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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Usage légal de la délation

Mais la délation a également une utilité légale, des bienfaits qui peuvent excuser en partie l'exercice de cette pratique tant décriée. Tout d'abord, elle permettait de disposer d'informations précises sur l'aristocratie romaine qui, si elle ne se trouvait plus au centre du pouvoir, détenait une puissance non négligeable qu'il fallait contrôler. Par les vengeances personnelles, Tibère pouvait déceler des inimitiés et, pendant qu'ils complotaient les uns contre les autres, les sénateurs se détournaient de leur haine envers le prince.

La délation légale passe notamment par l'exploitation de la loi de majesté (la Lex Maiestas). Celle-ci consistait en la punition de tout acte allant à l'encontre de l'image du prince du crime moral (insultes ou dégradation de statue) à des motifs plus discutables (un homme fut jugé pour être allé aux latrines avec des pièces marquées du visage de l'empereur175). Dans Poison et Volupté, Nerva cherche à raisonner son ami en lui demandant de renoncer à cette loi à l'annonce de condamnations ridicules : un poète vient d'être exécuté pour avoir présenté le roi Agamemnon avec des dartres au visage, référence assumée aux problèmes de peau du prince, et un chevalier est jugé pour avoir fondu une statue de Tibère, qu'il avait dans sa collection, afin de payer ses dettes176. Le tyran condamne le premier, vexé par ce qu'il considère comme une injure, et accepte - trop tard - de pardonner au second.

Par les aspects pervers de la Lex Maiestas, certains y ont vu une manière de ménager la susceptibilité de Tibère, blessé par les satires qui raillaient son alcoolisme de jeunesse, son manque de charisme ou sa soif de sang177. Mais les causes légales sont aussi à prendre en considération. Pour Barbara Levick, déifier Auguste permettait de se donner de nouveaux droits, Tibère devenant le fils d'une divinité, jouant sur la légitimité de la dynastie par le droit divin178. Pour Charles Beulé, le culte de la majesté est prétexte à montrer la servilité du peuple qui s'y attache. Ce « fétichisme impérial » est liberticide et son absurdité avilit la condition humaine, permettant à Tibère de se

174. Strada 1866, p. 71

175. Si, dans les faits, l'image semble se confirmer, il ne faut pas forcément traduire « Maiestas » par « Lèse-majesté » : il s'agissait d'une loi en vigueur sous la République, certes oubliée mais promulguée en un temps sans prince. Dans sa définition, elle punissait l'atteinte à la suprématie romaine. Le prince étant le symbole de Rome, l'insulter revient à attaquer la dignité de tous les Romains : on ne punit pas l'insulte privée, mais l'insulte du symbole. (Lyasse 2011, p. 197). De même, Barbara Levick traduit « Maiestas » par « Trahison ».

176. Franceschini 2001, p. 172

177. Laurentie 1862 I, p. 339-340

178. Levick 1999, p. 60

protéger de toute opposition. Au sacrifice de quelques rares vies, le prince devient intouchable179.

Mais Tibère ne fut pas forcément favorable à la loi de majesté. Ernest Kornemann fait remarquer que le prince est souvent intervenu en faveur des condamnés, à l'exemple de Silanus, un ancien amant de Julie qu'il autorisa à revenir d'exil à la condition qu'il s'éloigne de toute activité politique180. Jules-Sylvain Zeller rappelle que Tibère a tenté de s'opposer à ces condamnations, ne renonçant qu'après avoir constaté son impuissance à les contrôler181. La délation isole toujours plus Tibère, accusé de la cupidité de ses sujets. Chaque accusation, qu'elle se révèle une vérité ou une manipulation du délateur, se fait sur motif de l'injure envers le prince. Tibère est donc chaque jour confronté à des reproches, et son moral en pâtit. C'est sur ce motif, selon Zeller, qu'il décida - un jour où un sénateur étale les insultes de celui qu'il accuse - de quitter Rome, échappant au jugement de ses sujets. Il part dans une île éloignée, là où il cherche le calme et dont la postérité retiendra le nom comme le symbole des pires ignominies de la troisième décennie suivant la naissance du Christ : Capri182.

179.

73

Beulé 1868, p. 213-216

180. Kornemann 1962, p. 122

181. Zeller 1863, p. 49

182. Ibid., p. 61-62

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille