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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. L'exilé de Rhodes

Dans la première partie du roman, Tibère est en retraite à Rhodes et profite de sa solitude pour écrire ses Mémoires. Il met fin à son projet alors qu'on l'autorise à revenir à Rome, ne reprenant l'écriture que des décennies plus tard.

Parmi les éléments marquants, citons le rapport à la politique. Dès sa jeunesse, alors qu'il est destiné à devenir un général respecté, il manifeste devant Auguste son souci de conserver les frontières telles qu'elles sont, afin de les consolider et ne pas les étendre inutilement. Il s'oppose sur ce point à Marcellus, qui trépigne d'impatience à l'idée de mater les guerriers de Bretagne, peints en bleu926. Mais plus que de donner sa propre idée de ce que doit être le principat naissant, il préfère s'attacher à l'opinion de ses aînés, afin de créer par la suite sa vision d'un bon État. Ainsi, il s'intéresse à l'avis d'Agrippa, qui souhaite dépasser les concepts de monarchie et de démocratie, qui lui semblent depuis longtemps obsolètes - un modèle pour celui qui veut restaurer la République de ses ancêtres :

Mais je puis te dire ceci : seuls des États n'ayant pas encore atteint la maturité peuvent s'accommoder de la démocratie
ou de la monarchie. Nous avons dépassé l'une et l'autre de ces formes de gouvernement. La définition classique donnée
par les Grecs des types d'État ne s'applique plus, car nous ne sommes même pas une oligarchie au sens où ils
l'entendent. Nous sommes peut-être une constellation de pouvoirs...927

Mais il ne peut adhérer à ce principat qui sacrifie des victimes à la raison d'État. Mécène est le symbole de cette déchéance, se condamnant lui même à l'infamie par chagrin d'avoir été abandonné par son ami d'autrefois, devenu un tyran qu'il refuse de glorifier :

Il n'y a qu'une personne, en fait, que j'aie vraiment aimée, et j'ai fait en sorte d'assurer à cet homme ce qu'il désirait le plus ardemment : Rome. Son accession au pouvoir, aidée par mes conseils en d'innombrables occasion, a sauvé l'État et peut-être le monde. J'ai contribué à faire de lui un grand homme pour le bénéfice de tous, et, ce faisant, j'ai collaboré

avec le temps et le monde à la destruction du jeune garçon que j'aimais. J'ai adoré Octave et j'aime encore le petit
garçon qui survit derrière le masque d'Auguste. Cependant, en lui donnant le monde, je l'ai perdu. En sauvant Rome, je

926. Massie 1998, p. 23

927. Ibid., p. 40

269

lui ai appris à placer la raison d'État au-dessus des exigences de l'amour humain ordinaire. Je suis fier de ce que j'ai
accompli et écoeuré par ses conséquences. Mon dégoût s'exprime dans la lubricité, et c'est une piètre consolation que
de savoir que l'amour des étreintes charnelles est moins nuisible à l'âme et au caractère que l'amour du pouvoir...928

Autre pari de l'auteur, faire de Tibère un révolté. Il s'oppose notamment à l'esclavage, pratique ancestrale de la Rome dont il est fier de porter les couleurs, mais qui le répugne de par l'infamie dans lequel elle plonge l'être servile, qui est aussi humain que son maître :

Néanmoins, on doit également admettre que l'esclavage viole la loi de la nature. Nos ancêtres ne pensaient pas ainsi ;
Marcus Portius Caton, homme des plus désagréables, considérait que l'esclave n'était rien de plus qu'un outil vivant.
Ce sont précisément ses mots. Ils me dégoûtent, quant à moi. Un esclave a les mêmes membres et les mêmes organes
qu'un homme libre ; le même esprit et la même âme. J'ai toujours eu soin de traiter mes propres esclaves comme des
êtres humains. En fait, je les considère comme des amis dépourvus de prétentions. Un proverbe dit : « Autant d'ennemis
que d'esclaves. » Mais ils ne sont pas des ennemis par essence. Si les esclaves ont de l'inimitié envers leurs maîtres, ce
sont généralement les maîtres qui l'ont provoquée. Trop de Romains se montrent hautains, cruels et insultants envers
leurs esclaves, oubliant que, tout comme eux-mêmes, les pauvres créatures respirent, vivent et meurent. Un homme
sage, ce qui veut également dire un homme bon, traite ses esclaves comme il voudrait lui-même être traité par ceux qui
ont autorité sur lui. J'ai toujours éprouvé un amusement mêlé de mépris en entendant des sénateurs se plaindre que la
liberté ait disparu à Rome (ce qui est malheureusement vrai) et en voyant, en même temps, les mêmes hommes prendre
plaisir à humilier et accabler leurs esclaves. Ce sont là des idées que j'ai acquises au fil des ans. Je ne les avais pas
toutes quand on m'a confié la mission d'inspecter les casernements d'esclaves. Mais leur germe était là , et cette
expérience l'a conduit à s'épanouir. Ce que j'ai vu dans ces casernements, c'était la dégradation de l'homme929

Il se dégoûte tout autant de la décadence des moeurs, lorsqu'il assiste à un spectacle odieux de perversité et qu'il constate que les lois romaines ne sont plus respectées par personne :

Me tenant en ce moment en retrait des spectateurs, je vis un groupe de voleurs à la tire opérer tranquillement parmi eux, soulageant de leur argent les pauvres imbéciles fascinés

- Il devrait y avoir une loi contre ce genre d'ordure, fit un homme à côté de moi, les lèvres pincées.
- Il y en a une, lui dis-je, avant de m'éloigner.

Il existe effectivement une telle loi, mais elle n'est pas appliquée. Elle ne peut l'être, car il n'est pas au pouvoir du
gouvernement de forcer les gens à se bien tenir. Quand le respect envers les dieux s'est détérioré, quand le désordre
règne dans les familles, la licence l'emporte, et les impulsions secrètes que les hommes refrènent dans une société
décente et bien ordonnée se donnent libre cours ouvertement930.

Enfin, nous nous devons de rapporter le rapport de Tibère à sa seconde femme, Julie, dans la mesure où il explore une vision inédite. Là où la plupart des auteurs, historiens ou romanciers, présentent un mariage malheureux et conflictuel, Massie en fait deux amants dans leur jeunesse et, si le

928. Ibid., p. 77-78

929. Ibid., p. 37

930. Ibid., p. 119-120

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divorce d'avec Vipsania le blesse, il parvient à partager un moment d'amour profond avec sa nouvelle épouse à la naissance de leur fils :

Quelque chose d'étrange m'arriva après la naissance de notre fils. Je tombai amoureux de ma femme. Tout d'abord, je
ne voulus pas l'admettre, même en mon for intérieur. Il me semblait trahir le souvenir de Vipsania. Cependant, cela
arriva, et cela commença au moment où je vis Julie étendue, épuisée mais toujours radieuse, les cheveux répandus en
éventail sur son oreiller, avec notre enfant dans les bras. Je n'avais jamais pensé Julie maternelle. Son attitude envers
ses deux garçons, Caïus et Lucius, était marquée de réserve et de scepticisme ; elle se refusait à partager la haute
opinion qu'avait leur grand-père de leurs capacités. Mais elle se montrait éperdue devant le petit Tibère (qu'elle avait
insisté pour appeler ainsi) et, en les voyant ainsi, je me suis pris à penser : « Cette chose est mienne, le plus désirable
trésor de Rome est mien, mien, à moi seul. » Et mon coeur se mit à déborder d'amour. Je tombai sur un genou auprès du
lit, saisis la main de Julie et la couvris de baisers. Je la pris dans mes bras et la serrai contre moi avec une tendre
assurance et un désir ardent que je n'avais jamais ressentis auparavant, même avec Vipsania. Je fus, ce soir-là et
pendant les mois qui suivirent, un prince parmi les hommes931.

A la mort de ce petit garçon, Julie devient dépressive et commence à laisser déborder ses instincts lascifs. Si elle trompait Marcellus durant leur mariage et que Tibère éprouvait une attirance sexuelle pour elle, Julie restait le plus souvent digne des vertus que l'on attendait d'elle. Détruite par le chagrin, elle s'attire la honte et refuse de voir ses amis d'antan. Exilé à Rhodes, notamment par tristesse de la voir dans cet état, Tibère cherche à la raisonner. En vain : désormais, elle le déteste :

Julie,
Je ne sais ce qui s'est passé entre nous depuis la mort de notre fils bien-aimé. Ce que je puis voir et entendre de ton
comportement m'amène à penser que sa mort t'a dégoûtée de tout, et t'a conduite à désespérer de toute justice et de tout
ordre des choses. Il me chagrine de constater que tu sembles m'inclure parmi les objets de ton ressentiment. Notre
mariage n'a pas été de notre fait. Il nous fut imposé sans égard pour nos sentiments. Je sais que tu aurais préféré en
épouser un autre, et je compatis. Néanmoins, ce mariage a eu lieu. Je me suis appliqué, dès le départ, à honorer mes
obligations et j'en ai été par récompensé par le réveil de mon amour pour toi et la renaissance de la passion physique
que j'avais ressentie quand nous étions jeunes. J'ai cru qu'avec la naissance du petit Tibère, tu étais, à ma grande joie,
en mesure d'éprouver des sentiments analogues. Le temps, les exigences du devoir, les circonstances et un destin cruel
nous ont séparés, alors même que le petit Tibère était arraché à notre affection. Telle était la cruelle volonté des dieux à
laquelle nous étions contraints de nous soumettre. Crois-moi, je comprends ton refus de t'y plier. Je puis même admirer
ta volonté rebelle et compatir avec ce que je considère comme ton malheur. Je suis prêt à voir dans le fait que tu me
repousses l'expression d'impulsions que tu ne peux contrôler, si pénible que cela soit pour moi, en espérant simplement
que les choses changent avec le temps. Mais il y a une chose que je dois te dire. J'ai ma fierté et ne puis supporter le
déshonneur. Je ne suis pas pour rien de la maison des Claude. Si tu ne peux m'aimer, je l'accepte, mais je dois te
demander de te conduire d'une façon digne de l'épouse du chef de la gens claudienne. Tu me le dois, tout comme tu dois
à ton père de ne pas compromettre son autorité morale. Autre chose : tu ne peux espérer trouver le bonheur que si tu
apprends à te respecter. Je pense que là, tu en es grave danger si tu continues à te comporter comme tu le fais. Crois-

moi, Julie, ce sont tes intérêt que j'ai à coeur. (...)

931. Ibid., p. 93-94

271

Tu as toujours été un sinistre hypocrite, et maintenant, en plus, tu es stupide. Tu as toujours été égoïste et sans coeur.
Toute ma vie, on m'a toujours tout refusé, on m'a contrainte de vivre comme l'entendaient les autres. J'en ai assez.
Maintenant, je vis pour moi-même. Je préfère qu'il en soit ainsi. Si tu penses que je suis malheureuse, c'est que tu es
idiot. Et ne menace plus jamais. J'ai moi aussi des armes932.

C'est par égard en leur amour d'antan qu'il se décide à écrire à Auguste, après qu'il ait exilé sa fille indigne, afin qu'il lui accorde le pardon :

Mon épouse, souffrant peut-être de cette sorte de dépression qui, à ce que disent les médecins, peut affecter les femmes approchant de l'âge moyen, s'est conduite d'une manière plus qu'insensée. La nature particulièrement publique de son comportement doit rendre difficile le pardon, car, en tant que Princeps, tu ne peux manquer de l'interpréter comme un défi à l'admirable législation que tu as fait mettre en place. Cependant, je t'adjure, tant en tant que père de notre pays qu'en tant que père de cette malheureuse, de manifester ta clémence. Je te supplie de prendre en considération le fait que mon absence, motivée par mon intense fatigue physique en mentale et mon désir de permettre à Caïus et Lucius de s'épanouir, peut avoir contribué aux aberrations de ma femme. La clémence a toujours ses vertus. Appliquer la justice

dans toute sa sévérité reviendrait à te plonger un poignard dans le coeur...933

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry