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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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III - La délation

a. La naissance de la délation

- Les délateurs sont aussi utiles à un État que les latrines à un particulier. Cela ne sent pas bon, mais on est bien
heureux d'en trouver pour se soulager le ventre !165

Le règne de Tibère est connu pour être une période de délation, de condamnations sur accusations par un tiers. Parmi les victimes célèbres, nous pouvons citer M. Scribonius Libo Drusus en l'an 6 et T. Sabinus en l'an 24. Yann Rivière y consacre son étude Les délateurs sous l'empire romain et, dans son corpus, la moitié des occurrences, sources à l'appui, concernent les années de gouvernement de Tibère (cette période est également notée comme la seule où fut sanctionné l'adultère au moyen de la délation).

Mais comment cette période de dénonciations, décriée pour avoir apporté tant de peur à Rome, a telle pu se développer ? Pour Lidia Storoni-Mazzolani, c'est en s'efforçant de réprimer l'adulation et le favoritisme qu'il a encouragé les délateurs à se faire entendre, sous prétexte de déjouer de prétendus complots et permettre des condamnations souvent injustes - un phénomène accidentel166. Jules-Sylvain Zeller, quant à lui, dénonce l'instrumentalisation de la loi pour servir à des intérêts meurtriers et faire de lui le « plus terrible des princes justiciers »167. Pour Barbara Levick, enfin, c'est contre la volonté de Tibère que la délation était pratiquée, et c'est elle qui transforma son règne en tyrannie168. Une chose est sûre : la dénonciation pervertissait la justice romaine.

b. La délation perverse

Quand nous évoquons la délation, le terme semble péjoratif. Néanmoins, on la trouve citée telle

164. Grimal 1992, p. 123

165. Franceschini 2001, p. 174-175

166. Storoni Mazzolani 1986, p. 19

167. Zeller 1863, p. 46

168. Levick 1999, p. 150

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quelle dans les documents officiels. Elle devient infamante dans la mesure ou elle n'admet pas de limites, toute contravention à la loi - supposée ou véritable - étant passible d'être dénoncée et jugée. Si l'on s'imagine que la haute société en profita le plus, en se débarrassant de rivaux politiques, des affaires sordides nous sont parvenues : ainsi, les Romains semblent avoir été choqués par des cas de dénonciation ou l'affranchi témoignait contre celui à qui il devait la liberté. De même, Tacite cite avec horreur le procès de Vibius Serenus, un membre de l'ordre sénatorial accusé par son propre fils. C'est de l'exercice de ces pratiques ignobles qu'hérite Tibère aux yeux de la postérité. Dans Le dernier jour de Tibère, Lucien Arnault fait parler le jeune Niger, condamnant son prince en nommant les crimes que celui-ci a permis :

Le meurtre , le poison , d'infâmes délateurs
Ivres tout à la fois d'or , de sang et de pleurs;
La fourbe encourageant et punissant le crime;
La vertu se cachant pour n'être pas victime;
Un peuple , craint par fois et toujours détesté,
Pour des jeux et du pain traître à sa liberté;
La débauche siégeant sur la pourpre flétrie;
Des hommes sans pudeur , des peuples sans patrie;
Voilà par quels bienfaits Tibère a mérité
Cette horreur, qui sera son immortalité!...169

Même constat chez Marie-Joseph Chénier, cette fois de la voix de Cnéius, fils de l'accusé Pison :

Ah ! Parmi ces flatteurs, émules d'infamie,
Une tête innocente est bientôt ennemie.
Quand sous le crime heureux tout languit abattu,
Malheur aux citoyens coupables de vertu,
Et dont la gloire offense, à Rome ou dans l'armée,
Tibère impatient de toute renommée.
Les délateurs, vendant leur voix et leurs écrits,
Viennent dans son palais marchander les proscrits.170

La délation pouvait se justifier si elle était réalisée dans un effort « patriotique », pour dénoncer les traîtres et les conspirateurs. Mais, aux yeux de la morale, toute dénonciation, quand bien même l'accusé serait coupable, est indigne puisqu'elle sert les intérêts du délateur. Ainsi, Pierre-Sébastien Laurentie présente Domitius Afer, un citoyen respecté, comme le coupable des pires injures : recherchant la renommée et la fortune, il s'était fait accusateur de Claudia Pulchra, une amie

169. Arnault 1828, p. 16

170. Chénier 1818, p. 7-8

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d'Agrippine, dénonçant sa mauvaise conduite conjugale et la pratique de la sorcellerie contre le prince, ce pour gagner les faveurs de ses ennemis, à commencer par Tibère171. D'autres, comme Sextius Paconianus, dépeint par Charles Dezobry comme un « homme ne respirant que le crime, ne se plaisant qu'à nuire, fouillant incessamment dans le secret des familles » parviennent à échapper à la justice par des dénonciations172. La délation est alors moralement condamnée, n'étant prétexte qu'à la violence. Dans sa Mort des dieux, Jean de Strada présente un augure cupide, se servant de mensonges pour perdre les chrétiens : il les accuse de « dévorer les chairs d'un enfant par lambeaux » sur leurs autels macabres, sur de fausses accusations, et se vante de « calomnier et savoir payer les délateurs173».

Nous nous étonnerons pas que la tragédie prenne ces événements comme modèles pour dénoncer l'horreur qui règne à Rome. La pièce Tibère de Nicolas Fallet s'inspire de l'affaire Vibius Serenus. L'auteur veut réhabiliter l'image du fils parricide, ici manipulé par le traître Phorbice, un fourbe affranchi de Tibère. Par commodité, comme le père et le fils partageaient le même nom, l'auteur nomme le jeune homme Vibius et l'accusé Sérénus. Malgré les supplications des enfants du condamné et de son gendre, un soldat respecté du prince, la conclusion est tragique : Vibius meurt en voulant libérer son père, sa soeur Otellide se suicide en voyant le corps de son frère et la grâce accordée à Sérénus lui devient horrible, comme elle est marquée du sang de ses enfants. Si Tibère feint la bonté en quelques occasions - il propose à Vibius de l'adopter s'il renonce à le supplier d'épargner son père - il reste détestable, justifiant sa haine envers Sérénus par une jalousie datant de l'époque où il était le bras droit de son frère Drusus, qui était plus aimé que lui-même.

Tibère est souvent accusé de ces crimes. S'ils ont été perpétrés sous son règne, il ne peut en être innocent et doit en avoir profité d'une manière ou d'une autre. Les trahisons semblent amuser le prince qui en fait un jeu de cruauté. Chez Jean de Strada, il se félicite de s'être servi avec autant de brio de cette « belle machine à gouverner les gens » qu'est le crime de lèse-majesté, qui mène les Brutus et les Gracchus d'antan - ses ennemis républicains - les uns contre les autres. Tout cela, il le légitime par le culte de la patrie, l'origine de son pouvoir suprême :

La patrie aux grands jours, c'est la chose publique,
C'est la divinité. Mais l'empereur étant
La patrie incarnée... Écoute... Il est patent,
Certain, pertinent et logique

171. Laurentie 1862 I, p. 454-455

172. Dezobry 1847, p. 267

173. Strada 1866, p. 77

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Qu'il est aussi le Dieu.174

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