WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion - Le repos de Tibère - 313

ANNEXES - 316

Annexe 1 - La mort de Germanicus - 317
Annexe 2 - Les instructions de Tibère - 319
Annexe 3 - La condamnation de Livilla - 320
Annexe 4 - La plainte de Séjan - 321
Annexe 5 - Une vie sans retraite - 323
Annexe 6 - L'érotisme dans l'horreur - 324

Sources antiques - 326
Bibliographie - 327
Filmographie - 332

1

Introduction - Les larmes de Tibère

Rome, tremble à ton tour, dans peu tu va connaître
Ce qu'attendent de toi les larmes de ton maître.
Il ne reviendra pas sur tes murs renversés
Fouler de tes enfants les membres dispersés ;
C'est d'ici que sa voix, dictant tes funérailles,
D'un crêpe ensanglanté couvrira tes murailles.
(...)
Que mon destin cruel par eux soit ignoré ;
Surtout ne leur dis pas que Tibère a pleuré1.

C'est par cette tirade que s'achève la pièce de Bernard Campan, Tibère à Caprée. Tibère, l'ancien général de Germanie, l'homme de confiance d'Auguste, l'empereur en manque d'amour vient d'apprendre la trahison de son ami le plus fidèle, Séjan. Celui qu'il pensait sincère, qu'il avait élevé aux plus hautes dignités ne cherchait qu'à le tuer sournoisement et était directement responsable de la mort de Drusus, son fils unique, assassiné avec la complicité de son amante, belle-fille de l'empereur. Tibère, anéanti, ne peut montrer de signe de faiblesse : cet acte odieux doit être puni, et il ordonne des exécutions sans discernement, des coupables désignés à Rome elle-même, lâche et soumise. Mais derrière cet acte tyrannique et vengeur, il reste un homme : le père ayant perdu un fils, le solitaire ayant perdu son meilleur ami. Et Tibère pleure.

Mais pourquoi évoquer les larmes du tyran taciturne, celle du commanditaire des odieuses infamies que rapportent les auteurs de l'Antiquité ? La pitié n'est pas accordée aux mauvais. Peut-on l'éprouver pour le vieillard pustuleux qui violait des enfants dans son palais à Capri ? Peut-on pardonner à celui dont les actes cruels ont façonné la personnalité de Caligula et Néron, des noms synonymes de tyrannie et de débauche ?

Peut-être car Tibère est un incompris. L'image que l'on se fait de lui repose sur des récits d'historiens hostiles à son personnage. Les reproches qui lui sont intentés sont essentiellement des préjugés moraux, une critique de sa solitude ou de son inaptitude à se faire apprécier. Quand on porte attention à sa vie, à ses actes politiques, il est évident que Tibère possède des qualités. Seulement, celles-ci ne sont pas celles souhaitées par ses contemporains. Le Romain de Rome, attentif à la sollicitude des puissants, était amené à apprécier des personnages comme César, comme

1. Campan 1847, p. 77

2

Auguste qui leur étaient - sinon aimable - du moins attentionnés. Ce n'est pas le raisonnement de

Tibère : L'empereur Tibère est un personnage énigmatique. Tacite et Suétone le décrivent comme un vil tyran, toujours prêt à verser le sang, qui mène une vie de reclus sur l'île de Capri pendant que Rome est déchirée par les procès pour trahison et les morts d'innocents. Cela n'est pas tout à fait vrai. Car il y a chez Tibère, plutôt qu'une méchanceté profondément enracinée, un problème aigu d'inadaptation. C'est un souverain qui a fui la vie publique avant son avènement et qui a passé les années actives de sa carrière comme chef militaire en Germanie et dans les Balkans, et non comme politicien à Rome.2

Si Tibère est incompris, c'est soit qu'il est incapable de communiquer la teneur de ses pensées, soit qu'on ne lui offre pas la possibilité de s'expliquer. Pour apprécier Tibère, il faut se poser en psychologue. Forcé de divorcer de sa femme, alors enceinte, sans cesse relégué au second plan de la politique impériale, inapte à se montrer affable, il n'est pas étonnant que cet homme ait éprouvé du ressentiment envers ceux qu'il estimait - à tort ou à raison - cruels avec lui. De là, celui qui a « maintenu la prospérité de l'empire pendant vingt-trois ans » n'est retenu par la postérité que comme « de la boue imbibée de sang3 ».

Les biographes ne s'y trompent pas : la personnalité de Tibère est un élément clé dans la compréhension du personnage. Mais, si le constat est clair, il est malaisé d'écrire sur un homme décédé depuis deux millénaires, aussi célèbre que soit son nom, en tentant de comprendre sa pensée ; une tâche dont étaient incapables ceux qui le fréquentaient. L'historien est donc confronté à un dilemme : rester un scientifique, ne pas tomber dans une interprétation relevant de l'invention littéraire, et ainsi rester insensible au caractère de Tibère ou, à l'inverse, s'évertuer à le comprendre, ce pour réhabiliter le personnage, au risque d'être plus romancier qu'historien. Cette première

approche semble la plus « raisonnable » : Les biographies générales des historiens s'attachent certes à reconstituer avec soin les faits et circonstances des différents principats mais n'évoquent que rapidement les personnalités que ce soit pour leur dominantes, que ce soit pour leurs troubles physiques ou psychiques, et chaque empereur porte telle ou telle étiquette globale de bon administrateur ou de dégénéré au gré d'époques qui voient souffler des vents de condamnation ou de réhabilitation.4

Mais certains historiens optent pour la seconde option. C'est ainsi que naît la réhabilitation de Tibère. A ceux-là s'ajoutent les auteurs de fiction, qu'ils oeuvrent dans le théâtre ou dans le cinéma, n'ayant de compte à rendre à l'Histoire. Ainsi naît le conflit entre les « pro » et les « anti » Tibère - ceux qui se refusent de compatir pour un personnage fictif, basé sur un monstre haï par des

2. Scarre 2012, p. 29

3. Scarre 2012, p. 35

4. Martin 2007, p. 10

3

générations d'historiens.

Ce débat, s'il n'admet pas de réponse tranchée, est propre à nous intéresser. Si Tibère est autant soumis à des discussions houleuses, c'est qu'il reste mystérieux. Lors de cette étude, nous ne chercherons pas à prendre part à ce débat, mais à faire état des éléments les plus discutés par les historiens, voire par les auteurs de fiction, inspirés tant par les récits de l'Antiquité que par les courants historiques modernes... mais aussi par leur propre expérience de la vie. Car étudier Tibère, c'est gloser de la nature humaine et de ses travers.

Comment la postérité de Tibère a pu évoluer au fil des siècles, et pourquoi ?
Qui est Tibère ? Ou plutôt : qui est Tibère au XXIe siècle ?

Dans un premier temps, il nous faut revenir aux sources. Sans Suétone, Tacite ou Velleius, le prince serait un quasi inconnu pour les historiens modernes. De là, nous ferons état de la postérité de Tibère, essentiellement marquée par les critiques, jusqu'à la remise en cause des Anciens par les historiens du XIXe siècle.

Dans un second temps - ce sera l'objet des chapitres 3 à 5 -, nous reviendrons plus en détail sur la vie de Tibère, sur les causes ayant amené à cette image abominable de tyran décadent et maléfique. En premier lieu, nous nous efforcerons de dénombrer les éléments ternissant la réputation du prince et de noter les arguments des Modernes pour appuyer leurs propos, qu'ils veuillent souligner la cruauté, la perversion ou un rapport religieux - ou pour rejeter ces accusations. Nous évoquerons ensuite les personnages dont l'existence est usitée pour critiquer le règne de Tibère, de par leur influence et leur opposition à l'empereur. Il sera ensuite question du rapport à la politique, de ce qui fut longtemps le constat d'un échec mais que l'on doit partiellement réfuter. Par l'évocation de ces récits, nous verrons comment la réhabilitation vient remettre en question ce qu'établissaient les Anciens, faisant de l'agresseur une victime, du mauvais prince un politicien avisé.

Enfin, dans les deux derniers chapitres de cette étude, nous nous intéresserons à la psychologie même de Tibère. Après être revenus sur les éléments traumatisants de sa vie - du moins, selon l'historien moderne, qui met la pensée au même niveau que l'acte -, nous ferons la part belle à la fiction, là où l'auteur peut prendre parti pour ou contre Tibère sans avoir à rendre de comptes à l'Histoire, y contribuant par la mise en commun de deux époques chronologiquement espacées.

4

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984