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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Le prince jaloux

Le 26 juin de l'an 4, Tibère est adopté par Auguste. Mais, dans un souci d'hérédité dynastique, il lui est demandé d'adopter un orphelin de père, le fils de son frère Drusus. Si le geste s'explique sans souci, il reste curieux au regard des coutumes romaines. S'il était normal pour un Romain sans enfant d'adopter un jeune homme, ne serait-ce que pour que son héritage soit perçu par un personnage de confiance (c'est ainsi qu'Octave est devenu le fils de son grand-oncle, qui n'avait que des filles et - selon la légende - un bâtard égyptien), il était incongru pour le père d'un fils naturel de remettre en cause son droit d'aînesse en lui imposant un frère aîné314. C'est ici le cas, Germanicus devenant - de droit - le frère aîné de Drusus II et le premier héritier de Tibère. Les raisons peuvent être multiples. La popularité militaire de Germanicus n'est pas négligeable, mais ne rencontre pas l'écho qu'on lui attribuait à la mort d'Auguste (à l'adoption, il n'a pas vingt ans). Certains auteurs, tel Jules-Sylvain Zeller315, prennent en considération l'apparente stérilité de la femme de Drusus à opposer avec la fratrie abondante issue des amours de Germanicus et Agrippine, mais on se doit de réfuter cet argument : le fils aîné du couple, Néron, ne naît que quatre ans plus tard316. On ne voit alors que trois causes, sans pouvoir établir un avis véritablement tranché : soit une préférence envers le fils de Drusus I, qui était le beau-fils préféré d'Auguste, soit une aptitude décelée dès le plus jeune âge, soit - mais cela allait à l'encontre de l'image défendue par la postérité - que Tibère

313. Laurentie 1862 I, p. 363

314. Lyasse 2011, p. 75

315. Zeller 1863, p. 51-52

316. La date de naissance des trois enfants morts en bas-âge n'est pas définie mais, de toute évidence, le propos ne peut être validé alors que le mariage fut prononcé en 5 ap. J.-C., et que tout enfant né avant ce terme aurait été indésirable.

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ait préféré son neveu à son fils, jugé oisif317.

Pour la plupart des auteurs, Tibère n'éprouvait aucune affection pour ce fils qu'on lui imposait. Partageant la jalousie de Drusus II, écarté de son rôle légitime, il n'aurait eu que mépris et haine pour cet arriviste. Marie-Joseph Chénier pousse le propos encore plus loin : Tibère se dégoûte de ce fils imposé qui lui rappelle sa propre jeunesse, lorsqu'il était lui-même imposé à Auguste lors de son mariage avec Livie318. C'est une époque chargée de mauvais souvenirs qui lui revient en mémoire à chaque fois qu'il voit Germanicus.

La jalousie pique Tibère : l'homme mûr et morose supporte mal de voir ce jeune homme affable bénéficier de plus d'égard que lui. Il est le prince, le premier des Romains, et pourtant un « enfant » lui est préféré319. Cette colère transparaît dans la tragédie de M.-.J. Chénier :

Vous, ne m'accablez pas sous tant de renommée.
Avant Germanicus j'ai commandé l'armée.
On se souvient du temps où les Parthes vaincus,
Rendaient à mes exploits les drapeaux de Crassus ;
(...)
Quand Varus expiait d'imprudentes terreurs,
Aux champs illyriens j'arrêtais ses vainqueurs ;
Mon front ceignit deux fois la palme triomphale.
Je n'ai cependant pas, d'une gloire rivale,
Jusque dans son palais insulté l'Empereur,
Ni d'un peuple avili courtisé la faveur.320

Ces deux hommes sont trop différents pour s'entendre. Voir Germanicus est une douleur morale pour le prince. Ses détracteurs y voient une jalousie maladive, celle qui le pousse à cacher ses vices pour tenter de se faire apprécier - ne serait-ce qu'infiniment moins que Germanicus - ses défenseurs parlent d'une injustice tragique auquel ni l'un ni l'autre ne pouvaient échapper : Tibère était incapable d'être aimé, Germanicus ne pouvait chercher à être haï dans le seul but de ménager son père adoptif321.

Mais la haine de Tibère envers Germanicus n'est pas l'évidence même. On peut même la contester. Ainsi, Allan Massie rappelle l'amour fraternel que partageaient Tibère et Drusus, un amour qui rend

317. Ibid. p. 52

318. Chénier 1818, p. 33

319. Petit 1974, p. 30

320. Chénier 1818, p. 30

321. Linguet 1777, p. 51

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curieux ce prétendu mépris envers le fils du frère tant apprécié, d'autant qu'il semble avoir hérité de son caractère322. Il est même probable qu'il ait été fier de son nouveau fils : après tout, s'il était populaire, c'était un fait mérité. La conduite de Drusus II était, semble-t-il, décriée et il lui était plus aisé de féliciter l'intelligence, la culture et la rigueur morale de ce jeune homme323. Plus que le jalouser, il l'enviait : il aurait apprécié Germanicus et son seul regret était de ne pas avoir été aussi digne de l'amour des Romains lorsqu'il avait son âge324. Pour Ernest Kornemann, l'image de la haine serait - une fois de plus - un crime moral envers l'Histoire du à la haine d'Agrippine325.

D'un point de vue stratégique, il semble tout aussi improbable que Tibère ait voulu freiner les ambitions militaires de Germanicus326. A la mort d'Auguste, la situation devait être clarifiée et envoyer son fils en campagne était un moyen de démontrer aux ennemis que l'effort militaire n'était pas rompu. De plus, il pouvait observer les actions du jeune homme, encore inexpérimenté, et juger de ses capacités et de ses vertus. Satisfait de son fils, il l'aurait récompensé en le faisant nommer consul quand il l'en jugea digne327. Peut-être aussi voulait-il récompenser la fidélité de celui que les mutins voulaient pousser à se révolter contre lui328.

Mais quelles que soient les intentions de Tibère, Germanicus ne put s'affirmer comme son héritier. En l'an 19, il tombe malade et meurt en pleine gloire, à l'âge de trente-quatre ans.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery