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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. L'affaire Postumus

Pour illustrer ce conflit, l'affaire Agrippa Postumus semble la plus adéquate. Celui-ci, petit-fils d'Auguste (il est le fils posthume - d'où son nom - de Marcus Agrippa et de Julie, fille du prince), fut déshérité par son grand-père et mourut dans des circonstances étranges quelques jours après la mort de l'empereur. Les auteurs de l'Antiquité ne se rejoignent pas sur cet événement :

- Pour Tacite, la responsabilité de Tibère ne fait aucun doute : Le coup d'essai du nouveau règne fut le meurtre de Postumus Agrippa : un centurion déterminé le surprit sans armes et cependant ne le tua qu'avec peine. Tibère ne parla point au sénat de cet événement. Il feignait qu'un ordre de son père avait enjoint au tribun qui veillait sur le jeune homme de lui donner la mort, aussitôt que lui-même aurait fini sa destinée ? Il est vrai qu'Auguste, après s'être plaint avec aigreur du caractère de Postumus, avait fait confirmer son exil par un sénatus-consulte. Mais sa rigueur n'alla jamais jusqu'à tuer aucun des siens ; et il n'est pas croyable qu'il ait immolé son petit-fils à la sécurité du fils de sa femme. Il est plus vraisemblable que Tibère et Livie, l'un par crainte, l'autre par haine de marâtre, se hâtèrent d'abattre une tête suspecte et odieuse. Quand le centurion, suivant l'usage militaire, vint annoncer que les ordres de César étaient exécutés, celui-ci répondit qu'il n'avait point donné d'ordres, et qu'on aurait à rendre compte au sénat de ce qui s'était fait.132

130. Maranon 1956, p. 64 : « La mère de Tibère, Livie, unie par le mariage à Auguste, préserva toute sa vie une rancune familiale envers le clan d'Auguste, qui avait persécuté les Claudiens jusqu'à ce qu'elle l'épouse. Comme les femelles de certains insectes, elle conquit Auguste et devint son épouse pour en tirer le meilleur profit. Peut être, en raison de sa froideur de comportement, elle respectait Auguste en tant qu'homme ; un tel respect est compatible avec la haine familiale. Mais il est évident que toute sa vie fut un gigantesque effort de sa volonté de femme pour accomplir la destinée de sa famille, les Claudiens, de les amener sur le chariot du pouvoir impérial. »

131. Bowman 1996, p. 214

132. Tacite, Livre 1, VI.

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- Velleius ne porte aucune accusation et rejette la responsabilité sur la victime elle-même, qui

méritait une mort aussi indigne que l'était sa conduite : Vers cette date, Agrippa qui avait été adopté par son aïeul le même jour que Tibère et qui depuis deux ans se montrait tel qu'il était, se perdit par l'extraordinaire dépravation de son âme et de son caractère. Il s'aliéna l'esprit de son père qui était en même temps son aïeul et, ses vices grandissant de jour en jour, il périt bientôt d'une mort digne de sa folie.133

- Suétone propose trois hypothèses : Tibère ne divulgua la mort d'Auguste qu'après le meurtre du jeune Agrippa. Ce fut le tribun militaire préposé à sa garde qui le fit périr, lorsqu'il eut pris connaissance d'une pièce officielle lui en donnant l'ordre ; cette pièce, on ignore si c'est Auguste qui l'avait rédigée avant de mourir, pour supprimer ce qui pouvait causer des troubles après lui, ou si c'est Livie qui l'avait dictée au nom d'Auguste, de l'aveu ou à l'insu de Tibère.134

Sur ce dernier témoignage, les lecteurs seront amenés à considérer que Suétone prenait parti, feignant maladroitement la neutralité : si Tibère a attendu la mort d'Agrippa pour annoncer celle d'Auguste, il ne devait pas ignorer ce qui allait se passer, qu'il en soit l'instigateur ou le complice.

Certains auteurs croient en la responsabilité directe de Tibère. C'est notamment le cas de Gregorio Maranon, qui présente un Claudien plein de ressentiment, prenant sa revanche personnelle sur la famille rivale qui lui avait fait subir maintes humiliations135. C'est également le postulat de Simon-Joseph Pellegrin, dans sa tragédie Tibère en 1729. Agrippa Postumus est le personnage principal de cette pièce, qui narre ses derniers jours alors qu'il vient de rentrer à Rome pour rendre hommage à son grand-père sur son lit de mort. Il est fiancé à Émilie, descendante de Pompée le Grand, attachée aux valeurs républicaines et malaisée à l'idée de devenir impératrice, une situation s'opposant aux valeurs de sa famille. Par amour, Agrippa est prêt à renoncer à ses droits et à restaurer la République d'antan. Tibère est un monstre de dissimulation, affectant de l'amour pour Émilie et de la fidélité pour Agrippa, trompant même sa mère, alors qu'il complote pour devenir empereur. Calculateur, il déjoue un complot contre la vie de Postumus, fomenté par Livie, afin de gagner les faveurs du jeune homme et ne pas être accusé de la mort qu'il lui réserve. Confiant envers Tibère, Agrippa lui propose même de devenir son collègue durant la période de transition nécessaire à la restauration de la République :

AGRIPPA
Ainsi j'aurois, Tibère, un reproche à me faire,
Si mon coeur plus long-tems s'obstinoit à se taire.
Scachez donc mon secret, et comptez sur ma foy ;
Vous êtes en ces lieux aussi maître que moy.
TIBERE

133. Velleius, II, CXII.

134. Suétone, Tibère, XXII.

135. Maranon 1956, p. 94

59

Quoy, Seigneur, avec moy vous partagez l'Empire ? AGRIPPA

Non ; pour la liberté Rome entière soupire.

Unissez-vous à moy, pour briser ses liens ;

Et qu'elle ait deux Césars pour premiers Citoyens136.

Tibère, dans sa lâcheté, feint de se joindre à ses voeux et le fait assassiner secrètement par son serviteur Martian, qu'il compte éliminer à son tour pour motif de trahison. Émilie comprend combien le nouveau prince est horrible, tandis que Livie, atterrée, s'aperçoit que sa propre ambition a engendré un monstre en son fils.

Néanmoins, il est possible que Tibère ait souffert - du moins, politiquement - de ce meurtre. C'est l'hypothèse de John Tarver qui perçoit en cet acte l'image d'un dégoût institutionnel du nouveau prince : comment Tibère pourrait admettre être le dirigeant de ce régime où un jeune homme dénué de pouvoir doit être mis à mort pour la raison d'État ? De plus, la responsabilité du crime remontant naturellement à lui, qu'elle soit véridique ou fictive, le dote d'une image de tyran avant même d'avoir prononcé la moindre décision politique137.

Dans la série Moi Claude, empereur, c'est Livie qui a condamné Postumus, substituant le véritable testament d'Auguste par un factice ordonnant la mise à mort du jeune homme, tandis qu'elle même précipitait cet acte en empoisonnant son mari avec les figues de son jardin. Cette même série fait de l'exil de Postumus le premier crime de Livilla (Claudienne par le sang), qui séduit le petit-fils du prince pour ensuite crier au viol et susciter l'indignation d'Auguste, ce sur ordre de Livie. C'est un complot pour nuire à la famille des Juliens.

L'hypothèse d'un assassinat ordonné par Auguste a longtemps semblé inadmissible : comment le vieil homme aurait pu se résoudre à éliminer son propre petit-fils, lui qui avait été autant peiné lorsque les Princes de la Jeunesse lui avaient été enlevés ? Pourtant, cette hypothèse n'est pas écartée, et sert souvent à réhabiliter Tibère puisqu'elle lui enlève toute responsabilité dans cet acte.

Ainsi Roger Caratini se défend, présentant le meurtre de cet « athlète joufflu et simple d'esprit » : Ce genre de réflexion peut sembler tortueux, mais, un an avant de mourir, Auguste avait raisonné de la même façon : il avait confié au chevalier Sallustius Crispus, le riche conseiller qui avait remplacé auprès de lui Mécène, un ordre écrit qu'il devait adresser, dès sa mort, au tribun responsable de la garde de Postumus, à Pianosa, afin qu'il le fasse

136. Pellegrin 1727, p. 63-64

137. Tarver 1902, p. 258

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disparaître discrètement, en le noyant, par exemple, pour que la mort du jeune homme semble accidentelle.138

Même constat chez Allan Massie, celui d'un prince insoupçonnable dans une période de deuil :

Auguste fut proclamé dieu.
Qu'aurait-on dit si l'on avait su que son dernier acte ou presque avait consisté à donner des ordres pour que son seul
petit-fils survivant, Agrippa Postumus, cesse... de survivre ?
Rien, je suppose. Personne n'aurait osé.139

Dans la série The Caesars, les motivations d'Auguste sont explicitées : il veut priver Tibère de la rivalité d'un jeune homme arrogant et violent. Pour ne pas ternir l'image que lui réserve la postérité, il remet l'ordre de condamnation à son fidèle Crispus, lui faisant jurer de ne rien révéler de ce message. Fidèle à la fonction de prince, et non à l'homme en lui-même, celui-ci propose à Tibère de lui dévoiler le contenu du message, mais le successeur d'Auguste refuse de connaître ces ordres : ce serait trahir son prédécesseur. Crispus part rejoindre l'île où se trouve Agrippa et exécute la missive, gardant à jamais ce secret.

Jules-Sylvain Zeller fait l'analogie entre cet événement et les pratiques ottomanes, suivant ce même

exemple de fratricide légitimité pour la raison de l'État : L'ordre vint-il d'Auguste ou bien de Tibère ? Tibère prétendit l'avoir trouvé dans les dernières volontés d'Auguste. Cela est resté, comme le voulait le sénateur Salluste, un secret du palais. Ces crimes naissent dans les monarchies où il n'y a pas de loi fixe d'hérédité qui repose soit sur un respect séculaire, soit sur le consentement des peuples. Mahomet II, fondateur du despotisme ottoman, érigea le fratricide en loi de l'État, sous prétexte de l'intérêt de tous. Les premiers empereurs romains devinèrent cette loi mahométane. Les tribuns des légions remplirent plus d'une fois à Rome le rôle des muets de Constantinople.140

Notons également un constat original, celui proposé par Charles Beesly, qui souligne le danger que représentait Postumus pour la légitimité de Germanicus. Ainsi, ce seraient les membres les plus

vertueux de la famille, aux yeux de la postérité, qui profiteraient le plus de ce meurtre : Il est intéressant de remarquer que sa soeur Agrippine ne fit pas preuve de ressentiment ou de regret à la suite de la suppression de celui qui n'était pas moins qu'un formidable rival pour Germanicus, plus que pour Tibère.141

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand