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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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C. Le portrait de Tibère

Avant de conclure notre étude, il convient de nous intéresser au portrait de Tibère. En premier lieu, il nous faut revenir à l'apparence en elle-même, celle présentée dans les écrits de l'Antiquité et passée à la postérité. Dans un second temps, nous ferons état de l'image de Tibère au cinéma, aux scenarii mis en place dans un XXe siècle libéré du débat historiographique qui paraissait dans le théâtre et les romans décadents. Enfin, nous mentionnerons un nouveau genre fictif : le jeu vidéo, l'interaction entre le spectateur et l'action.

I - L'apparence

Par la peinture ou le cinéma, il est possible de mettre un « visage » sur les personnages historiques.

Dans le cas précis de Tibère, nous pouvons nous fier à la description qu'en fait Suétone : Tibère était gros, robuste et d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Large des épaules et de la poitrine, il avait, de la tête aux pieds, tous les membres bien proportionnés. Sa main gauche était plus agile et plus forte que la droite. Les articulations en étaient si solides, qu'il perçait du doigt une pomme récemment cueillie, et que d'une chiquenaude il blessait à la tête un enfant et même un adulte. Il avait le teint blanc, les cheveux un peu longs derrière la tête et tombant sur le cou ; ce qui était chez lui un usage de famille. Sa figure était belle, mais souvent parsemée de boutons. Ses yeux étaient très grands, et, chose étonnante, il voyait dans la nuit et dans les ténèbres, mais seulement lorsqu'ils s'ouvraient après le sommeil et pour peu de temps ; ensuite sa vue s'obscurcissait. Il marchait, le cou raide et penché, la mine sévère, habituellement silencieux971.

Sans aller jusqu'à faire l'éloge d'une prétendue beauté virile et inégalée, le portrait que Suétone réserve à son sujet lui est plutôt favorable, d'autant que l'auteur est généralement peu porté à la flatterie. Roger Vailland, lorsqu'il cherche à résumer le propos général des descriptions de Suétone, dépeint un Tibère « costaud, boutonneux, morose et maniéré972», tandis que Claude est « arriéré mental (...) baveux, bègue et probablement parkinsonien973» ou Vespasien « constipé974». On se doit tout de même de remarquer trois détails curieux :

- La mention de sa main directrice n'est pas forcément dénuée de sens. En effet, pour l'Homme Antique, le fait d'être gaucher pouvait sous-entendre des tendances maniérées, tout comme « la taille au-dessus de l'ordinaire »975.

971. Suétone, Tibère, LXVIII.

972. Vailland 1967, p. 186

973. Ibid., p. 188-189 > inspiré de Suétone, Claude, III., IV. et XXX.

974. Ibid., p. 191 > inspiré de Suétone, Vespasien, XX. où le prince, plein d'auto-dérision et en référence à son visage ridé, avait répondu à un homme lui demandant service qu'il devait attendre que son ventre soit soulagé.

975. Un préjugé qui est notamment reproduit chez Gregorio Maranon, celui-ci affirmant que beaucoup de gauchers de l'Histoire, tels Tibère ou Léonard De Vinci, luttaient contre leur tendance homosexuelle.

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- La preuve de sa force est quelque peu étrange. Tibère était un militaire, il aurait été aisé de lui vanter des qualités telles que « pouvoir assommer un Germain de ses poings », « porter la charge des soldats blessés »,... Ici, la puissance physique se manifeste dans l'exercice sur des fruits et sur des têtes d'enfants, évoquant ainsi des scènes plus ridicules qu'impressionnantes.

- La mention des grands yeux voyant un court instant dans la nuit à fait l'objet de maintes interprétations. Certains songent à un signe d'inhumanité chez Tibère, une nyctalopie animale. D'autres y voient la mention de sa myopie976.

Les quelques bustes identifiés, ou du moins supposés être ceux de Tibère, n'informent pas cette description. Il ne faut néanmoins pas la lire comme un témoignage sûr, une photographie du passé, Suétone n'a pas vu Tibère de ses propres yeux et nous n'ignorons pas que les portraits statuaires sont systématiquement idéalisés977. Néanmoins, de par l'abondance de détails, l'image semble dénuée de désir de caricature (au contraire de portraits postérieurs, comme celui de Caligula, symbole de vice).

Néanmoins, c'est le Tibère des vieux jours, pustuleux et dégoûtant, qui impose son physique à la postérité. S'il n'est pas impossible que le corps de Tibère ait été dégradé avec le temps (rappelons que son décès survint à 78 ans et qu'il semblait porté aux éruptions cutanées), on doit évidemment y voir une dégradation physique accompagnant la dégradation des moeurs. Lorsqu'on lit le portait de Sylla, tel que le décrit Jules Michelet, on ne peut que penser à Tibère, de par leurs similitudes

physiques, et morales à en croire les auteurs antiques : Ce héros, ce dieu, qu'on portait au tombeau avec tant de pompe, n'était depuis longtemps que pourriture. Rongé de maux infâmes, consumé d'une indestructible vermine, ce fils de Vénus et de la Fortune, comme il voulait qu'on l'appelât, était resté jusqu'à la mort livré aux sales passions de sa jeunesse.978

Dans le Banquet (aussi connu sous le nom des Saturnales ou des Césars), issu du Discours de l'empereur Julien, dit « L'Apostat », l'auteur présente un banquet des dieux, organisé par Romulus durant les Saturnales auquel les empereurs défunts sont invités. Tibère a une double-face, d'un côté celle d'un souverain en majesté (son air était majestueux et farouche, son regard à la fois calme et belliqueux), de l'autre celle d'un dépravé (on vit dans son dos mille cicatrices, brûlures et plaies, coups affreux, meurtrissures et - conséquence de la vie débauchée et cruelle - comme des traces de gale ou de lèpre qui auraient été cautérisées979)

976. Pline, dans son Histoire Naturelle, a le soin particulier de décrire les yeux d'Auguste, une image terrifiante : « Le divin Auguste avait des yeux gris tels ceux des chevaux, le blanc étant plus large que la normale humaine ; pour cette raison, il se mettait en colère si quelqu'un le dévisageait trop intensément. » (Pline, Histoire Naturelle, XI., 54.)

977. Les empereurs sont souvent comparés aux dieux et aux héros mythiques, à de rares exceptions : pensons au buste de Philippe l'Arabe, surprenant de « réalisme » lorsqu'il dépeint ses rides et son air soucieux.

978. Michelet 2003, p. 424

979. Julien, Les Césars, X.

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Paul-Jean Franceschini et Pierre Lunel, dans Poison et Volupté, cherchent à restituer ce portrait : A l'entrée de sa mère, Tibère se leva, déployant avec gaucherie son corps alourdi d'athlète retiré du stade. L'épaisse chevelure s'était clairsemée, des irritations rosâtres avaient envahi le large visage où deux buissons de sourcils gris semblaient fournir des cachettes à des yeux inquiets constamment sur leurs gardes. Quand, à onze ans, il avait été emmené par sa mère au foyer d'Auguste, celui-ci l'avait surnommé « le petit vieux », tant il trouvait l'enfant morose.980

Cette même vision d'horreur transparaît chez Maria Siliato : Le tribunus conduisit Gaius aux seuil de l'exedia et s'immobilisa. C'est ainsi que Gaius découvrit l'homme qu'on avait appelé « L'exilé de Rhodes » et « L'empoisonneur impérial ». Il se tenait debout, en plein soleil, entouré de trois ou quatre courtisans, qu'il dominait de sa grande taille. On disait qu'il avait soixante-treize ans. A en juger par son buste, exceptionnellement large, il avait du être très fort dans sa jeunesse. Ses lèvres pincées lui donnaient une expression torve, celle-là même qu'il affichait sur les statues et les pièces de monnaie. Mais sa peau était semée de tâches rougeâtres qui témoignaient d'une infection cutanée. Étrangement, ce détail répugnant le rendait humain. Derrière lui, les colonnes, la mer, les îles, la côte et le ciel composaient un paysage sublime.981

Certains auteurs font parler Tibère pour souligner cette décadence physique. Jean de Strada présente le point de vue de l'empereur, déplorant les ravages du temps :

Ce corps, c'est le même être ! - et n'a rien du même être !
Ce corps fut petit, rose, et ne fit que de naître,
Ce corps fut grand et fort, - des cheveux noirs bouclés...
Et me voici hideux, les os mal assemblés !
La nuit, je sens les vers marcher en multitude
Dans ma chair, et ronger cette décrépitude !
(...)
Ce coeur aussi fut jeune, et tout jeune il aima.
Ce bloc dur où tout meurt un instant s'anima.
Il aima tout enfant aux baisers de sa mère,
Ce roc qui fut un coeur, et n'est plus qu'un ulcère !
A quinze ans, il aima des regards de quinze ans. -
Puis le tour fut joué. - Tout me fut instruments,
Amours, amitiés, tout. - Je fus seul à moi-même. -
Le corps perd sa fraîcheur et l'âme son poème ;
L'âge a tué le corps et le vice le coeur.982

Ainsi apparaît-il dans Caligula, de Tinto Brass (1979), campé par un Peter O'Toole grimaçant. L'acteur, qui joue ici l'un de ses premiers rôles dans un film à sujet antique (il fut Auguste vieillissant dans Imperium Augustus en 2003), est artificiellement vieilli. La peau du prince est pustuleuse, sans doute marquée par la syphilis, et il est dépeint affaibli, enlaidi, travesti d'une

980. Franceschini 2001, p.8

981. Siliato 2007, p. 184

982. Strada 1866, p. 215

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perruque grossière, ne pouvant réprimer des mimiques d'alcoolique983. Certains réalisateurs ignorent les descriptions de l'Antiquité et présentent un symbole ridicule et maléfique. Le Tibère de The Lost Civilization of NoyNac (Clint Sargent, 2004) est joué par un acteur d'une quarantaine d'années (Davy Blanchard, connu pour cet unique rôle), faisant de l'empereur un personnage vulgaire, passant son temps à hurler inintelligiblement, toussant, respirant fort et grimaçant sans arrêt (il met en avant sa mâchoire inférieure et roule des yeux). De même le Tibère des Chaudes Nuits de Caligula (Roberto Montero, 1977), joué par Gastone Pescucci, est méconnaissable. Le réalisateur en a fait un homme maquillé, portant perruque blonde et bonnet égyptien : un personnage efféminé et orientalisé. S'entourant de femmes dénudées, il attise la jalousie de Caligula, jeune homme ridicule. Tout au long du film, on le voit touiller une mixture dans une grande marmite, à la grande curiosité de Caligula et du spectateur. Si le jeune débauché pense bien longtemps qu'il s'agit d'une potion magique attirant les femmes, il sera déçu d'apprendre que Tibère préparait... des macaronis. Humilié par l'empereur, qui le fait fouetter par sa maîtresse, il est finalement vengé lorsque celle-ci tue Tibère en l'assommant avant de voler ses vêtements - trop grands pour elle.

Il est difficile d'évoquer un véritable poncif du physique de Tibère. Sans doute est-ce dû à sa présence dans des épisodes très espacés par le temps. Quand on évoque César, par exemple, c'est presque systématiquement dans la période postérieure à la Guerre des Gaules. Que l'épisode présenté soit le combat avec Vercingétorix, les amours avec Cléopâtre ou son assassinat, les événements ne sont espacés que d'une dizaine d'années tout au plus984. Dans le cas de Tibère, on peut dépeindre le divorcé mélancolique qu'il était à trente ans, le quinquagénaire peu enthousiaste à l'idée de succéder à Auguste, ou le septuagénaire caché dans son île. Ces multiples facettes rendent toute caricature difficile (si ce n'est par la purulence de ses dernières années).

Les peintres modernes n'ont que peu représenté Tibère. Lors de nos recherches, seules neuf occurrences nous sont apparues, dont deux inaccessibles985. Et, sur ces résultats, la majorité des peintres représentent le monde de Tibère plus que le personnage lui-même. Sur le tableau Orgy of the Times of Tiberius on Capri (H. Siemiradzki, 1881), on voit les débauchés faire la fête sur la

983. Il s'agit ici d'un jeu d'acteur, mais P. O'Toole était notoirement alcoolique. De sorte que le producteur Bob Guccione, ayant eu vent de critiques de l'acteur sur son film, ne put s'empêcher de se plaindre qu'il ne l'avait « jamais vu sobre » et que ses « retards leur avait coûté une fortune ». (in. Patrice De Nussac, Le Journal du Dimanche, 29/06/1980)

984. Quelques films présentent la jeunesse de César - son rapt par les pirates ou ses premières armes contre Spartacus, mais ils restent minoritaires.

985. Les tableaux « Le mariage de Tibère » (J.-B. Rambaud, XIXe siècle) et « Esquisse de la tête de Tibère » (J.-P. Laurens, peintre ayant vécu de 1838 à 1921). Toutes deux ont été vendues à des particuliers, respectivement en mai 2004 et juillet 2011 (source : Artprice)

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côte de l'île, dans le désordre et la saleté (un homme nu est évanoui sur un drap tâché de vin ou de sang), mais aucun personnage n'apparaît susceptible d'être l'empereur. Seules deux occurrences représentent clairement notre personnage. La première, Souper de Tibère chez Sestius Gallus (G. Surand, vivant de 1860 à 1937986), présente Tibère en compagnie d'un ami, posés sur des couches et entourés de quatre femmes nues. Le détail n'a pas été apporté au visage, et la restauration de l'oeuvre semble - du moins sur le descriptif de l'acte de vente - négligée. Les traits de Tibère sont effacés, et l'on ne le distingue de son camarade que par sa couronne. L'autre portrait, plus célèbre, est La mort de Tibère (J.-P. Laurens, 1864 - voir couverture). On y voit Macron, toge rouge, barbe et corps athlétique, presser le cou du vieil homme tout en immobilisant la main de sa victime. Tibère est enveloppé dans un drap, et l'on ne voit que son visage horrifié (notons des mèches brunes, alors que le vieillard est souvent décrit comme atteint de calvitie) et son bras droit, alors qu'il tente de repousser son assassin.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon