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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Le rapport au peuple

Au vu des récits, on ne s'étonnera pas que Tibère ait été déprécié par ses contemporains. Il était incapable de flatter, d'amuser son peuple. Pédant autant que timide, sa compagnie ne plaisait à

597. Massie 1983, p. 90

598. Charles Beulé fait un constat original : les Claudiens évitaient de donner le prénom « Lucius » aux nouveaux-nés de la famille, ce prénom ayant été porté par nombre de « mauvais » éléments. Une occurrence célèbre vient

« confirmer » ce présage : Néron.

599. Kornemann 1962, p. 8-9

600. Massie 1983, p. 90

601. Kornemann 1962, p. 216

602. Caratini 2002, p. 14-15

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personne603. Même les divertissements des masses ne l'intéressaient guère. Dans Poison et Volupté, Nerva tente de faire naître en lui un élan de sympathie envers le peuple, même de façade, mais en vain :

- Connais-tu la différence entre l'intelligence et la sagesse ? rétorqua Nerva. Elle est simple. L'homme intelligent
parvient à résoudre les difficultés que le sage aurait commencé par éviter. Rome raffole des futilités et des histrions.
C'est pourquoi ton fils est aimé du peuple. On dit de lui qu'il n'est pas hautain comme son père. Toi, tu emportes des
dossiers au cirque pour étaler ton mépris des spectateurs et tu t'étonnes d'être impopulaire.

- Je ne m'en étonne pas, je m'en moque. Je déteste la populace. Elle me donne le vertige. Quant à mon fils, même Livilla semble avoir renoncé à le ramener dans le droit chemin.604

Ce désintérêt des spectacles semble avoir été la plus grande déception du peuple romain quant à son rapport au prince. C'était, en effet, le moyen le plus commode d'apercevoir l'empereur, dans ces occasions où la masse était rassemblée dans un même lieu. Tibère se serait, au départ, efforcé d'assister aux représentations publiques, feignant l'intérêt pour la cause populaire605. Mais il fut incapable de persévérer dans cette attitude606. Si son fils Drusus était friand des combats de gladiateur, peut-être trop aux yeux de la postérité, lui les dédaignait. Il ne fallut que peu de temps pour que le peuple s'en offense : rien ne leur était plus blessant que de se voir méprisés de la sorte607. Romançant l'attitude de Tibère, Allan Massie en fait le dégoût d'un ancien militaire, révulsé à l'idée de combats sans gloire entre esclaves passionnant les foules oisives. Il a trop vu de scènes de courage et de souffrance pour ressentir du plaisir dans des démonstrations où des condamnés se battent pour l'amusement d'autrui, sans autre enjeu que le divertissement608. Du point de vue de Charles Beulé, il faut prendre en considération majeure la timidité de Tibère. Ce ne serait pas tant le dégoût du divertissement qui rebuterait le prince, mais son absence de « courage civique ». Brave devant l'ennemi, il craignait le peuple pour n'avoir jamais été préparé à le fréquenter. C'est donc une incapacité psychologique qui lui nuirait, non une question de goût personnel609.

Au delà de le mépriser, Tibère interdit parfois le spectacle, au déplaisir des foules. L'initiative n'est pas une question de goût : elle est une nécessité politique. Ainsi Lidia Storoni Mazzolani parle d'une « masse inculte, brutale, ethniquement hétérogène », d'une « racaille qui envahissait les théâtres et les gradins du cirque », se livrant à des actes de violence. En 15 ap. J.-C, des soldats auraient été tués lors d'une émeute sans que les responsables en furent condamnés, défendus par une loi

603. Zeller 1863, p. 45-46

604. Franceschini 2001, p. 70-71

605. Au contraire de Caligula ou Néron, s'amusant des divertissements les plus superficiels, Tibère n'a goût à rien.

606. Yavetz 1983, p. 150

607. Storoni Mazzolani 1986, p. 175-176

608. Massie 1998, p. 247

609. Beulé 1968, p. 27

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d'Auguste. Mais, en 23, de tels événements étaient punis d'exil, après que Tibère eut remanié les sanctions prévues à cet effet610. Le prince ne tolère pas le débordement populaire (le propos peut sembler ironique au vu de l'importance des purges incontrôlées contre les partisans de Séjan), faisant intervenir les cohortes pour réprimer les abus. Zvi Yavetz rapporte le cas d'une manifestation d'histrions dégénérant jusqu'au meurtre d'un centurion, n'étant maîtrisée que par l'intervention des forces armées611.

Quels que soient ses motifs, Tibère s'attire la haine du peuple. Là où Auguste avait été pleuré à sa mort, la nouvelle du décès du second prince fut accueillie comme une joie, et certains demandaient à ce qu'on jette, d'après un jeu de mot, « Tibère au Tibre612 »613. Lorsque le Séjan de la pièce de Bernard Campan se décide enfin à trahir Tibère, c'est avec la certitude que personne à Rome n'aime ce prince méprisable, celui « dont la fureur trop long-temps impunie contemple en souriant le deuil de la patrie614». Mais, au lieu de chercher à s'en faire aimer, Tibère ne fit aucun effort pour acquérir l'affection du peuple615. La déception semblait aussi grande pour lui que pour les Romains, sans doute pour des raisons différentes. Jules-Sylvain Zeller suppose que Tibère renonça définitivement à se rendre populaire au jour des funérailles de Germanicus : au vu des larmes du peuple à la mort de ce jeune homme, la jalousie du prince est éveillée, blessée par le manque d'estime que lui portent les Romains. Dès ce moment, il dédaigna à jamais de conquérir les coeurs616. Cette résignation apparaît dans le roman de Wilhelm Walloth :

Le peuple romain, le plus méprisable du monde, m'abandonne, parce que je ne le flatte pas, parce que je ne peux pas, à la différence de mon prédécesseur Auguste, être tout sourire et jouer le débonnaire, parce qu'il me manque d'être aimable avec ceux qui m'entourent.617

L'impopularité a pu lui sembler une nécessité : qu'importe qu'on le haïsse, tant que l'on respecte son autorité. C'est ainsi qu'il aurait prononcé une phrase passée à la postérité : « Oderint dum probent » qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils m'obéissent618»). Notons que Caligula s'inspira de ce propos pour le déformer et l'adapter à sa propre vision du principat, substituant à « probent » « metuant » (« qu'ils me craignent »), une déformation que l'on attribue parfois à Tibère lui-même, afin de le

610. Storoni Mazzolani 1986, p. 184-185

611. Yavetz 1983, p. 54

612. Un sort infamant pour les condamnés à mort : parmi les « victimes », nous penserons aux Gracques.

613. Yavetz 1983, p. 145

614. Campan 1847, p. 45

615. Massie 1983, p. 99

616. Zeller 1863, p. 54

617. Walloth W., Tiberius, Leipzig : Hesse und Becker Verlag, 1889, p. 249-250, in David-de Palacio 2006, p. 119

618. La traduction d'Edward Beesly témoigne d'une volonté réhabilitante : « let them dislike me, provided in their hearts they respect me » ( « laissons-les me détester, pourvu que dans leurs coeurs, ils me respectent »)

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décrédibiliser. Dans le premier cas, c'est un signe de froideur, dans le second un indice de tyrannie. Aussi, il aurait pu vouloir offrir à Rome une image maléfique afin que tous se rejoignent dans leur haine d'un même homme, ce afin de permettre la cohésion. C'est le propos d'Egmond Colerus :

Êtes-vous plus seuls que moi, malheureux ? Vous, au moins, vous avez encore votre haine, vous pouvez maudire le chien
assoiffée de sang de Capri, le chauve empereur insulaire, vous pouvez vous gorger d'une haine furieuse. Quant à moi,
moi-même, je ne hais que celui que vous aussi vous exécrez. Je suis moi-même un prisonnier qui se rebelle contre
Tibère.619

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein