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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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B. L'héritage de Germanicus

La mort de Germanicus est perçue comme un bouleversement dans la succession du prince Tibère. Mais, au delà de poser un problème politique, elle est également le déclencheur d'une nouvelle crise morale : les proches du défunt, famille et amis, vouent une haine particulière au prince qu'ils estiment responsable de cet événement tragique. Ainsi, pendant près de dix ans directement, et pendant des décennies après sa mort - voire des siècles si l'on prend la postérité en considération - Tibère dut lutter contre de nouveaux ennemis qui ont nui à son règne et à sa réputation.

I - Agrippine, la veuve vengeresse

a. La femme romaine idéale

En mourant, Germanicus laisse une veuve. Cette femme, c'est Agrippine (dite « l'Aînée », pour la différencier de sa fille, Agrippine « la Jeune »). Elle est souvent dépeinte comme une femme ambitieuse, voire arrogante, mais passionnée, fidèle en amour et - grande vertu romaine - souvent enceinte. Ses défenseurs en font un personnage bon, dont la chasteté et le courage auraient été une vertu si ces qualités ne s'étaient pas manifestées sous un règne d'infamie comme celui de Tibère358. L'injustice a voulu que l'héritière des valeurs Juliennes - elle est la petite-fille d'Auguste et sa seule descendante directe a avoir eu une descendance illustre - soit écartée du trône et persécutée lâchement359.

C'est cette bonté que veut faire apparaître Marie-Joseph Chénier. L'Agrippine de sa pièce est une veuve éplorée, demandant la justice après la mort de son mari, mais sans sombrer dans une vengeance aveugle. Pison, coupable et honteux, craint cette femme si puissante et déterminée. Mais, en femme juste et bonne, elle accepte de pardonner à l'assassin de son mari, voyant son désespoir et la manipulation dont il a été victime. S'adressant au fils de l'accusé :

Lève-toi ; de Pison que la faute s'oublie :
Avec Germanicus je le réconcilie.
Il osa le combattre ; il pourra le bénir :
Nos guerriers se tairont ; je cours les prévenir.
Peut-être malgré lui Pison devint coupable :

358. Lenain de Tillemont 1732, p. 29

359. Grimal 1992, p. 71-72

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L'audace le soutient, le repentir l'accable ;
Et dans sa fierté même il paraît abattu :
Non, puisqu'il est ton père il n'est pas sans vertu.
Qu'il vive : sois long-temps l'honneur de sa vieillesse :
Qu'il vive : et, pour son fils redoublant de tendresse,
Qu'il redevienne encor digne d'un tel appui,
De Rome, et du pardon qu'il obtient aujourd'hui.360

b. Une femme persécutée

Son malheur est de s'être confrontée à Tibère. Avant même d'être accusé du meurtre de son mari, le prince lui est haïssable : c'est lui qui aurait fait périr son frère Postumus - s'il n'est pas coupable en plus des morts de Caius et Lucius -, c'est lui qui a laissé Julie en exil après même la mort d'Auguste, et la mort de Germanicus n'est qu'un crime de plus à lui faire porter361. De plus, elle s'inquiète de voir Séjan prendre du pouvoir auprès du prince, excitant encore plus sa haine362. A force de démontrer sa peur - elle n'est pas aussi habile en dissimulation que Tibère - elle s'en fait un ennemi et précipite sa perte et celle de ses enfants.

L'image prédominante de persécution n'apparaît pas dans sa mort, mais dans la gestion de son deuil. A la mort de Germanicus, elle est encore une jeune femme, belle et pouvant désirer un mariage profitable. Mais elle s'y refuse et reste une veuve fidèle. On la présente dans le cortège funèbre de son mari, portant tristement les cendres jusqu'à Rome, entourée d'une foule en pleurs363. Pourtant, elle se serait plainte de son veuvage après quelques années, suppliant Tibère d'offrir un père à ses enfants. Ainsi la fait discourir Pierre Grimal, la larme à l'oeil devant le prince insensible :

Si je n'avais pas celle-ci, ma petite Agrippine, je serais encore plus (triste) ! Mes deux grands garçons, Nero et Drusus,
tu sais, toi, mieux que personne, ce qu'ils deviennent ; ce qu'ils deviendront ne dépend pas de moi, mais de toi seul !
Gaius n'a que treize ans, mais je le sens qui s'éloigne de moi. Oui, Tibère, j'ai peur de la solitude. Cela fait six ans que
je n'ai pas connu les embrassements d'un mari, et je suis encore jeune. Je n'ai que trente-huit ans. Beaucoup d'autres, à
mon âge, se seraient données à un amant. Moi, je ne l'ai pas voulu. (...) Peux-tu me le reprocher, toi qui es si
implacable pour les femmes qui ne respectent pas le caractère sacré du mariage ? Il est assez d'hommes, dans notre
parenté, qui accepteraient volontiers d'épouser la veuve de Germanicus et de servir de père à leurs enfants. Il n'est pas
encore trop tard pour qu'il puisse espérer de moi que je lui donne une descendance légitime.364

360. Chénier 1818, p. 59

361. Franceschini 2001, p. 119

362. Caratini 2002, p. 242

363. Laurentie 1862 I, p. 379-380

364. Grimal 1992, p. 72-73

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Le propos a été lu, et apparemment perçu par Tibère, d'une manière plus perverse : un nouveau mari lui aurait permis d'affirmer plus clairement ses droits et cet époux aurait pu se constituer « chef d'un parti anti-tibérien », en opposition politique au prince365. Accusée de conspiration par Séjan et ses fidèles, elle est exilée dans une île lointaine où elle meurt prématurément dans l'infamie : affamée, de son propre chef ou par ordre princier, elle a subi des mauvais traitements, l'un d'entre eux l'ayant même privé de l'usage d'un oeil. Pierre-Sébastien Laurentie, dans sa volonté d'accuser Tibère, n'épargne aucun détail affreux de cet événement : le coup du centurion aurait « fait sortir l'oeil de son orbite » et le prince s'amuse à lui transmettre des injures nouvelles, jusqu'à déplorer de ne pas l'avoir fait étrangler et jeter aux gémonies quand il pouvait encore en être le spectateur366. Les récits des Anciens vont dans ce sens de cruauté gratuite. C'est ainsi que Plancine, qu'Agrippine tenait responsable de la mort de Germanicus, fut exécutée dès lors qu'on apprit la mort de la veuve, car toute punition prématurée aurait été un motif de réconfort pour l'exilée367.

Le fait est qu'Agrippine a ignoré les dernières volontés de son mari : ne pas devenir l'ennemie de Tibère. Si elle en a fait autrement, c'est peut-être par impulsivité. Mais certains condamnent l'attitude d'une femme trop ambitieuse que la postérité a jugé injustement : au contraire des bons traités comme des mauvais, Agrippine devait être condamnée.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand