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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Le modèle des princes futurs

Quand nous évoquions dans le premier chapitre de ce mémoire les sources antiques, nous avons volontairement omis la postérité politique du règne de Tibère, dans le sens où le prince influence en certains points les méthodes de ses successeurs.

En premier lieu, il s'affirme comme le premier des mauvais empereurs : Auguste avait pu échapper à ce jugement par son sens des relations publiques, s'assurant le respect de ses contemporains. En lui succédant, le morne Tibère commet des erreurs qui font de lui le premier d'une liste de princes incapables, ou du moins inacceptables aux yeux de la postérité, les « monstres de sang et de folie » dont l'esprit ne supporte ni l'excitation, ni la terreur, innées au principat574. Qu'importe que Caligula ait tenté de poursuivre les idéaux de son père, on ne retient que sa folie. Qu'importe que Domitien

572. Strada 1866, p. 92-93

573. Beesly 1878, p. 139-141 : L'auteur note tout de même six suicides avant verdict et quatorze exils. Il ne faut donc pas faire l'erreur de considérer Tibère comme un personnage propre au pardon, ou chaque procès déboucherait sur un acquittement - seuls quatre l'ont été.

574. Martin 2007, p. 11

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se soit révélé inapte à prendre la place de son frère Titus (qui, lui, n'avait montré que de bonnes choses durant son cours règne), il a transformé ses échecs en instruments de terreur. La postérité ne retient pas les règnes des bons politiciens - ou alors, seulement ceux des plus vertueux ou des plus victorieux : pourrions nous citer la moindre oeuvre de fiction à représenter Antonin le Pieux, pourtant loin d'être un inconnu et ayant régné sur Rome pendant vingt-deux ans et demi ? Au contraire, combien d'auteurs ont représenté Héliogabale et sa sexualité éhontée, alors même que son apport à la politique romaine est proche du néant ? Qu'importe les valeurs, l'Histoire retiendra plus facilement les mauvais empereurs, dans le sens où la critique est plus facile que l'adulation575. Sans doute Tibère n'aurait pas autant été décrié et n'aurait pas autant intéressé s'il avait su gérer la transition entre Auguste et le principat tel que le concevait son prédécesseur. Échouant, il est déprécié par la postérité qui fait de son bilan politique la preuve de l'incompétence tyrannique576.

Tibère est souvent comparé à ses successeurs dans ses visées politiques. Ainsi Ernest Kornemann fait le parallèle entre le manque d'envie de Tibère face à l'exercice du pouvoir et cette même situation chez Claude, obligé d'accéder sans envie au principat : « Ce vieux souverain qui ne manquait pas

de qualités intellectuelles mais, dans sa vie pratique, sorti de son métier de juge pour lequel il se passionna toute sa vie, n'avait aucune envergure et le choix de cet homme fut vraiment la solution de fortune, la pire de toutes577». C'est ce même Claude qui se réclame de Tibère lors d'un discours en 48 pour revendiquer l'accès au sénat de Gaulois et qui vante ses bonnes actions578. Hadrien même est mis en parallèle avec Tibère dans ses mauvais actes. Celui qui fut présenté comme, dans l'ensemble, un bon prince aurait fini sa vie dans un délire de condamnations, faisant disparaître un certain nombre de citoyens romains qui auraient pu nuire à sa succession : Yves Roman n'hésite alors pas à le rapprocher du Tibère des vieux jours, voire des instincts cruels de Commode579.

On ne peut nier sa postérité politique. Les conflits définissant l'origine du pouvoir, qui sont démontrés pour la première fois sous son règne, réapparaissent trente ans plus tard lors de « l'année des quatre empereurs » : Galba580 est le candidat du Sénat, Vitellius celui de l'armée et Othon celui des prétoriens581. Mais si l'on doit citer un prince s'inspirant de Tibère pour gouverner, on pensera à Domitien. Cet empereur semblait être un fervent admirateur de son « ancêtre politique », dont il se

575. Beulé 1868, p. 319

576. Martin 2007, p. 18

577. Kornemann 1962, p. 240-241

578. Lyasse 2011, p. 214-215 : l'auteur fait état d'un texte de Sénèque où le rhéteur cherche à consoler un affranchi privé de son frère en le rappelant au courage dont Tibère fit preuve à la mort de Drusus.

579. Roman 2001, p. 83-84

580. Ce même Galba à qui Tibère vieillissant aurait prédit, trente ans avant les faits, qu'il serait un jour le prince

581. Kornemann 1962, p. 251

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vantait de lire les Mémoires582. Les deux hommes semblent se ressembler dans leur psychologie : tout comme Tibère, Domitien aurait pu vivre dans la frustration d'être un héritier de second plan, relégué derrière son frère Titus. Haï pour sa prétendue prétention tyrannique, il est mort dans des conditions indignes (étranglé par un colosse dont il avait en vain tenté de crever les yeux). Pourtant, au regard de ses actes, on ne peut nier sa volonté de gérer l'empire avec prudence, au moyen de gouverneurs de confiance, et sa répression des abus visant à améliorer les conditions de vie dans les provinces. Mais c'est sous son règne que Tacite a vécu les années les plus sombres, et son traitement de Tibère dut être fortement influencé par le parallèle entre les deux princes583.

Toutefois, si l'on retrouve chez Tibère les composantes habituelles du mauvais prince (cruauté, perversité sexuelle, incapacité), il échappe au reproche de gourmandise. La gloutonnerie est un poncif du tyran : Vitellius en est l'exemple le plus marqué, avec ses repas fastes et répulsifs pour qui dissocie gastronomie et abondance. Tout au contraire, Tibère dîne dans la sobriété, il sert des légumes et un bon vin (mais non un vin coûteux et réputé), bien loin des repas d'apparat de ses successeurs. De même, en opposition au gaspillage, le prince n'hésite pas à servir des restes. Mais ce qui paraît être une qualité est parfois utilisée pour le déprécier : sa modestie passe pour de l'avarice. Le même reproche apparaît dans le cas de Pertinax, peu gourmand et dont les repas de légumes passaient pour des témoignages de rapiacité.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe