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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Rome et l'impérialisme moderne

Si les Allemands comparent Tibère à Guillaume, ce n'est pas simplement en constatant la haine commune qui leur est réservée. C'est aussi une analogie de caractère : tous deux sont présentés comme des hommes susceptibles, dédaignés par le peuple qui se sent délaissé, et proches de la paranoïa. Cette mentalité prêtée aux princes est précisément ce qui inspire le concept « d'empereur de la décadence romaine », tel que le décrit M.-F. David-de Palacio. Les personnages décrits par les Anciens servent aux Modernes pour caricaturer leurs contemporains et leur prêter les torts moraux de leurs « ancêtres » sans risquer d'ombrager la sensibilité de leur souverain, puisqu'on ne le nomme pas explicitement. Le mépris de Tibère étudié par les Allemands est, à demi-mots, celui de Guillaume ; parler des pratiques amorales des Césars, en France, c'est railler Napoléon III ; condamner les odieuses manifestations des spectacles de l'Antiquité, c'est rappeler au souvenir de Louis II de Bavière. Si le tyran ne voit pas son nom apparaître, il ne peut que passer pour un paranoïaque en se sentant visé : certains auteurs ont supposé que la disgrâce de Suétone ait été une réaction du prince Hadrien, comprenant que les Vies des Douze Césars, sous couvert de synthèse historique, le moquaient dans l'évocation des vices de ses prédécesseurs. L'Antiquité, qu'elle soit présentée dans une fiction ou dans une étude universitaire, devient satire politique pour se moquer du tyran mal aimé et décadent.

Au delà de la fiction, la question de la légitimité impériale est discutée par les historiens à travers l'image d'un empire passé, dont la grandeur n'eut d'égale que la déchéance. Nous ne nous étonnons

112. En réalité, il fut le troisième empereur : son père Frédéric III régna trois mois, 1888 devenant « L'année des trois Césars », en référence à la crise impériale romaine suivant la mort de Néron

113. Kohut T., Wilhelm II and the Germans, Oxford : Oxford University Press, 1991, p. 227-228, in. David 2006, p. 4344

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pas de voir l'intérêt porté à Rome être renouvelé à une époque où les principales puissances européennes suivent des directives impérialistes, gouvernées par des empereurs et/ou se dotant de colonies lointaines. Edward Beesly, britannique, fait souvent allusion aux relations entre élites romaines et provinces prospères, les comparant au sentiment de la haute société britannique de son temps avec la colonie indienne.

Tibère est un personnage ambigu : il peut tant servir à glorifier qu'à infirmer la légitimité impériale. Les républicains, du moins les anti-impérialistes114, veulent prouver l'inconsistance d'un tel régime, qui a conduit à l'échec et à l'infamie un Tibère volontaire, dont les capacités auraient été saluées quelques générations auparavant. Ailleurs, et c'est notamment l'argument soulevé par Napoléon Ier, l'image de Tibère vient d'auteurs se réclamant républicains qui, s'ils mentent, ont cherché à pervertir la perception future des fondateurs du régime abhorré. Il s'agissait de nier les réussites de Tibère

tant elles allaient à l'encontre des convictions de ses critiques : Durant la Révolution française, Tacite fournit l'inspiration aux révolutionnaires en temps qu'ennemi du despotisme, le vrai apôtre de la liberté et de la République. Madame Roland lisait les Annales comme un livre saint. Mais Napoléon, quand il posa les fondations de son absolutisme, fit une grande découverte. L'image des Césars, et plus particulièrement celle de Tibère, que Tacite présentait était erronée. L'Empire avait été une réelle bénédiction, et ses sujets avaient vécu dans la prospérité. Au moins un journaliste fut forcé de stopper la publication de son journal, et un professeur perdit sa place car ils continuaient de vanter Tacite. Au début du Second Empire en France, la controverse autour de Tibère s'était propagée à d'autres parties de l'Europe, et désormais, même si elle était encore renommée en France, les plus efficaces de ses fournisseurs étaient les savants allemands.115

Quels que soient les convictions des auteurs, chacun peut reprendre la réhabilitation de Tibère à son propre compte : l'impérialiste y verra l'incapacité de concilier république et empire, le républicain soulignera les idéaux démocratiques d'un prince au règne mêlé de bon et de mauvais, le nationaliste allemand respectera celui qui a su vaillamment guerroyer contre ses ancêtres sans jamais les sous-estimer. De même, l'historiographie évolue et, selon Grégorio Maranon, « la glorification (de Tibère) par les auteurs modernes est l'expression typique de l'éthique moderne selon laquelle, tant que l'homme est efficace, on peut tout lui pardonner. » Pour qui veut présenter Tibère comme un homme de valeur, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !

Mais ce nouveau constat ne plaît pas à tous les auteurs de la fin du XIXe siècle. Car réhabiliter Tibère, c'est aller à l'encontre, voire faire table rase de près de dix-huit siècles d'historiographie.

114. Edward Beesly souligne régulièrement dans son étude la position anti-impérialiste des britanniques, qui ne leur permet pas d'apprécier Rome à juste titre.

115. Kuntz 2013, p.8

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Ainsi, un courant historiographique se forme en réaction à cette nouvelle lecture de l'Histoire : le courant anti-tibérien.

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