WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II - Tibère et le peuple

a. L'ascendance claudienne

LIVIE

Commencer par régner ; je réponds de ta gloire.

585. Martin 2007, p. 168

586. Kornemann 1962, p. 248

587. Beulé 1868, p. 133-134

588. Kornemann 1962, p. 247

175

Des Héros dont tu sors, perds-tu donc la mémoire ?
Ô trop indigne coeur ! A quels mortels affronts
Condamnes-tu le sang des Drusus, des Nérons ?
Si celuy d'Agrippa prend sa source dans Jule,
Celuy des Claudiens monte jusqu'à Romule.589

Au contraire d'Auguste, qui devait sa dignité aux actions qu'il réalisait, Tibère pouvait se reposer sur un privilège héréditaire : il était un Claudien. Membre d'une famille illustre de Rome, dont la noblesse remontait à bien des siècles, il bénéficiait d'un statut particulier dès sa naissance. Pourtant, cette dignité lui fut autant un atout qu'un fardeau - voire un maléfice590.

Doté de prétentions quant à sa naissance, Tibère se devait d'être jugé digne de ses ancêtres591. Il convient de noter qu'il n'était pas issu de la branche « majeure » des Claudiens : il tenait plus des Nero que des Pulcher, qui eux revêtaient des postes plus prestigieux sous la République. Ainsi, s'il pouvait se vanter de descendre d'une famille ancienne, les ancêtres auxquels il peut remonter n'ont pas la dignité que l'on peut imaginer à la mention d'une « naissance illustre » : Horace lui trouve un aïeul à la fin du IIIe siècle, un nommé Caius Nero ayant fait ses armes face aux Carthaginois. Il y eut un consul de sa famille en 202 av. J.-C., mais il semble ne pas avoir hérité d'une réputation enviable : on le disait lent et cupide. En bref, Tibère est bel et bien un Claudien, mais un Claudien d'une branche « mineure »592.

Du moins, cela suffit aux auteurs quand ils souhaitent dépeindre un patricien fier de ses origines ou dénoter d'ambitions précoces. Allan Massie en fait un jeune homme arrogant qui ne comprend la stupidité de ses prétentions qu'au contact d'Agrippa qui, sans être né dans une famille illustre, témoigne de valeurs que Tibère envie. Avant cela, il se pense inégalable par la simple mention du nom de sa famille, méprisant les dignités d'Auguste qui ne sont dues qu'au « hasard du mariage », permettant à un « obscur provincial » de prétendre indignement à égaler sa gens, dont les « hauts faits brillent à toutes les pages de l'histoire de la République593». Ainsi s'exprime-t-il devant la jeune Julie, qui parle d'Agrippa comme d'un oncle :

De toute façon, Julie, Marcus Agrippa n'est pas vraiment notre oncle, tu sais. Il ne peut pas : c'est un plébéien.594

589. Pellegrin 1727, p. 9

590. Kornemann 1962, p. 8

591. Levick 1999, p. 1

592. Ibid., p. 3

593. Massie 1998, p. 9-10

594. Ibid., p. 18

176

La naissance de Tibère lui permet toutefois de prétendre à un accès privilégié à l'éducation. A l'âge où l'on traite encore les Romains de « condition inférieure » comme de petits enfants, lui commençait son instruction auprès de précepteurs. Quand il prononce l'éloge funèbre de son père, il a alors neuf ans et sait, semble-t-il, parler et lire le grec et le latin et compter, des qualités intellectuelles qui n'étaient pas données à tout enfant de l'Antiquité. Il devint un proche des grammairiens peu de temps après son adhésion à la cour d'Auguste et se fit remarquer pour son amour de la lecture et par la constitution de poésies (elles nous sont perdues, mais il en aurait écrit tout au long de sa vie). Ainsi Tibère devait posséder un niveau d'instruction extrêmement élevé pour son époque.

Par hérédité morale, il obtient une froideur dont il est fier, un mépris des sentiments populaires comme la comédie ou la complaisance. Ce trait de caractère lui causa bien des soucis aux yeux de la postérité. Une anecdote démontre d'un cynisme malvenu : alors que la nouvelle de la mort de Drusus II traverse l'Empire, les émissaires arrivent pour présenter leurs condoléances. Les Troyens seraient arrivés bien après les autres et, rendant hommage devant le prince, se virent moqués : « en retour, je vous présente mes condoléances pour la mort du plus glorieux de vos citoyens, Hector ». Ceux qui voulaient compatir à la peine d'un père perdant son fils ne voient qu'un homme aigri qui raille leur retard en leur nommant un personnage mythologique mort depuis des siècles595! Ce cynisme est représenté à maintes reprises dans la série The Caesars. Tibère y est peu expressif et ses rares sourires ponctuent des piques adressées à ses interlocuteurs, qui ne cachent en rien leur frustration. A Livie qui lui demande qui il verrait pour succéder à Auguste, il répond « moi... je pense » avec un sourire en coin, sachant que, pour sa mère, il est primordial qu'il soit l'héritier596. Plus tard, quand Thrasylle lui affirme qu'il sera empereur, il se retourne avec ironie pour le corriger : « je PEUX le devenir ».

A propos de l'ascendance Claudienne, on ne doit négliger un propos. La famille était connue pour être la victime d'une « malédiction » héréditaire. Il y avait, selon la légende, deux types de Claudiens : les bons et les mauvais. La distinction entre ces deux « branches » est difficile à cerner en Tibère, tant il répond à des critères le rattachant tant à l'une qu'à l'autre. Certains membres de la famille sont indubitablement marqués comme les bons : Drusus notamment, le beau-fils préféré d'Auguste, intelligent, aimable, capable de se faire apprécier de tous. D'autres sont mauvais en tout point : Allan Massie cite le consul Claudius Pulcher qui, durant une bataille navale en Sicile (lors de

595. Maranon 1956, p. 204

596. En version originale, Tibère dit « I shall », la traduction ne transmet pas le ton original, plus provoquant

177

la première guerre punique, en 268 av. J.-C.), était chargé d'assurer les auspices à l'aide de poulets. Furieux de ne pas les voir confirmer le propos qu'il voulait défendre, il les aurait jeté de rage à la mer et aurait subi une défaite cuisante597. On pense aussi à Publius Claudius, l'ennemi de Cicéron, humilié dans une affaire de moeurs : désireux d'assister à un festival religieux réservé aux femmes, il se serait présenté travesti598. Par son intelligence et son sens de la rigueur, Tibère pouvait prétendre à une position de « bon Claudien ». Toutefois, on en fait souvent un « mauvais ». De sa fratrie, Drusus héritait de toutes les qualités, et Tibère n'en avait que l'ombre : là où le jeune frère était charmant, lui était timide599. La dignité, qui était un atout, devint à l'époque où il vivait un témoignage de mépris600. Ce n'est pas tant un manque de valeurs qu'Auguste déplorait chez son beau-fils, mais l'absence de points communs entre eux : comment s'apprécier sans pouvoir se comprendre601 ? Le propos est présenté à l'écran dans Moi Claude, empereur : à son frère, Tibère confie qu'il voit la famille comme un pommier donnant tant de bons fruits que de mauvais fruits. Drusus est une pomme succulente, lui n'en est qu'une amère.

Cette arrogance patricienne ne lui a pas profité, bien au contraire. Au contraire de ses prédécesseurs qui avaient su se faire aimer du peuple en le flattant, lui n'y porta aucun intérêt et fut vu, de son vivant, comme un prince distant et méprisant. Tibère fait une erreur de jugement : l'aristocratie, à laquelle il se vante d'appartenir, est un vestige du temps passé. Elle n'a plus de sens à son époque où la popularité est devenu un fait nécessaire pour une marge d'action décente. Il se réclame d'un temps révolu et manque de se mettre au goût du jour. Dans la biographie de Roger Caratini, le père de Tibère constate lui-même que l'époque dans laquelle il vit n'est plus celle de son propre père et que tout repère est bouleversé : « Patricien... patricien... qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire aujourd'hui, patricien602 ? ».

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius