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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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III - La servilité

a. Un Sénat servile

Le règne de Tibère est marqué par la servilité des élites, ce que Villemain nomme « l'avilissement du sénat, ses iniques sentences et ses lâches délations629». Mais les causes de cette démission morale restent floues : différentes hypothèses ont été avancées. Pour les détracteurs de Tibère, cette servitude est due au bon vouloir du prince, qui dissimule ses pensées pour observer la crainte des sénateurs, qui se savent délégués à son autorité mais ne parviennent pas à savoir quelle attitude adopter pour le satisfaire. A la domination tyrannique s'ajoute l'obéissance servile, la négation des valeurs humaines630. Et cette humiliation serait l'oeuvre de tout un règne, débutant dès ses premières années. Ainsi Tacite l'évoque au début des Annales, alors que les personnages de son récit n'ont pas encore été introduits, démontrant de l'importance de ce fait dans la compréhension qu'il veut offrir

du règne de Tibère : Cependant à Rome tous se ruaient à la servitude : consuls, sénateurs, chevaliers. Plus était grande la splendeur de leur rang, plus ils étaient faux et empressés ; composant leurs visage pour ne pas avoir l'air joyeux au décès d'un prince, ni trop tristes à l'avènement d'un autre, ils mêlaient leurs larmes, la joie, les plaintes, l'adulation.631

Mais si le propos sert à dénoncer la tyrannie naissante, il est aussi l'occasion de montrer un vice romain, ou plutôt un vice naturel qui les touche à cette époque d'indécision : la lâcheté. Le Sénat,

627. Ibid., p. 150-152

628. Linguet 1777, p. 168

629. Villemain 1849, p. 77

630. Laurentie 1862 II, p. 4

631. Tacite, Annales, I, VII.

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centre du pouvoir républicain, devient le plus grand coupable de l'échec de Tibère dans les essais du courant réhabilitant. Si le prince avait pu compter sur l'aide des sénateurs, sans doute aurait-il pu régner dignement. Mais ceux-ci craignant de le décevoir, lui qui ne semblait pas savoir lui-même comment agir, l'ont laissé porter la responsabilité du principat seul, une responsabilité qu'Auguste peinait à assouvir avec l'aide de ses proches, Agrippa et Tibère notamment - voire Livie. Si Auguste, qui avait créé le principat « sur mesure » pour convenir à ses ambitions ne pouvait le contenir seul, comment Tibère, qui semblait répugner à assumer cette charge, aurait-il pu le faire sans l'aide de personne ? Et, si l'indécision est déjà un reproche, le Sénat se décrédibilise de lui-même en s'effaçant devant le prince, voire en n'agissant que par flatterie, en conduisant les procès d'ennemis présumés de l'État. Ainsi, même l'hostile Laurentie reconnaît à Tibère le mérite de ne pas avoir cautionné les actes de bassesse suivant la mort de Séjan, quand le Sénat se mit à attaquer la mémoire de Livilla, comme si cela était utile, après que l'on eut condamné ses actes - ne prenant aucun risque de déplaire au prince632. Au milieu d'un propos volontairement hostile à Tibère, Lenain de Tillemont reconnaît lui aussi le mérite de ne pas avoir encouragé la flatterie : en dénonçant sa dissimulation, il démontre que le Sénat ne pouvait comprendre qu'il puisse à la fois réprimer les propos qui lui étaient hostiles et ceux qui relevaient de la flatterie basse et excessive633.

Dans les oeuvres de fiction, pour dénoncer la tyrannie, les auteurs font souvent appel à l'image du Sénat servile. En témoigne la tragédie de Nicolas Fallet où le bon Cecilius dénonce la complicité des sénateurs dans une accusation qu'ils savent fausse, avilis par la lâcheté :

CECILIUS
L'on vous y doit entendre ;
J'y paroîtrai moi-même et sçaurai vous défendre :
Mais à Tibère, hélas ! Ce Sénat est vendu.
C'en est fait, oubliant son antique vertu,
Ce corps s'est profané. Sa puissance affoiblie
Penche vers son déclin, par Tibère avilie ;
Le crime est triomphant, et les loix sans vigueur
Se taisent à la voix de ce lâche oppresseur.
Le Sénat sçait le crime, il en fera complice.
N'attendons rien de lui, faisons nous seuls justice634

Dans le roman de Maria Siliato, c'est ce même Sénat qui se rend coupable aux yeux des Romains insoumis de la mort de Julie, par son silence. Caius Silius s'exclame avec rage qu'un seul des six

632. Laurentie 1862 II, p. 5

633. Lenain de Tillemont 1732, p. 20

634. Fallet 1782, p. 27

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cents sénateurs a osé dire que la fille unique d'Auguste était morte d'épuisement dans son exil, tandis que tous les autres avaient feint de l'ignorer. Pourtant, aussi indigné soit-il, il doit avouer qu'il a lui même peur de représailles envers ceux qui s'opposent au prince : « ...Ici aussi, on fait silence, car on obéit à Tibère635». La servilité devient ridicule dans le roman d'Allan Massie quand, à la mort de Drusus II, le Sénat cherche à afficher une feinte tristesse devant le prince, qui lui essaie de faire bonne figure. En les remerciant, il ne peut que s'apercevoir que de nombreux sénateurs portent sur eux des oignons afin de faire pleurer leurs yeux. Le geste se voulant compatissant devient odieux636.

Dans la pièce Le dernier jour de Tibère, l'accent est mis sur la servilité du Sénat. Tibère vieillissant a eu toute une vie pour l'observer et en éprouve un dégoût sans égal. Le croyant mort, ceux qui le flattaient quelques heures auparavant tiennent un discours totalement différent :

TOUS.
Vive César ! ! !
TIBÈRE.
Consuls , et vous , fiers sénateurs,
Puissé-je uni longtems à vos soins bienfaiteurs,
Dignement accomplir la plus noble des tâches.
UN ROMAIN.
César est immortel !
UN AUTRE.
César est dieu...!
TIBÈRE , à part.
Les lâches.637
-
PREMIER SÉNATEUR.
César, contre un tel homme
La haine, la fureur, tout devient innocent.
Son éternel besoin fut des pleurs et du sang !
DEUXIÈME SÉNATEUR.
Mon père est mort par lui.
TROISIÈME SÉNATEUR.
C'est par lui que mon frère
Sous la hache homicide a précédé ma mère.
PROCULUS.
Tibère est maudit ! ! !
TOUS.

635. Siliato 2007, p. 19

636. Massie 1998, p. 231

637. Arnault 1828, p. 36

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Oui !!!638

Parmi eux, seul un sénateur ne prononce pas de condamnation envers la mémoire de Tibère : Galba. Pourtant, il était celui qui le haïssait le plus, de par ses propres convictions républicaines. Mais si sa colère est la plus forte, il ne voit pas l'utilité d'insulter un mort et s'il « maudit son pouvoir », il « respecte sa cendre639». Le Sénat s'affole en voyant Tibère revenir - il avait feint sa mort. Vivant, il n'est plus digne du respect de Galba, qui recommence à l'insulter, mais le prince ne lui en tient pas rigueur : il ne l'apprécie pas, mais il a su dire la vérité, là où tous les autres se taisent devant celui qui les terrorise et ne révèlent leur pensée qu'en le croyant disparu. Ces lâches ne sont pas dignes de son estime640. Ce jugement a été historiquement attesté à la mort de Séjan : alors que la plupart de ses amis le reniaient, disant n'avoir collaboré que par peur, un nommé Terentius ne l'avait pas abandonné, avouant à son procès son amitié avec l'infâme condamné. Pour ce geste courageux, il fut gracié. On retrouve cette histoire dans Poison et Volupté :

Il n'y a plus un seul ami de Séjan en vie ! Proclama Macron. Devant Tibère, il hésitait encore entre le garde-à-vous et

l'attitude plus dégagée du favori.

- Tu te trompes ! Il y a encore Terentius.

- Mais tu l'as gracié !

- Je plaisantais. Celui-là, au moins, n'est pas un lâche.641

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius