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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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ANNEXE 6 - L'érotisme dans l'horreur

[ Gaston DERYS, La Volptueuse Agonie, 1900 ]

L'amitié passionnée que Tibère avait vouée à Elius Séjean, préfet du prétoire se changea, dès que l'empereur connu,
par ses espions et par sa propre perspicacité, que l'ambition du favori ne reculerait point devant un régicide, en une
haine féroce et insatiable qui, pour se mieux satisfaire, se masqua d'hypocrisie.

Le souvenir des honneurs accordés au préfet attisa la ressentiment de César. Dévoré de rage, il évoqua le temps où il
l'avait solennellement décoré du titre de « compagnon de ses travaux », et où il avait exigé que ses images fussent
saluées au forum, au théâtre et à la tête des légions. Et il rêvait la perte de Séjean quand, tout à coup, se révéla la
conspiration que celui-ci, acculé, tramait dans la débâcle de ses espérances.

Avec autant d'ardeur qu'il en avais mis à encenser Séjean tout puissant, le Sénat applaudit à son supplice et poursuivit sans relâche ses parents, ses clients, ses amis. Pour se débarrasser des hommes gênants, on leur découvrit des liens d'affection avec le condamné. Rome connut des jours de deuil, de boue et de sang. Cependant, deux des enfants de l'ancien favori avaient, à cause de leur jeunesse, échappé au carnage. Autant pour calmer la grondante colère de la plèbe, avide d'infamie, que pour assouvir, jusque dans l'innocente postérité d'Elius, une vengeance avilissante, Tibère

ordonna qu'ils fussent traînés en prison.

Il y avait un adolescent et une vierge, presque enfant. Sans délai, le mâle fut livré au bourreau. La jeune fille attendit
son sort quelques jours. Malgré Caprée, malgré une longue habitude du crime et de la cruauté, César hésitait, peut-

être par crainte des Dieux, à trancher la fleur de cette frêle vie ignorante, car il était inouï qu'une vierge fût punie de la
peine capitale. Tibère trouva dans l'ignominie de son âme un expédient qui lui permit de concilier sa haine
exterminatrice et ses scrupules. Il manda le bourreau et ricana :

- Viole-la d'abord. Il ne sera pas dit que César a fait répandre le sang d'une vierge.

Ce bourreau était un Germain que l'on avait ramené couvert de fers à Rome, lors de la révolte des Frisons. Poilu
comme un ours, d'une taille prodigieuse, dépassant de la tête les plus grands des Romains, balançant, au bout de longs
bras noueux et durs comme des chênes, des poings pareils à des béliers, on le destina aux jeux du Cirque.
Complètement nu, armé de ses seuls poings, il avait une fois tué et mutilé trois gladiateurs protégés par le casque, le
bouclier, les jambarts et le glaive. A cause de sa vigueur et de sa férocité, Tibère l'estimait : il trouvait en lui un
précieux et aveugle auxiliaire pour ses crimes. Il s'était attaché le rebelle vaincu, et du paria avait fait un bourreau.
Quand le Frison pénétra dans le cachot où se lamentait la fille de Séjean, la vierge, effrayée par l'apparition du
monstre velu, poussa un cri de terreur, et son premier mouvement fut de cacher son visage derrière ses doigts amaigris.
Pendant quelques instants, le barbare jouit de l'effroi sanglotant de sa victime. Puis sa main rejeta les couvertures du
grabat, et brusquement déchira la tunique intime de lin blanc, et le petit corps de la jeune fille fut nu et crispé
d'épouvante devant son désir et ses yeux sanglants.

Tout en elle était fragile, délicat et puéril. La nubilité n'avait pas encore gonflé sa poitrine garçonnière, et sur ses seins mignards s'éveillait, promesse fleurie, un bouton de rose apriline. Sous la sveltesse harmonieuse de ses bras

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implorants, s'estompait vaguement une mousse d'ombre fauve. Ses jambes étaient fragiles et légères comme celles de
Diane. Ses larmes jaillirent et sa voix supplia.

Avec un rugissement, le Frison, haletant, se jeta sur la douce proie blanche. Il l'enferma dans la force implacable de ses
bras, l'écrasa contre sa poitrine de cynocéphale, lui souffla une haleine de forge, meurtrit ses flancs sous son élan
fougueux. La petite bouche frivole et mutine de l'enfant s'élargit pour des hurlées de douleur. Sa chair, torturée,
pantela. Dans l'étreinte victorieuse du Germain, elle fut perdue et ballottée comme une trirème roulée au sein de la
tempête. Soudain, une souffrance plus lancinante la tarauda, et - miracle ! - dans un grand cri puissant, s'acheva en
volupté.

Ainsi la fille de Séjean devint femme.

Satisfaite, la brute velue contempla la pâmoison accablée de celle qu'il venait d'initier à l'amour, avec cette
reconnaissance heureuse et inconsciente que les hommes ont pour les femmes, après le spasme. Un peu de pitié amollit
son coeur. Il songea avec amertume que bientôt, par la volonté de César, cette chair qu'il avait fait vibrer sous son
baiser connaîtrait la rigidité de la mort. Et comme la jeune fille demeurait immobile, les doigts crispés, la tête
renversée, il la prit dans ses bras, inquiet, et la berça avec de gauches câlineries.

Elle ouvrit les yeux. Nulle haine n'aiguisa son regard. Ses prunelles furent pleines de flammes et de langueur. Lasse et
faible, elle se trouvait heureuse et calme, pelotonnée comme son torse chaud et palpitant. Il ne lui voulait point de mal,
puisqu'il la caressait, pensa-t-elle. Et ses petites mains joueuses se cachèrent dans sa barbe. Une fierté montait en elle,
à cause des mystères dévoilés. De nouveau, le Frison la pétrit sous son étreinte frénétique. Les tortures précédentes
s'abolirent. Le même hymne de joie bramée roucoula dans leurs gorges.

Et la nuit s'acheva délirante et bestiale...

... Lorsque après quelques heures d'un sommeil de plomb, le Frison se réveilla, une chaleur aux lombes, une lourdeur
aux tempes, il se demanda en contemplant la nudité grêle et gracieuse de la jeune fille et au souvenir des gestes
nocturnes, s'il ne valait pas mieux fuit, n'importe où, avec l'amoureuse dans ses bras, que d'obéir à l'empereur. Puis il
réfléchit que Rome grouillait de délateurs, que ce projet était irréalisable, qu'il possédait la confiance de Tibère, et que
de belles patriciennes, pour savourer la secousse formidable de son étreinte, prodiguaient leur or.

Il attendit que sa maîtresse d'une nuit ouvrît les yeux, lui donna l'aumône d'une suprême caresse, et comme elle criait
sa ferveur, la prunelle dilatée, envoya, d'une brève pression de ses doigts de fer sur la gorge frémissante, son âme dans

l'éternité.

Ainsi Tibère, qui pour que les Dieux ne lui reprochassent point la mort d'une vierge, et par raffinement de cruauté, avait ordonné - comme le rapporte Tacite - que la fille de Séjean fût violée avant d'être étranglée, prépara à sa victime une

voluptueuse agonie...

Sources Antiques

AURELIUS VICTOR, Livre des Césars (trad. C. BOUIX, 2011)

CRINAGORAS, Anthologie grecque (trad. K. CHISHOLM, 1981)

DION CASSIUS, Histoire Romaine, Tomes LIV à LVIII (trad. E. GROS, 1866)

EUTROPE, Abrégé d'Histoire Romaine (trad. E. LYASSE, 2011)

FLAVIUS JOSEPHE, Antiquités juives (trad. C. BOUIX, 2011)

JULIEN, Le Banquet (trad. C. LACOMBRADE, 1964)

OVIDE, Tristes (trad. C. BOUIX, 2011)

PETRONE, Satiricon (trad. G. PUCCINI, 1995)

SUETONE, Vies des Douze Césars (trad. H. AILLOUD, 1961)

TACITE, Annales, Livres I à VI (trad. J. L. BURNOUF, 1859)

VELLEIUS PATERCULUS, Histoire Romaine, Tome Second (trad. P. HAINSSELIN et H. WATELET, 1931)

Note : Nous avons pu consulter des traductions plus récentes de Dion Cassius et Tacite et les comparer999. Le choix de retranscrire ces versions « datées » tient du domaine de la commodité : celles-ci ont été numérisées et pouvaient être consultées à tout moment.

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999. Respectivement les traductions de J. AUBERGER (1995) et H. LEBONNIEC (1987-1992)

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand