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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Qui profite de cette mort ?

Jeune, et toujours vainqueur, s'il vit ses destinées
Dans ses triomphes même en naissant moissonnées ;
Compagnons d'un héros, vous, dont les étendards
Ont constamment suivi l'héritier des Césars,
Je vous prends à témoin que des complots perfides
Abreuvaient mon époux de chagrins homicides.
Il luttait, mais en vain, contre la trahison :
Un homme a tout conduit : et cet homme est Pison329.

322. Massie 1983, p. 102

323. Caratini 2002, p. 108

324. Franceschini 2001, p. 366 et 421-422

325. Kornemann 1962, p. 80

326. Du moins attenter à sa popularité, car des causes affirmant la thèse d'un frein dressé devant Germanicus - mais démontrant une situation bien différente à celle que présentent les ennemis de Tibère - sont défendables. Nous y reviendrons dans le sous-chapitre suivant.

327. Bowman 1996, p. 210

328. Kornemann 1962, p. 81

329. Chénier 1818, p. 19

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Ainsi parle Agrippine dans la pièce de Marie-Joseph Chénier. Elle accuse l'ancien consul Cnaeus Pison, ennemi notoire de Germanicus - et dont la postérité oubliera les actes politiques pour ne lui attacher qu'une image infamante : celle de l'assassin du « meilleur des princes ».

Le roman Le rêve de Caligula, autobiographie fictive du plus jeune fils de Germanicus revient sur ces événements. Le prince présomptif n'était pas dupe : il avait beaucoup d'ennemis et vivait dans la crainte d'être poignardé par ceux qu'il croyait ses amis. Les milliers de légionnaires qui lui sont fidèles, malgré leurs efforts sans cesse accrus, ne pourront empêcher que « l'un de (ses) proches éprouve un besoin d'argent insatiable » ouvre les portes du palais à « l'ennemi qui vit au loin et ne parvient pas à (l'atteindre)330». Il ne se trompe pas : le lendemain du départ de Pison, Germanicus se sent malaisé et les symptômes affluent : fièvre, spasmes, migraines, sang dans les urines, amaigrissement brutal. Le jeune prince meurt dans la douleur, pleuré par sa famille qui le voit dépérir331. Pison est présumé coupable, mais n'aura jamais le temps de s'expliquer : on le retrouve égorgé dans sa chambre. Le fils de Germanicus, Drusus III, intelligent et observateur, doute de la thèse du suicide : il n'est guère aisé de s'égorger soi-même d'une épée (les poignets et le ventre étaient les parties du corps les plus « usitées » pour le suicide romain, le coup étant facile à porter et les souffrances abrégées par l'hémorragie) et, surtout, l'arme a laissé une traînée de sang sur le sol. Pison ne s'est donc pas suicidé : on l'a assassiné pour qu'il ne dénonce pas le commanditaire du meurtre qu'il avait perpétré332.

A l'écran, la culpabilité de Pison ne fait aucun doute. Dans The Caesars, c'est un homme disgracieux qui se réjouit à l'idée de contester chaque décision de Germanicus. Il l'insulte, le nommant « fils involontaire » de Tibère, tout en se défendant de toute idée de provocation : il s'agit d'un fait attesté. C'est durant cette dispute que Germanicus est pris de son premier malaise. Se tordant de douleur sur son lit, il fait promettre à ses amis de le venger mais de ne pas se mettre en danger en s'attaquant à Tibère : ses enfants seront un jour amenés à régner et ils ne doivent pas être vus comme des ennemis de l'empereur. Le prince, dissimulant souvent ses sentiments, ne peut réprimer sa colère devant l'évidence de ce meurtre qui ne fait qu'accroître la défiance du peuple envers lui et le prive d'un allié de poids. Ne parvenant pas à gérer la situation, il s'aliène Agrippine en refusant la cérémonie d'état, ne permettant qu'un hommage funèbre tel qu'il est permis aux soldats valeureux morts au combat. Mais il refuse de protéger Pison : son arrogance ne fait que

330. Siliato 2007, p. 86-87

331. Ibid., p. 87

332. Ibid., p. 98-99

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confirmer les soupçons qui pèsent sur lui. L'accusé finit par se suicider afin que l'infamie ne retombe pas sur ses enfants. Aucun signe de culpabilité de la part de Tibère.

Dans la série Moi Claude, empereur, il en va autrement. Pison a sollicité l'aide de l'empoisonneuse Martina (qui use de la magie noire : on retrouve un crâne d'âne, un chat difforme empaillé et la tête décapitée d'un esclave dans le palais) sur l'interprétation d'une missive impériale : Tibère l'avait enjoint à modérer les ardeurs de Germanicus. Le prince ne s'en émeut pas, il n'a jamais ordonné qu'on le tue. Pison, voyant le procès tourner en sa défaveur, en réfère à son dernier atout : une lettre signée du nom de Tibère ordonnant la mort de Germanicus. Le prince est ébranlé, il comprend que c'est sa mère, Livie, qui a imité sa signature et a commandité l'assassinat. Mais il parvient à se dissocier de l'affaire en notant que le sceau impérial, qu'il est le seul à détenir, n'est pas joint à la lettre - il est donc impossible de prouver son implication. De plus, si Pison est sûr de mourir à l'issue du procès, il peut encore sauver sa famille en se suicidant, tandis que la dénonciation conduirait à des représailles. Tibère n'est pas coupable, mais il est complice du meurtre en en protégeant le commanditaire : Livie.

Les détracteurs de Tibère ont fait de cette version leur thèse : il est coupable, soit pour avoir commandité le meurtre, soit pour avoir protégé l'assassin. Quels que soient les motifs, il est difficile de nier l'implication de Tibère dans la mort de Pison, non par le meurtre en lui-même, mais en l'ayant abandonné au jugement de ses ennemis - il lui était possible, en vertu de ses pouvoirs, de le faire acquitter, et Livie usa de ce procédé pour gracier Plancina, femme de Pison qui était de ses amies, mais qui devait mourir des années plus tard sur de nouvelles condamnations333. Allan Massie fait du vieux Tibère un homme plein de regrets qui n'a jamais demandé à ce qu'on tue Germanicus (« - Ta tâche, mon ami, avais-je dit à Pison, sera de te tenir prêt à brider un peu le jeune poulain. Telle avait été la limite de mes instructions.334») et éprouve des remords à l'idée d'avoir abandonné son ami à son sort, allant jusqu'à envier la mort délivrant des infamies :

Pison avait de grands torts, mais il fut assassiné par l'opinion publique aussi sûrement que si la populace l'avait
massacré, comme elle menaçait de le faire. Le jour de ses obsèques, Agrippine donna un dîner. Je déclinai son
invitation.
Combien de fois, la nuit, ai-je contemplé la majesté des cieux en pensant aux dernières heures sur cette terre de Pison,
abandonné, veuf de tout espoir, finalement résolu à mourir ? Et, bien souvent, je l'ai envié.335

Mais si Pison semble le coupable idéal, était-il vraiment l'assassin de Germanicus ? Pierre Grimal

333. C'est elle qui est la véritable meurtrière dans les Dames du Palatin, p. 121

334. Massie 1998, p. 202

335. Ibid., p. 217

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ne le pense pas : dans ses Mémoires d'Agrippine, il est certes un mauvais homme, haineux et brutal, mais victime de son caractère qui lui renvoie la responsabilité d'un crime jugé comme une évidence. S'il était véritablement un meurtrier, il aurait montré plus de subtilité dans ses rapports avec Germanicus, et ne lui aurait pas témoigné aussi ouvertement de son inimitié336. Coupable idéal, il n'était qu'un prétexte pour camoufler le véritable assassin.

Une autre hypothèse semble avoir émergé récemment. Au milieu du XXe siècle (il semble que Gregorio Maranon - médecin renommé - soit parmi les premiers à défendre cette idée), les symptômes de la maladie de Germanicus ont été rediscutés. Il est évidemment impossible de gloser de cette description alors même qu'elle devait être romancée pour paraître horrible et que les témoins ont disparu depuis alors près de deux millénaires. Toutefois, il est reconnu que beaucoup de morts suspectes ont été taxées d'assassinats par seule cause de failles de la science. Durant l'Antiquité, toute maladie inconnue - c'est à dire, à cette époque d'extension de l'empire, des affections courantes en Orient et absentes du monde romain connu jusqu'alors - était jugée inédite et sembler témoigner de l'existence d'un nouveau poison. Le traitement littéraire de la lèpre peut le démontrer, celle-ci étant souvent liée à l'image de la mort horrible sans qu'on puisse la nommer. Dans le cas de Germanicus, les symptômes rendent crédibles l'hypothèse du paludisme (ou malaria), dont la source épidémique devait être localisée dans les régions aux alentours d'Antioche. C'est donc une fièvre alors méconnue (mais non inconnue : il existait des cas attestés dans le monde romain dès le Ve siècle av. J.-C.337) qui est responsable de la colère d'Agrippine et de la haine que ses descendants, et ceux qui les ont écouté, ont éprouvé pour Tibère338.

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