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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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Conclusion - Le repos de Tibère

Notre étude se devait de comprendre tous ces aspects de la postérité992. Des travaux d'historiens à l'art pictural du cinéaste en passant par la plume de l'auteur, Tibère est à la fois unique et différent. Nous pouvons noter une évolution générale de la représentation de l'empereur : de la condamnation sans concessions qui lui fut réservée pendant près de dix-huit siècles à la réhabilitation, du moins partielle, en oeuvre depuis deux siècles, Tibère a changé dans les mémoires. Ne pensons toutefois pas à la linéarité d'une tel propos : Suétone et Tacite restent nos sources principales, celles qui inspirent le mauvais empereur de la fiction, le symbole de cruauté et de débauche. Et si, au vu des travaux d'historiens cités tout au long de ce mémoire, essentiellement favorables à Tibère993, le lecteur serait tenté de rejeter les morales assassines de Laurentie, Pasch ou Champagny, il ne le faut pas : aussi sérieux et engagé que soit l'historien traitant de Tibère, il créé un personnage de fiction, un personnage morcelé par la critique et le temps, reconstitué comme une créature par l'imaginaire et la partialité de l'auteur. Tibère est et reste un prince plein de complexité dont la vie peut être perçue, sans mauvaise foi aucune, de bien des manières : le vieillard pleurant sa solitude et le pédophile pustuleux sont une seule et même personne. Nous ne devons pas débattre sur ce qu'était réellement le caractère de Tibère, s'il était un « Bouc de Capri » à opposer à « l'Agneau Christique », s'il était un héros de la République né trop tard ou une bête immonde. Ce qui importe, c'est de comprendre comment présenter un même personnage, à l'existence attestée, de tant de manières différentes tout en restant fidèle à l'Histoire ou, du moins, fidèle aux historiens.

A la fin de notre cinquième chapitre, nous établissions que le règne de Tibère, aussi chaotique qu'il put être sous Séjan et aussi difficile qu'ait été l'établissement du principat en tant qu'oeuvre dynastique, fut en partie un bon règne, bien plus louable que ceux de ses successeurs. De plus, si dans le cas de bons empereurs comme Titus, on peut établir le constat d'un bon règne sur la brièveté de leur vie en tant que prince (le « bon » mourant avant que le pouvoir le pervertisse), Tibère a su maintenir la paix dans l'Empire et développer l'économie des provinces durant un long moment : de son accession en septembre 14 à sa mort en mars 37, son règne aura duré vingt-deux ans, cinq mois et vingt-sept jours, soit le quatrième plus long de l'Empire unifié994. Mais aux yeux de l'Histoire, il

992. Par manque de temps et du problème de langue, nous n'avons que peu évoqué l'opéra - trois occurrences s'ajoutant à celle mentionnée dans le chapitre sur Vipsania - et la littérature allemande qui, comme le dit Marie-France David-de Palacio, n'a que peu souvent été traduite. Il est donc possible de poursuivre cette étude à la lumière de ces nouvelles sources.

993. Non qu'ils soient explicitement plus nombreux, mais l'on doit faire le même constat que celui concernant notre mémoire des empereurs : on retient ce qui sort de la norme et cette « déviance » au XIXe était justement de prendre parti pour Tibère et contre Tacite.

994. Derrière Antonin (22 ans, 6 mois et 25 jours), Constantin (30 ans, 9 mois et 27 jours) et Auguste (41 ans, 7 mois et

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est resté un tyran empli de dissimulation et de ressentiment dont le règne fut morcelé par son propre caractère : jusqu'à son accession au principat, il était partagé entre l'infortune et l'honneur, l'ingratitude et le plaisir, la gloire et l'exil, l'espérance et la déception ; durant dix ans il dut régner sans joie, mêlant sévérité et justice ; puis les huit années suivant le transformèrent en despote, une tyrannie dont il est la première victime ; la fin de sa vie ne fut qu'une « horrible et délirante cruauté que rien n'excuse, mais qu'expliquent la douleur du père désabusé, la honte du despote impuissant qui se venge sur tout ce qu'il peut atteindre, et pendant lesquelles le monstre se fait horreur995. »

Si Tibère a été condamné, c'est parce qu'il était unique. Pour l'Empereur romain, du moins pour les plus célèbres, il n'y a que deux images qui peuvent se dessiner à sa mort : s'il a été bon, il devient divin, s'il a été mauvais, il est damné - un jugement fort manichéen. Et Tibère est l'un des seuls - selon Emmanuel Lyasse996 - si l'on excepte Caligula et Galba, à n'avoir été ni divinisé, ni condamné. La postérité ne sait qu'en penser : s'il était si mauvais, pourquoi son image n'a t-elle pas été effacée ? S'il était bon, pourquoi n'a t-il pas été célébré par ses successeurs, autrement que par la sympathie supposée de Domitien ? Alors l'homme dissimulé est victime de son propre silence : personne ne le comprend, et personnage ne peut ni flatter ni injurier son cadavre.

L'image de Tibère a changé. Pour l'Homme du XVIIIe - et précédemment - il était le mauvais empereur, incapable de telles réussites tant son image avait été ternie par le récit de ses turpitudes. Désormais, l'historien se refuse à caricaturer les figures de passé et va chercher à réhabiliter en partie tout personnage jugé infâme. L'infidélité de Julie ? Une manière de s'affirmer en tant que femme et de refuser d'être un outil politique ! Les complots de Livie ? Elle les jugeait nécessaires pour le bien de Rome ! Même la trahison de Séjan peut s'expliquer par une excitation des ambitions et faire du pire des lâches une victime. De la même manière, les Modernes ne souhaitent plus glorifier la mémoire des « héros du passé » sans faire appel à leur esprit critique : aussi populaire qu'il soit, Germanicus était un idéaliste dont le règne aurait sans doute changé du tout au tout la postérité. Tibère aurait-il pu échapper à ce jugement s'il était mort à la place de Drusus, d'une blessure supposée aggravée par ses ennemis ? Démystifié, le prince, au XXIe siècle, n'a presque plus rien de commun avec celui que l'on présentait quelques siècles auparavant.

De nos jours, que la cause soit le manque de culture historique ou le fait que la réhabilitation ait

3 jours) - des dates bien entendu contestables si l'on prend en compte leur règne comme César. Si l'on élargit notre propos à l'Empire romain d'occident, Flavius Honorius et Valentinien III (respectivement 28 ans, 6 mois et 29 jours et 29 ans, 4 mois en 23 jours) le dépassent également.

995. Zeller 1863, p. 67-68

996. Lyasse 2011, p. 219-220

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remis en question des siècles d'images « choquantes », Tibère semble avoir été oublié par le non-historien. Après avoir questionné des individus n'ayant pas suivi d'études en Histoire, et leur avoir demandé de citer des noms d'empereurs romains, on note une récurrence de certaines références : sur quatorze témoignages997, onze citent Auguste, huit César (!), sept Néron, deux Constantin, Commode, Marc-Aurèle (sans doute en raison du succès de Gladiator), Romulus Augustule, Hadrien et Caligula998. Pas un n'a cité Tibère.

Alors Tibère a peut-être accédé, malgré lui et vingt siècles après sa mort, à ce que les historiens de la réhabilitation ont cherché à lui faire souhaiter : le repos. De son vivant, il était haï, après sa mort, tout autant, voire plus et - désormais - non seulement les historiens ont cherché à le réhabiliter, à comprendre ses peines mais l'Homme l'a oublié. « Laissons-les me détester, pourvu que dans leurs coeurs, ils me respectent » : un voeu qui aura pu se réaliser, mais trop tard pour Tibère.

997. Nous remercions leur participation à ce sondage - par commodité, il n'a pas été étendu aux étudiants en Histoire ou aux proches ayant connaissance de ce sujet d'étude. De même, il fut convenu d'anonymer les réponses.

998. Parmi les occurrences uniques, on notera la mention de Claude, Héliogabale,... et même de Maximin, qui nous semblait peu reconnu par les non-historiens

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery