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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Les attentes populistes

Comme l'évoque Lenain de Tillemont : « il songeoit plus à s'acquerir l'estime de la posterité, que l'affection de ceux de son temps620». En certains points, l'objectif de Tibère d'être plus apprécié après sa mort que de son vivant s'est avéré concluant. S'il s'est lui-même condamné à des siècles de damnation en raison de son caractère ombrageux, les Modernes louent ses visées anti-démagogiques, un reproche souvent intenté à son prédécesseur et à César. Même les auteurs voulant condamner Tibère doivent reconnaître que sa vision du rapport au peuple était plus « saine » que celle consistant à le flatter jusqu'à l'excès. Ainsi, Laurentie - et nous avons constaté sa haine envers

le prince - condamne plus Auguste que Tibère dans ce domaine : C'est que pour la plupart des hommes le succès est la première des séductions ; Auguste a eu cette singulière fortune de tromper son époque et même l'avenir. On lui a pardonné jusqu'aux proscriptions, non moins atroces que celles de Sylla, et plus odieuses, parce qu'elles ne furent qu'un assentiment et une lâcheté. Je ne parle pas de ses vices et de ses débauches ; ce furent les vices et les débauches du siècle entier. Mais il les associa à un certain goût de décence publique, sorte de tempérament de la corruption.621

Ainsi il ne se fait pas l'esclave du peuple, un propos qui rassemble les hommes du XIXe siècle opposés aux révolutions européennes. Tibère ne hait pas le peuple, mais il en déteste le jugement quand il devient celui d'une masse emplie d'obscurantisme. Mais ce qui est loué par la postérité ne l'est pas par ses contemporains. Ainsi, Zvi Yavetz consacre son étude La plèbe et le prince, foule et vie politique sous le haut-empire romain à la démonstration d'un populisme naissant dans les premières générations du principat. Le peuple, qu'il nomme souvent péjorativement « les masses622», est aussi manipulé par la propagande impériale qu'il veut manipuler l'empire. Ces « masses » n'ont que faire de la qualité de la politique de leur prince, et leurs demandes sont

619. Colerus E., Tiberius auf Capri, Leipzig : F. G. Speidel'sche Verlagsbuchhandlung , 1927, p. 177, in. David-de Palacio 2006, p. 125

620. Lenain de Tillemont 1732, p. 52

621. Laurentie 1862 I, p. 304-305

622. L'auteur est Israëlien, nous n'avons consulté que la traduction française et le terme original nous est inconnu

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essentiellement de l'ordre du divertissement. Ainsi, de leur vivant, César, Auguste ou Néron furent appréciés pour leur goût du spectacle et leur apparente chaleur humaine. Quant aux timides, comme Tibère, ils leur étaient haïssables et aucune compassion ne leur était témoignée quand les malheurs

les frappaient623. Ce propos est partagé par Ernest Kornemann : Après Auguste, la plèbe romaine aurait accueilli plus volontiers un Princeps vivant comme Néron et permettant ce genre de vie, sachant en outre distraire lui-même les autres, plutôt qu'un homme comme Tibère qui, tel un censeur de l'ancienne Rome, vitupérait souvent et nourrissait son idéal de passé.624

Lorsque les auteurs font parler le peuple romain, c'est souvent pour qu'il déprécie la haute société et son mépris des considérations de la plèbe. C'est le propos d'Hubert Montheilet dans Neropolis : sous les traits d'un gastronome féru de gladiature, il offre une critique populiste des organisateurs de ces spectacles, ou plutôt du rapport entre politiciens et divertissement :

Je t'ai entendu parler à Ruga de gladiature tout à l'heure. Quelle décadence pour notre noblesse ! Sous la République,
les édiles curules ou plébéiens, les préteurs offraient au peuple des Jeux magnifiques et chaque ambitieux y était expert.
Cicéron lui-même trafiquait des gladiateurs en sous-main. Alors que depuis Auguste, c'est tout un collège de préteurs
qui en tirent deux au sort pour organiser une fête dont l'empereur n'admet pas qu'elle puisse concurrencer les siennes.
Encore Tibère a-t-il supprimé la fête la plupart du temps ! Ainsi, on peut arriver aujourd'hui au consulat en toute
ignorance de l'arène...625

Pour cet homme du peuple, l'intelligence, les qualités militaires ou les talents d'orateur ne sont que des atouts mineurs pour les plus hauts dignitaires de Rome : le plus important étant leur lien avec le « bas peuple ». La critique revient plus loin dans le roman, à une autre époque (l'introduction, de laquelle est tirée la citation ci-dessus, présente le père du personnage principal à la fin du règne de Tibère, tandis que la plus grande partie est consacrée à celui de Néron), quand l'on critique « l'aristocratique dédain » de l'ancien prince de Rome pour le comparer aux passions de Claude - retenu seulement pour son avarice - et aux surprenantes démonstrations organisées par Néron626. Toutefois, Yavetz lui-même reconnaît qu'il faut nuancer le propos et ne pas faire du peuple romain une « masse » informe qui ne se contentait que de pain et de jeux : la caricature serait infamante pour le peuple romain et ne ferait que servir les intérêts hostiles aux démocraties.

Il ne faut pas non plus, à l'inverse, faire de Tibère un avare, incapable d'offrir des cadeaux au peuple. Tout au long de son règne, il assura un ravitaillement régulier à Rome, stabilisa le prix des denrées (on semblait lui reprocher le contraire) et - affaire rapportée par Tacite - il témoigna d'une

623. Yavetz 1983, p. 187

624. Kornemann 1962, p. 223

625. Montheilet 1984, p. 20

626. Ibid., p. 500

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grande sollicitude quand l'amphithéâtre de Fidènes s'effondra, causant de nombreuses morts. Mais cette générosité semblait un acte normal pour le peuple, un devoir en somme. Yavetz rapporte même qu'on accusa le prince d'être responsable de l'accident de Fidènes : c'est son manque d'intérêt pour les jeux qui lui aurait fait négliger la sécurité du lieu, entretenu à la va-vite par un affranchi627. Ainsi Linguet reconnaît les valeurs de Tibère et se désole de le voir aussi peu remercié par la postérité, alors qu'on flatte Trajan ou Henri IV qui, malgré leurs qualités, n'ont pas témoigné le centième de la bienfaisance du prince conspué628.

Si Rome était hostile à Tibère, elle pouvait se liguer contre lui. Elle ne le fit pas.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille