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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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d. La sirène et le feu , où l'ombre de Tibère

Évoquer l'Antiquité, ce n'est pas forcément situer l'action dans une époque lointaine. Ainsi, nous pouvons citer deux romans décadents dont l'action se déroule à une période contemporaine à leur écriture et où Tibère fait une apparition à travers la pensée d'artistes, influencés par la postérité du prince de Capri.

Le premier de ces textes, La sirène : Souvenir de Capri, fut écrit par Gustave Toudouze en 1875. L'action se déroule à l'époque moderne, et l'on suit l'aventure de deux jeunes hommes, Paul et Julien, en voyage à Capri. Ils prennent refuge dans l'auberge Tibère, dont la tenancière se réclame descendante d'une maîtresse de l'empereur. L'histoire en elle-même est une histoire d'amour impossible entre l'un des hommes et une sirène mythologique, relation qui finira dans le sang : on retrouve le corps du peintre au pied de la falaise. Les jeunes artistes sont fascinés par l'image de romantisme et d'horreur attachée à l'île de Capri et au personnage du prince. Lisant le nom de l'auberge, ils décident de s'y arrêter :

Albergio de la Luna !

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Albergio di Tiberio !

Albergio della Croce !

- Albergio di Tiberio ! S'exclama Julien en frappant sur l'épaule de son ami. Que dis-tu de cela ? Quelle couleur

locale ! Veux-tu être l'hôte d'un empereur romain ? Et de quel prince, Tibère !

- Allons chez Tibère ! Reprit Paul avec un sourire : on le dit bon vivant, puisque ses soldats le traitaient de

Biberius, de Caldius et de Mero.

- Tu veux fréquenter un ivrogne, toi un poète ?

- Me crois-tu incapable d'apprécier sa cave, et les poètes n'ont-ils pas toujours chanté le vin ?963

Plus loin, Paul est pris d'une vision, celle de la Capri tibérienne, où règne à jamais le spectre du prince :

Sous l'influence d'un mirage, il croyait voir la Caprée du César romain, et Tibère lui-même venait à lui, raide, morose, effrayant; Tibère promenant dans cette retraite son oisiveté malfaisante et dissolue, abandonnant son ancienne activité et les affaires pour se vautrer dans la boue impure de ses vices964

L'autre roman s'intitule Et le feu s'éteignit sur la mer... L'auteur, Jacques d'Adelsward-Fersen, était un homosexuel notoire, mélancolique et incompris, qui finit par se suicider dans son désespoir. Son héros, Gérard Maleine, est un personnage mal dans sa peau, reflet de l'auteur. Il retrace dans les premiers chapitres sa triste vie, celle d'un jeune artiste amoureux, aimable et intelligent, mais profondément malheureux. Amant de l'américaine Muriel Lawthorn, il l'emmène à Capri pour leurs fiançailles, attiré par cette île de ragots et de légendes. Il s'aperçoit vite que les rumeurs circulent sur l'île, notamment à propos des moeurs de Muriel, et que Capri n'offre « d'autre plaisir que la débauche et d'autre peine que la mort965». Lorsque sa fiancée le quitte, partant avec l'amant de sa soeur, Gérard se suicide après avoir détruit tout ce qui pouvait lui rappeler son existence. Peu avant de mourir, il compare son malheur à celui de Tibère, fut forcé de sacrifier un enfant aimé pour prolonger sa propre vie :

C'était là que Tibère, pour la seule fois, avait pleuré. Et Maleine évoquait la vieillesse de l'empereur traqué par les complots, harassé de maladies et de cauchemars, terrorisé par l'idée de mourir, interrogeant les devins pour savoir comment détourner la colère des Dieux, l'ire sanglante du soleil.

- Si tu as jamais aimé un être dans ta vie, disait l'oracle, sacrifie-le.

Justement, à cette époque, par sénilité ou par vice. César faisait élever au palais un petit esclave tyriote recueilli d'un
naufrage sur la côte. L'enfant avait obtenu sa grâce, puis des faveurs, par sa constante douceur et par son étrange
beauté. Pendant quelques jours une lutte terrible dévastait la conscience pourtant si vile du dominateur. Et puis,
toujours, la peur d'être assassiné décidait le vieillard. Il ordonnait enfin, en se cachant la tête sous la pourpre
impériale. Le lendemain, la villa dédiée à Jupiter était réveillée avant l'aurore par la clameur stridente des grandes

963. Toudouze 1875, p. 17

964. Ibid. p. 28

965. Adelsward-Fersen 1909, p. 104

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trompettes droites. (...) On préparait solennellement l'enfant. On le paraît d'une tunique blanche, vaporeuse comme de
la fumée on lui ceignait les chevilles et les poignets de perles et son front pur s'adornait de roses et de violettes. Puis, le
cortège, en serpentant, descendait vers la grotte miraculeuse, y arrivait, alors que le sanctuaire, sauf à quelques jets
rouges des torches, était encore baigné par la nuit.
De nouveau les trompettes cinglaient l'air de deux notes. Tibère descendait de sa litière d'ébène, caressait l'enfant de sa
main glacée, et les prêtres ayant entonné les hymnes se prosternaient, en prière. Peu à peu l'Orient se colorait d'un gris
translucide, très pâle. Derrière la cime des hautes montagnes, les nuages se veloutaient d'une lumière masquée. Les
dernières torches n'éclairaient plus. Un petit jour terne et triste accusait le profil ravagé du Divin qui avait été choisi
par Auguste on avait couvert l'esclave tyriote d'une robe couleur de nuit. L'empereur, tes prêtres et les assistants
s'étaient vêtus d'une façon pareille. Le seul éclat dans ces ténèbres, c'étaient les roses de la couronne du favori et les
opales dont s'ornaient les tempes creuses de Tibère...
Maintenant les voix éclataient plus fortes. L'enfant avait été amené tout près du socle sculpté en face duquel brillait la
minuscule et pure flamme. L'empereur, derechef, flattait le cou délicat. Soudain, un rayon flamba, les choeurs cessèrent,
instantanément, toutes les robes couleur de nuit s'abattirent César, l'enfant, les devins, les mercenaires, apparurent
vêtus de blancheurs.
Un cri, un seul, un atroce cri désespère. L'empereur, blême, tremblant, retirait de la jeune poitrine palpitante le couteau
d'or qui avait troué le coeur.
Dans le soleil glorieux qui inondait maintenant le temple, une larme glissait le long de la joue terne du sacrificateur,
une larme glissait comme la rançon du cadavre.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery