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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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III - Caligula, les origines du monstre

398. Storoni Mazzolani 1986, p. 322

399. Villemain 1849, p. 101

400. Ibid., p. 88

401. Kornemann 1962, p. 200

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a. L'enfant terrible

Les légendes ont la vie dure : il n'aura pas fallu cent ans pour que le solitaire de Capri, timide, austère, empêtré dans ses bonnes intentions, secourable aussi aux détresses populaires devienne ce tyran à la parole et à la vue effrayantes, féroce pour les siens qu'évoque Stace. Suétone et Tacite feront le reste. Des siècles plus tard, Julien César en parlera encore comme d'un tyran de nature cruelle et terrible. Mais déjà une autre légende commençait, loufoque et terrifiante,

et cependant on ne peut plus cohérente : celle de l'empereur fou402

La postérité de Tibère est chargée de ses prétendus crimes, multiples et impardonnables. Et son successeur Caius, souffre des mêmes critiques, étant même encore plus décrié. Celui que les légionnaires appelaient affectueusement « Caligula » (« petite botte », référence au costume qu'il portait lors de ses promenades dans le camp militaire de son père) est devenu, aux yeux de l'Histoire, un pervers incestueux, cruel et retord, dans un état proche de la maladie mentale : son surnom innocent est devenu synonyme d'horreur403.

Il est un des personnages principaux de la pièce de Lucien Arnault, les Derniers Jours de Tibère. Tibère, vieillissant, souhaite démissionner de son rôle de prince et le remettre à Galba, républicain de conviction : ce dernier le déteste, mais il est le plus apte de son entourage. Macron, qui veut jouer sa place sur le trône, se sert de sa fille Ennia404 pour séduire Cayus, son ami d'enfance, tandis que lui-même conseille Tibère de se reposer sur le jeune homme. Cayus feint la bonté : il aime l'empereur, refuse de le renverser alors qu'il pourrait aisément le faire, évoque le souvenir de son père « homme adoré qui chaque jour est pleuré », s'amusant de dire que « l'aigle révolté, tant de fois triomphant, fut soumis et vaincu par les pleurs d'un enfant », parlant de son amour d'enfance pour Ennia dont il aimait « les yeux où brille la candeur, la voix qui fait désirer la gloire et détester le crime » et tremblant encore en pensant à ses frères « immolés sur leur tombe sanglante » et au « muet témoin du meurtre de (sa) mère », qu'il n'a pas pleuré pour ne pas ombrager Tibère405. A l'issue de sa confession, on peut le penser sincère et loyal. Il n'en est rien : il se joue de Macron et désire le pouvoir absolu : sa famille ? Il l'a oublié. L'amour d'Ennia ? Feinte attention. Le pouvoir ? Sa seule conviction406.

402. Jerphagnon 2004, p. 75

403. Caratini 2002, p. 158-159

404. En réalité sa femme mais, Ennia étant le personnage le plus innocent de la pièce, il semblait malaisé d'en faire une ambitieuse ou une prostituée pour les intérêts de son mari.

405. Arnault 1828, p. 10-13

406. Ibid., p. 46

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Il est une personne qui a protégé Caligula de Séjan : Antonia. C'est pour sauver sa vie qu'elle aurait dénoncé les vices du ministre à Tibère, dans l'espoir qu'il laisse son dernier petit-fils tranquille407. Pour Maria Siliato, c'est une grand-mère rassurante qui porte en elle les douleurs de la vie et veut passer ses dernières années à réconforter le petit orphelin pour qu'il ne devienne pas aussi malheureux qu'elle :

Il se laisse aller aux bras de sa grand-mère, dans les veines de laquelle coulait, en un mélange poignant et merveilleux, le sang d'Octavie, la malheureuse soeur d'Auguste, et celui de Marc Antoine, son ennemi tant haï. Ces antiques et tragiques forces vivaient encore en elle et disparaîtraient avec elle.408

Antonia a été plainte par la postérité, mais rarement condamnée, si ce n'est pour un crime involontaire : avoir montré de l'amour à un monstre qu'il aurait été profitable de faire disparaître. Gregorio Maranon la présente triste, consciente du manque de vertu de son petit-fils, mais fidèle à la famille et dotée d'une affection sans limite409. Même image chez Allan Massie, où elle confie à son ami que le garçon n'est pas prometteur, qu'il est capricieux et dispersé, soumis à des crises de folie et de cruauté, pourri par l'influence d'Agrippine, mais qu'elle ne peut se résoudre à abandonner le fils de son Germanicus, qu'elle a tant aimé410. Sa mort précipite la chute morale de Caligula. Elle était la seule à avoir bonne influence sur lui et son absence fut le déclencheur d'une dépression nerveuse qui devait le rendre fou et révéler sa nature enfouie411. Néanmoins, sa folie pouvait s'être déjà déclarée avant la mort de la vieille femme : pour G. Maranon, Caius lui-même empoisonna « la plus belle et la meilleure des femmes de Rome, à qui il devait l'empire412» lorsqu'elle lui devint inutile.

Pour expliquer la folie de Caligula, les auteurs remontent parfois à l'enfance, cherchant à démontrer que sa nature était innée et non acquise par les événements. C'est ainsi qu'est présenté le Caligula de Moi Claude, empereur, un enfant irresponsable et violent qui s'amuse à brûler sa chambre, à mordre la main de sa grand-mère ou à profiter de sa soeur Livilla, tout aussi folle que lui. Pire encore, il est indirectement l'assassin de Germanicus, s'étant entretenu des superstitions de son père avec l'empoisonneuse Martina en échange de sa promesse de lui apprendre comment répandre la terreur. Même image dans Poison et Volupté, quand Tibère s'amuse avec horreur de voir le petit garçon empaler un papillon sous motif qu'il lui a « manqué de respect »413. Dans ce même roman,

407. Massie 1983, p. 114

408. Siliato 2007, p. 181

409. Maranon 1956, p. 155

410. Massie 1998, p. 288

411. Petit 1974, p. 87

412. Maranon 1956, p. 156

413. Franceschini 2001, p. 74

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Caius et ses frères sont placés sous l'enseignement d'Hérode Agrippa, qui paie ses dettes de jeu en services à la famille princière. Si tous les enfants de Germanicus l'étonnent par leurs qualités (Drusus ressemble à son père, Drusilla est belle, Néron est digne,...), Caius est celui qu'il admire le plus : il est vivace d'esprit, a horreur des idées reçues et témoigne d'un tempérament autoritaire qui sied bien à un futur souverain414.

Il est un crime attribué à Caligula qu'on peut lui attribuer dès son enfance : sa vision de l'inceste. Il est notoire, tout du moins à la lecture des sources anciennes (et l'on connaît leur partialité), que Caius entretenait une liaison avec sa soeur Drusilla, ce jusqu'à sa mort de maladie415. Il s'agit souvent de démontrer d'un acte de folie, comme lorsque Pierre Grimal lui fait dire à sa jeune soeur Agrippine qu'ils sont le fruit d'un inceste entre Auguste et Julie, une pratique qu'il justifie à l'aide des légendes mythologiques416. Mais il faut sans doute chercher une cause dynastique à ce propos : il était une tradition pour certaines monarchies orientales d'unir des membres d'une fratrie pour le mariage, ce afin d'assurer la pureté de la famille417. Dans les faits, les julio-claudiens suivaient cette même logique par le mariage entre cousins418. C'est ce propos qui est défendu dans les Dames du Palatin, quand le jeune garçon explique à Hérode que, quand il sera empereur, il changera la loi pour pouvoir épouser sa soeur et s'inspirera des pharaons égyptiens, qui fascinaient tant son arrière-grand père Antoine419. Dans ce roman, il est véritablement amoureux de sa soeur et, lorsqu'il apprend que Ganymède est le père de l'enfant que porte Drusilla, il le pousse au bas des falaises de Capri. S'il était déjà violent, c'est son premier acte de folie furieuse :

Un voile rouge devant les yeux, Caligula se rua, tel un bouc furieux, sur Ganymède qui, ravi de sa citation, cheminait à
deux pas de l'aplomb vertigineux. Le hurlement du malheureux lui fit reprendre ses sens. Quand il s'approcha du vide, il
aperçut, très loin dans un entassement de roches noirâtres, un corps disloqué, les jambes écartées dans une posture
grotesque.420

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote