer... Auguste, avec ses mensonges et sa voix enjôleuse... Livie me fouettant jusqu'à ce que je jure que
je lui appartenais... Le jeune Ségeste et Sigismond... Séjan, oui, même Séjan, tel qu'il m'était apparu la première fois à

932. Ibid., p. 128-130

933. Ibid., p. 152

934. Ibid. p. 167

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Rhodes, avec son grand rire et sa joie de vivre... Dans la nuit, je guettais le hululement de la chouette, l'oiseau de
Minerve, mais n'entendais que les aboiements des chiens.

Ma vie avait été consacrée au devoir935.

Il lui reste néanmoins une raison de vivre : son ami Sigismond. Prince germain, celui-ci avait été condamné à l'arène, un jour où Tibère assistait malgré lui aux jeux. En le voyant si faible, il est pris de compassion et, malgré les huées de la foule, il décide d'épargner le jeune homme :

Je reportai mon regard sur l'arène et vis les membres du jeune Germain se détendre, comme s'il acceptait la mort, alors
que ses yeux étaient toujours dilatés par la terreur née de la soudaine conscience de ce qui lui arrivait. Je connaissais
bien ce regard. Je l'avais vu souvent sur le champ de bataille. J'avais vu bien des hommes et bien des garçons faire, en
un instant d'effarement, cette même découverte, à savoir que tout ce qu'ils avaient pensé essentiel, tout ce que leurs
sens pouvaient connaître - à commencer par leur propre corps - pouvait être soudain anéanti, comme si la vie n'était
rien de plus qu'un rêve brusquement devenu cauchemar. Le garçon avait les lèvres qui remuaient, sa langue vint
toucher sa lèvre inférieure. Alors, je dressai mon pouce vers le haut, afin de le sauver. Ce n'était pas seulement lui que
je sauvais, mais également moi-même, et ma raison. Mon geste avait été sans calcul. Je quittai les arènes et me faisant
huer, la populace hurlant sa déception936.

Par le passé, alors qu'il était en campagne en Germanie, le prince avait entretenu une brève relation amoureuse pour un jeune homme nommé Ségeste. Mais il se refuse ici d'assouvir son amour, afin de ne pas souiller cet être si beau et si bon :

Je ne pouvais nier, seul avec moi-même, le trouble que je ressentais ni le plaisir que j'avais à avoir le garçon auprès de moi. Mais j'étais également conscient de son caractère viril, de sa réserve et de sa dignité. L'étreinte d'un vieil homme à

l'haleine nauséabonde et au cou décharné n'aurait pu manquer de la dégoûter. Je ne voulais pas le contraindre à se dégrader. Il avait une décence foncière que j'aurais pu croire disparue de la surface de cette terre. J'aimais l'avoir dans ma maison, converser avec lui, lui enseigner la vertu et la connaissance du monde, accepter les petits services qu'il me

rendait avec un pointilleux respect937.

Plein d'égards envers ce jeune homme qui ne devait jamais le trahir, il l'achète comme esclave et l'affranchit immédiatement, lui demandant simplement de rester à ses côtés pour être son ami. Le considérant comme un nouveau fils, il lui permet un mariage inespéré compte tenu de son ancienne condition servile et l'union heureuse des époux devient sa raison de vivre : il est au moins une chose bonne en ce monde perverti :

C'était un jour heureux. Sigismond était tombé amoureux d'une fille de l'endroit, une Grecque nommée Euphrosyne, dont le père exerçait comme médecin à Naples mais possédait une petite villa à Capri, donnée par Auguste pour un service qu'il lui avait rendu. Le mariage eût été inconcevable sans mon parrainage. Miltiades, le père, n'eût jamais consenti à accorder la main de sa fille adorée à un affranchi germain, ancien gladiateur de surcroît, si celui-ci n'avait

935. Ibid., p. 308-309

936. Ibid., p. 249-250

937. Ibid., p. 253

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pas été mon favori. Pour ma part, j'étais enchanté de cette union. Euphrosyne était une fille délicieuse, avec des yeux et
une abondante chevelure noirs comme de l'encre, une créature faire pour le plaisir, mais en même temps douce et
intelligente. Les voir ensemble était une justification de l'Empire ; seul Rome, en effet, avait pu rapprocher ces deux
physiques parfaits mais totalement différents. Ils respiraient véritablement le bonheur. Je bénis leur mariage en leur
demandant de rester tous deux dans ma maison.938

Mais la jeune femme attire un autre homme : le jeune Caligula. A la veille de sa mort, Tibère apprend que son héritier a violé Euphrosyne, et se jure de punir celui qui a abusé de la femme de son meilleur ami. Ainsi, la dernière action du tyran si décrié aura été dictée par l'amour et le sens de la justice :

Ce soir, Sigimond est venu me trouver. Il tremblait de tous ses membres. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas, et il m'a répondu sans tarder. Hier, mon petit-neveu et héritier présomptif de ce misérable Empire, Caïus Caligula, fils du héros Germanicus, a violé Euphrosyne, qui était enceinte de six mois. Ce matin, elle a fait une fausse couche. Sigismond est

tombé à genoux devant moi, m'a pris les mains et a imploré vengeance. Je l'ai regardé dans les yeux. Son visage, maintenant gras et sans beauté, était humide de larmes et décomposé de chagrin. Sa voix tremblait en me disant : - Euphrosyne frissonne maintenant, même à mon contact. Je ne sais pas si elle se remettra un jour. Je ne sais pas si ce qui a été brisé pourra jamais être réparé. Maître, je te supplie...

Toute ma vie j'avais refusé qu'on m'appelât ainsi, mais quand je vis le visage de Sigismond et compris sa douleur, je n'eus pas la force de protester. Je le pris dans mes bras et l'attirai contre moi. J'ai ordonné à Caius de comparaître devant moi ce matin, et j'ai en même temps demandé à Macron d'avoir des gardes à sa disposition pour l'arrêter939.

Ce roman peut alors être considéré comme la synthèse d'une longue réhabilitation, agissant sur plus d'un siècle et demi. Tibère n'est plus le tyran méprisable, vengeur et débauché d'autrefois, mais un homme bon, ne faisant appel à la violence que par désespoir et dénué de toute perversité. Certes, il n'est pas parfait, mais il était volontaire et aurait pu, en d'autres temps et en dans d'autres circonstances, être un homme respecté, voire apprécié. Au XIXe siècle, le propos était différent, quand bien même les auteurs avaient lu la nouvelle historiographie et compatissaient à la peine du tyran : leur avis était plus nuancé. C'est ce constat que nous sommes amenés à souligner dans la seconde partie de ce chapitre.

938. Ibid., p. 286

939. Ibid., p. 310

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault