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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. La Sainte-Face

Une légende chrétienne fait directement intervenir Tibère. Il s'agit de l'histoire de Sainte Véronique et de la Sainte-Face, un voile ayant épongé le visage du Christ lors du chemin de croix, béni dès lors296. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes basés sur la version écrite par Selma Lagerlöf en 1904 (la traduction française date de 1938), Le voile de Véronique. L'auteur est connue pour ses oeuvres de littérature enfantine (son oeuvre la plus célèbre étant Le voyage de Nils Olgerson).

293. Massie 1998, p. 311-313

294. Schoeler H., Tiberius auf Capri, Leipzig, Verlagsbuchhandlung Schulze and Co., 1908, in. David-de Palacio 2006, p. 256-257

295. Strada 1866, p. 223

296. La légende serait datée du IVe siècle

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La légende est retranscrite en neuf chapitres et s'adresse aux enfants, prenant part à leur éducation religieuse. Au début de l'histoire, une vieille dame - dont le nom n'est pas explicité - revient à la cabane dans laquelle elle vivait étant jeune, désormais habitée par un jeune couple de vignerons qui lui offre l'hospitalité. Le second chapitre nous introduit l'identité de la femme : il s'agit de Faustine297, la confidente de l'empereur Tibère. Un ancien légionnaire, parti à sa recherche, ne la reconnaît pas et parle avec franchise en sa présence du crime dont elle est accusée : elle a abandonné à ses malheurs le prince Tibère, comprenant que son ami d'autrefois était devenu un affreux tyran haï de ses sujets. Pourtant celui-ci l'avait toujours bien traité : il lui offrait de beaux cadeaux et lui permettait de mener un train de vie inimaginable pour la paysanne des montagnes qu'elle était autrefois. Tibère se sent trahi, abandonné de sa dernière amie et sombre dans une mélancolie auto-destructrice. Faustine ne peut lui pardonner les actes pour lesquels elle l'a quitté - orgies, cruauté, propos déplacés -, mais elle lui accorde toujours son affection. Refusant de le voir, elle prend de ses nouvelles au loin en rendant visite à une statue de l'empereur : si elle est bien entretenue, c'est que Tibère n'est pas dans un état critique. Mais un jour, elle la voit délabrée : le prince est atteint d'une « maladie inconnue en Italie, mais dont on dit qu'elle est commune dans les pays d'Orient », transformant sa voix en grognements d'animal, rongeant ses doigts et ses orteils et le condamnant à une mort imminente et douloureuse. C'en est trop pour Faustine, qui décide de revoir son ami.

Retrouvant Capri, la vieille femme ressent les effets du temps : le beau palais d'autrefois, si peuplé de visiteurs, n'est plus qu'une ruine solitaire. Le comble de l'horreur arrive lorsqu'elle aperçoit Tibère, qu'elle peine à reconnaître :

Lorsqu'elle sortit sur la terrasse, elle vit une terrible créature, au visage tuméfié et presque animal. Ses mains et ses pieds étaient enveloppés de bandages blancs, mais le linge laissait voir par endroits les doigts et les orteils à demi rongés. Ses vêtements étaient poussiéreux et tachés. (...)

Faustine chuchota dans l'oreille de Milo :

- Comment un homme dans cet état peut-il se trouver sur la terrasse de l'empereur ? Dépêche-toi de le faire

partir d'ici.

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'elle vit l'esclave se courber jusqu'à terre en disant :

- Tibère César, j'ai enfin une heureuse nouvelle à t'apporter.298

Tibère apparaît comme pathétique, attirant l'empathie du lecteur. Ses crimes ne sont pas pardonnés, mais on comprend sa tristesse devant l'abandon de sa meilleure amie et sa peur de mourir. Les

297. Dans la légende originale, son prénom est Bérénice

298. Lagerlöf 2014, p. 21

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retrouvailles sont tendres :

- Est-ce que tu es là enfin, Faustine ? Dit Tibère sans ouvrir les yeux. Ou alors c'est un rêve et j'imagine que tu es
debout près de moi et que tu pleures sur moi ? J'ai peur d'ouvrir les yeux et de voir que ce n'est qu'un rêve.
La vieille s'assit à côté de lui ; elle souleva sa tête et la posa sur ses genoux.
Tibère ne bougea pas, ne la regarda pas. Un sentiment de paix très douce l'enveloppait, tandis qu'il s'endormait,
tranquille.299

Faustine se désespère de l'état de son ami. La femme du vigneron lui apprend qu'elle était autrefois atteinte de ce même mal et qu'un homme en Judée l'avait soignée. Tandis que la vieille femme part le rechercher - elle arrive trop tard, et ne peux qu'éponger son front alors qu'il est conduit au Golgotha - le couple se demande ce qui pourrait advenir si les deux êtres étaient réunis :

- L'empereur est un vieil homme et ne va pas changer sa façon de vivre maintenant, dit le vigneron. Comment remédier au mépris que lui inspire son peuple ? Qui pourrait s'approcher de lui et lui apprendre à l'aimer ? Tant que cela ne sera pas réalisé, il ne sera pas guéri de sa méfiance et de sa cruauté.

- Il y a quelqu'un qui pourrait y arriver, tu le sais, répondis la jeune femme. Je pense souvent à ce qu'il adviendrait si ces deux êtres se trouvaient réunis. Mais les voies de Dieu ne sont pas les nôtres.300

(...)

- Je ne peux pas dormir, dit-elle. Je pense à ces deux êtres qui vont aller à la rencontre l'un de l'autre. Celui qui aime tous les hommes, et celui qui les déteste. Cette rencontre pourrait changer l'avenir du monde.301

Le septième et le huitième chapitre sont consacrés à la conscience de la famille de Pilate. Tout d'abord, c'est un rêve de sa femme qui le mène au doute : elle voit Tibère demander à rencontrer le Christ, lui offrant les plus beaux présents s'il daigne se présenter devant lui. Sa détermination est infinie : il propose en premier lieu des richesses en abondance - bijoux, coupes de perles, sacs de pièces d'or. Devant la réponse négative de l'esclave de Pilate, il fait venir un costume serti de pierres précieuses qui garantit le trône de Judée. Nouveau refus. Il finit par offrir ce qu'il a de plus

précieux : son manteau de pourpre, faisant du Christ son successeur à la tête du monde s'il accepte de soigner sa maladie. L'esclave ne peut plus laisser le prince dans l'ignorance : Pilate a fait mourir l'homme qu'il recherchait, et l'a lui même condamné à une mort atroce. Dans la réalité, le gouverneur voit le peuple crier sa colère devant sa porte, et comprend son crime.

Le dernier chapitre présente Faustine, voile à la main, revenant vers Tibère. Celui-ci avoue n'avoir jamais cru en les pouvoirs du Christ, et n'avoir autorisé son amie à faire ce voyage que par égard envers sa dévotion. Mais en voyant le reflet du visage du mort, il comprend qu'il était dans l'erreur

299. Ibid., p. 22

300. Ibid., p. 14-15

301. Ibid., p. 29

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et sa compassion le guérit :

Il se pencha encore plus vers l'image. Le visage lui apparut plus clairement encore. Il vit les yeux qui semblaient briller

d'une vie secrète.

Ce regard, qui exprimait la souffrance la plus terrible, lui faisait percevoir une pureté et une liberté qu'il n'avait jamais

rencontrées.

Couché sur son lit, il était absorbé dans la contemplation de cette image.

- Est-ce un être humain ? Dit-il doucement et posément. Est-ce un être humain ?

Il resta encore silencieux à regarder l'image. Les larmes commençaient à couler sur ses joues.

- Je suis attristé par ta mort, étranger, murmura-t-il. Faustine, pourquoi as-tu laissé cet homme mourir ? Il

m'aurait guéri.

Et il retomba en contemplation de l'image. (...)

- Tu es un homme, dit-il, tu es ce que je n'espérais pas voir. Puis il montra son visage ruiné et ses mains

rongées. Moi comme tous les autres, nous sommes des bêtes et des montres, mais tu es un être humain.

Il baissa la tête devant l'image si bas qu'elle toucha son visage.

- Aie pitié de moi, toi l'étranger : dit-il, et ses larmes tombaient sur les pierres. Si tu avais vécu, ton seul regard

m'aurait guéri.

La pauvre vieille femme était désolée de ce qu'elle avait fait. Il aurait été plus sage de ne pas montrer l'image à

l'empereur, pensait-elle. Elle craignait que cette vue rende la douleur de l'empereur insupportable. Et dans son

désespoir de voir souffrir Tibère, elle tira sur l'image pour l'écarter de sa vue.

L'empereur releva la tête. Et voici que son visage était transformé, semblable à ce qu'il avait été avant sa maladie,

enracinée et nourrie de la haine et de la misanthropie qui avait vécu dans son coeur, avait été forcée de fuir au moment

où il rencontrait l'amour et la compassion.302

La conclusion montre Tibère faisant acte de piété chrétienne. Il envoie trois messagers à travers le monde, le premier pour enquêter sur les crimes commis par Pilate au cours de ses années en Judée, le second pour remercier les vignerons de leurs conseils, le troisième pour mander des chrétiens afin de baptiser Faustine sur son lit de mort : elle devient une sainte sous le nom de Véronique.

Cette histoire apparaît dans les films La Tunique, sans que l'empereur profite de ses effets (il meurt assassiné aux deux-tiers du film) et Selon Ponce Pilate, où le prince cache son visage tuméfié derrière un masque de fer. La conclusion est similaire à celle de la légende : Pilate pose le drap sur le visage de l'empereur et, lorsqu'il le retire, les blessures ont disparu. Ce n'est pas la magie ou même la croyance en Dieu qui sauve Tibère, mais la découverte de la compassion. Le Christ n'aura été que le messager de la rédemption.

302. Ibid., p. 56-58

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld