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En quoi les nouveaux modes de travail ont transformé le processus d'intégration des nouvelles recrues


par Laurianne Giteau
CNAM - Master 2 RH 2023
  

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1.1.3. Le sens comme levier clé

Les relations, la socialisation donnent du sens aux situations. Ce concept de « sensemaking » est un autre aspect important de l'intégration. En accord avec l'approche interactionniste mentionnée au début de cette revue de la littérature, nous retrouvons également le concept de « sensemaking » qui lui aussi est fondé sur l'interaction de l'individu avec son environnement (Garreau & Perrot, 2012).

La nouvelle recrue fait face à de nouvelles situations de manière récurrente lors des premières semaines et même des premiers mois. Elle donnera sens à ces situations une fois que la confrontation avec chaque nouvelle situation sera terminée. Ce processus de « sensemaking » (Garreau & Perrot, 2012), que l'on pourrait traduire par « créateur de sens », est un processus rétrospectif et individuel auquel la nouvelle recrue va s'adonner le plus souvent inconsciemment.

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Tableau 5 : Donner du sens en période d'intégration (Louis, 1980)

Donner du sens aux situations peut être une façon de gérer les surprises (Louis, 1980). Quand les situations ne sont pas familières et ne répondent pas à un script déjà préétabli, l'individu doit chercher du sens à ces situations afin de pouvoir mieux les accepter.

Les nouvelles recrues doivent faire face à de nombreuses surprises et adapter leurs attentes à la réalité. Les surprises ne sont pas forcément négatives (Louis, 1980) et font partie intégrante du processus d'intégration de la nouvelle recrue. Les surprises peuvent venir des tâches à accomplir, de l'organisation ou encore de la nouvelle recrue elle-même. En effet, on peut se surprendre à aimer ou ne pas aimer telle ou telle tâche, environnement ou encore processus de travail. Les tâches à accomplir et les attentes concernant son nouveau travail peuvent amener leur lot de bonnes et mauvaises surprises. Les attentes qui ne sont pas rencontrées peuvent démotiver et celles qui sont rencontrées peuvent conforter la nouvelle recrue dans le choix de sa nouvelle position et de sa nouvelle organisation. Afin de l'aider à faire face à ces surprises, la nouvelle recrue va tenter de leur donner du sens (Louis, 1978). Ses diverses expériences aussi bien professionnelles que personnelles vont l'aider à donner du sens aux situations et aux surprises rencontrées lors de son intégration. Le sens donné à une situation peut donc varier

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d'un individu à un autre. En effet, le « sensemaking » sera influencé par nos expériences individuelles et nos interprétations de la situation (Tableau 5).

Bien que le processus de « sensemaking » soit un processus individuel et rétrospectif de la socialisation organisationnelle, Garreau & Perrot (2012) parlent également du processus de « sense giving ». En effet, les différents membres de l'organisation, que ce soit la hiérarchie, les managers ou encore les collègues, vont tenter d'influencer le sens que la nouvelle recrue va donner aux situations (Gioia & Chittipeddi, 1991). Ces différents membres de l'organisation seront donc les principaux acteurs et influenceurs du processus de socialisation de la nouvelle recrue et leurs actions influenceront son processus de « sensemaking ».

L'influence et l'importance du manager dans le succès du processus d'intégration ne sont pas à négliger. En effet, la proactivité et la présence du manager permettent de réduire l'anxiété de la nouvelle recrue. Le partage d'informations et l'offre de support font que la nouvelle recrue va intégrer les nouvelles tâches plus rapidement et améliorer sa performance ce qui aura pour conséquence de réduire les démissions (Ellis et al, 2017).

Nous avons vu qu'avec la crise sanitaire et le recours massif au télétravail, non seulement la façon dont l'information est délivrée mais aussi qui va délivrer cette information à la nouvelle recrue ont changé (Morrison, 2021). La façon dont l'information est délivrée peut prendre différents aspects de nos jours. De façon synchrone ou asynchrone, en ligne ou en personne, la façon de communiquer doit s'adapter à la situation et à la personne (Jeske & Olson, 2021).

Les managers qui vont activement encourager ou mettre en place des systèmes de « mentoring » ou « buddies » augmenteront les chances de voir leurs nouvelles recrues s'intégrer et être plus rapidement opérationnelles. Cette proactivité aura un effet positif sur la rétention des nouveaux collaborateurs (Dekas, 2013 ; Stewart et al, 2021). Il est donc important de faire en sorte que les managers soient formés aux nouvelles formes de travail et aux nouvelles façons de motiver et impliquer leurs équipes et nouvelles recrues (Stewart et al, 2021).

La crise sanitaire a affecté non seulement la façon dont l'intégration des nouvelles recrues s'opère dans les organisations mais aussi les attentes de ces dernières. Les nouvelles recrues attendent d'un processus d'intégration qu'il soit plus flexible, adaptable et personnalisé (Jeske & Olson, 2021). Une orientation ratée peut coûter cher à l'entreprise. Le retour d'expérience des nouvelles recrues fraîchement intégrées ou en cours d'intégration est donc primordial. Les feedbacks apportés permettront à l'organisation d'améliorer ses processus et de donner un sentiment d'appartenance aux nouveaux collaborateurs qui se sentiront écoutés. A long terme,

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cela pourra améliorer la rétention des nouveaux collaborateurs (Stewart et al, 2021). La demande de retours est également un bon moyen de revoir ses processus et apporter de nouvelles perspectives, « fresh eyes » au processus d'intégration.

Les premières impressions sont importantes et les premières interactions seront décisives dans l'établissement du contrat psychologique entre l'individu et sa nouvelle organisation (Caldwell et Peters, 2018). Ce contrat psychologique doit être entretenu par l'employeur et avec l'arrivée en masse et soudaine des nouvelles formes de travail, de nombreux auteurs parlent du besoin d'intégrer de nouveau les anciens collaborateurs (Zung, 2020). Selon Garreau & Perrot (2012) « l'intégration des collaborateurs ne s'arrête pas à l'organisation d'une journée d'accueil, ni même à la validation d'une période d'essai éventuellement renouvelée. Elle relève d'une préoccupation tout au long de la carrière ». Les RH ont besoin de planifier le retour des collaborateurs sur site et pas seulement le retour des nouveaux collaborateurs. En effet, les anciens collaborateurs pourraient également bénéficier d'une aide à la réintégration, à l'assimilation de la nouvelle normalité et aux changements irréversibles dus à la crise (Zung, 2020) et au développement de la digitalisation.

Dans cette première partie de notre revue de la littérature consacrée à l'intégration, nous avons donc vu que le rôle du manager évolue et qu'il est devenu un acteur important de l'intégration. La littérature met également en avant le rôle du collaborateur dans sa propre intégration et préconise un comportement pro-actif et l'auto-management pour une intégration réussie. La socialisation et la connexion apparaissent comme étant des aspects importants de l'intégration et qui ne doivent pas être négligés par les entreprises. Il est souligné que depuis la crise sanitaire les attentes des nouvelles recrues ont changé. Elles veulent désormais de la flexibilité, de l'adaptabilité et des processus personnalisés. Les processus d'intégration doivent évoluer avec le temps et s'adapter constamment aux nouvelles demandes et attentes. La littérature récente met également en avant le fait que l'arrivée en force des nouveaux modes de travail ces trois dernières années a renforcé cette nécessité d'adaptation constante et de flexibilité des processus d'intégration.

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1.2. LES NOUVEAUX MODES DE TRAVAIL AU COEUR DE L'ACTUALITE

Lorsque l'on parle de nouveaux modes de travail, on parle principalement du télétravail ou travail hybride, qui en soit n'est qu'une combinaison entre le télétravail et le travail en présentiel ou sur site. Le télétravail domine donc cette révolution de ce que l'on appelle « les nouveaux modes de travail » apparu récemment avec la crise de la COVID 19. Cependant, force est de constater que le télétravail, bien qu'il apparaisse comme étant une nouveauté, n'est pas un phénomène si récent.

1.2.1. Le télétravail : fondements et évolutions

Déjà dans les années 70 avec le développement du secteur tertiaire ou secteur des services, on parle de l'apparition du travail à domicile (Alaluf, 1998). Louis Brunel dans son ouvrage de 1978 « Des machines et des hommes : télécommunications » parle pour la première fois de « télétravail ». A l'époque le télétravail, ou travail à domicile, ne connaît pas un engouement fort auprès des travailleurs. Force est de constater que les débuts du télétravail sont timides dans les années 70 et même 80. En effet, malgré le développement du télécopieur/fax et des lignes téléphoniques, le télétravail reste un mode de travail encore marginal.

On parle d'échec du télétravail dans les années 80 (Valenduc et Vendramin, 1997) qui peut être en partie expliqué par divers facteurs tels que le faible développement et le coût des nouvelles technologies, les mentalités, l'opposition des syndicats et la protection de l'information (Taskin, 2003).

C'est dans les années 90 que le télétravail va connaître une sorte de renaissance. Taskin ( 2003) identifie plusieurs raisons à ce développement. Il parle entre autres du contexte économique qui avec l'arrivée de la mondialisation va favoriser la flexibilité et l'agilité des modes de travail. Il apparaît alors comme « un instrument des stratégies de flexibilité » (Valenduc et Vendramin, 2001). Notons également parmi les facteurs qui ont favorisé le développement du télétravail à partir des années 90, le contexte socioculturel. Les mentalités commencent à changer et de nouvelles préoccupations apparaissent comme le bien-être au travail, l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle ou encore l'écologie. On recherche plus de flexibilité, plus d'autonomie, moins de stress. On commence à constater que « le trajet domicile-lieu de travail n'apporte aucune valeur ajoutée au travail (et) constitue une nuisance qui affecte d'une manière importante la qualité de vie des actifs, bien résumée dans la formule `métro, boulot, dodo » (Seltzer, 1997). Le télétravail apparaît dès lors de moins en moins tabou et semble une

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des solutions à cette quête du bien-être au travail. Les syndicats commencent à s'emparer du sujet et le télétravail marque alors un tournant inévitable avec le développement de l'individualisation organisationnelle à la fin des années 90 (Devos et Taskin, 2002).

Une des autres raisons de la renaissance du télétravail dans les années 90 identifiée par Taskin, est le contexte technologique. Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) est un facteur majeur dans l'histoire du télétravail. En effet, l'apparition du pc (ordinateur personnel) va rendre plus accessible le télétravail à une nouvelle population d'employés comme les cadres ou encore les employés administratifs. L'amélioration du réseau téléphonique et sa numérisation va également favoriser l'essor du télétravail. Cependant, le coût du matériel informatique reste encore élevé et le matériel informatique personnel reste en partie seulement accessible aux « nouveaux travailleurs en cols blancs à domicile » (Huws, 1984).

Tableau 6 : Croissance internationale de la technologie de l'information : 1990-2007
(Crenshaw & Robison, 2010)

Au début des années 2000, le développement des NTIC déjà commencé dans les années 90 va se confirmer avec une forte accélération de l'internet. Cette forte accélération va avoir un impact sur l'économie mondiale, la politique, mais aussi sur les affaires publiques (Crenshaw & Robison, 2010).

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La place de plus en plus importante des NTIC se fait sentir surtout au début des années 2000 avec une forte croissance des utilisateurs d'internet, de téléphones mobiles et l'arrivée de l'internet haut débit (Tableau 6). Cette révolution des NTIC va permettre une « déspatialisation » (Taskin, 2006) du travail qui sera révolutionnaire. L'usage des TIC va permettre d'amener le travail aux travailleurs (Nilles, 1994). On est dans une migration inverse de celle vécue lors de la révolution industrielle qui a vu les travailleurs se déplacer vers le travail. Se relocaliser près des usines et de leur lieu de travail (Marglin, 1976). Avec le développement des NTIC, le travail peut se déplacer vers le travailleur, c'est une nouvelle révolution qui s'amorce.

Malgré le développement des NTIC, ce n'est pas avant 2020 et l'arrivée de la crise sanitaire mondiale de la COVID 19 que le télétravail va se démocratiser de manière exponentielle et globale. Ce développement forcé et sans précédent du télétravail va marquer une nouvelle évolution majeure dans l'histoire du télétravail avec une démocratisation de cette nouvelle forme de travail qui s'est faite du jour au lendemain et qui semble être là pour rester. Ce développement soudain, nous amène à nous demander ce qu'est réellement le télétravail. En recherchant la littérature dédiée au télétravail on s'aperçoit que bien qu'il y ait de nombreux articles et recherches dédiés à ce sujet, aucun ne s'accorde unanimement sur une définition du terme télétravail. De plus, nous pouvons noter l'utilisation de termes différents tels que « travail à domicile » (Taskin, 2003) ou encore « eTravail » (Taskin, 2006).

Malgré une définition du télétravail qui fait de plus en plus consensus, l'adoption d'une définition acceptable et acceptée de tous reste une source de débats et de désaccords. Les différents types de travaux effectués ainsi que la différence entre le travail à domicile et le télétravail sont des sources de désaccords communs dans la littérature (Sullivan, 2003).

De plus en plus, il est accepté que le télétravail implique l'utilisation des NTIC et qu'il se pratique en dehors du lieu de travail habituel. Cependant, au fil des années, les différents aspects qui caractérisent le télétravail ont été plus ou moins mis en avant. Dans les années 70 et 80, la définition du télétravail se focalisait plus sur l'aspect du transport, du trajet entre la maison et le bureau (« commuting » en anglais). Nous parlions d'ailleurs de « telecommute » ou « telecommuting » dans les pays anglo-saxons. Cette définition très axée sur les transports est largement dominée par les travaux de Jack Nilles dans les années 70 et 80. Notons par exemple son article de 1976 « Telecommuting - an alternative to urban transportation congestion ». Le télétravail est vu comme une manière de décongestionner les centres villes, éradiquer les trajets entre le domicile et le bureau (Huws et al, 1990).

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Le trajet travail-domicile (« commute » en anglais) fait partie des 6 thèmes centraux qui permettent de mesurer et définir le télétravail selon Ellison (Ellison, 1999).

Un autre aspect important du télétravail et qui en est devenu un élément fondamental retrouvé dans la plupart des définitions à partir des années 90, est l'utilisation des NTIC. L'utilisation des NTIC va permettre de faire la différence entre le travail à domicile et le télétravail (Huws et al, 1990 ; Ellison, 1999)

En 1994, Thierry Breton dans son rapport « Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques » définit le télétravail comme étant « une modalité d'organisation ou d'exécution d'un travail exercé à titre habituel, par une personne physique, dans les conditions suivantes : d'une part, ce travail s'effectue à distance, c'est-à-dire hors des abords immédiats de l'endroit où le résultat de ce travail est attendu; en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d'ordre de surveiller l'exécution de la prestation par le télétravailleur; d'autre part, ce travail s'effectue au moyen de l'outil informatique et/ou des outils de télécommunication, y compris au moyen de systèmes informatiques de communication à distance : des données utiles à la réalisation du travail demandé et/ou du travail réalisé ou en cours de réalisation. »

Dans l'ANI de 2005, le télétravail est défini comme suit : « Le télétravail est une forme d'organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l'information dans le cadre d'un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l'employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière. »

Cependant l'utilisation de plus en plus importante des NTIC n'est pas un phénomène seulement lié au télétravail. En effet, les travailleurs sur site voient également leur travail révolutionné par l'apparition et le développement des NTIC. L'utilisation des NTIC ne peut donc pas être le seul élément qui permettra de mesurer et définir le télétravail. Hopkinson et al (2002) et Taskin (2006) se sont donc intéressés au contenu du travail effectué par les télétravailleurs.

On retrouve dans le début des années 2000 le terme de « knowledge workers » (Hopkinson et al, 2002) ou « travailleurs de la connaissance » (Taskin, 2006). Selon Hopkinson et al (2002) seuls les « knowledge workers » devraient être considérés comme des télétravailleurs. Taskin (2006) définit ces « travailleurs de la connaissance » comme étant des travailleurs avec des projets, effectuant des tâches qui ne peuvent pas être mesurées ou contrôlées avec l'unité temps que l'on retrouve dans le travail de Lallé (1999). Dans une certaine mesure, il est accepté que les « knowledge workers » ne font pas de travaux manuels. Cela écarte de nouveau les

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travailleurs à domicile ou encore les travailleurs indépendants, les artisans qui pour beaucoup travaillent à leur domicile et pourraient donc être considérés comme des télétravailleurs.

Afin de déterminer ce qu'est un « télétravailleur » nous avons vu que le transport, l'utilisation des NTIC ou encore le contenu du travail sont importants. Cependant, d'autres critères apparaissent dans la littérature tel que la fréquence avec laquelle le télétravail est effectué. On peut parler de haute intensité et de faible intensité de télétravail (Gajendran & Harrison, 2007). Selon l'étude de Gajendran & Harrison avec une moyenne de moins de 2.5 jours de télétravail, un télétravailleur est considéré comme étant un « low-intensity telecommuter ». La fréquence du télétravail peut donc être utilisée pour définir le télétravail. On peut faire la distinction entre les travailleurs qui travaillent en dehors du bureau, ceux qui travaillent en partie en dehors du bureau, ceux qui travaillent de temps en temps en dehors du bureau ou encore ceux qui occasionnellement amènent du travail à la maison et laissent leur travail du bureau s'étendre sur leurs soirées et weekends. Peut-on parler de télétravail pour tous ces travailleurs ? Selon Gurstein (2001) oui, ils répondent tous à une forme de télétravail. Le développement des NTIC a vu les frontières entre le bureau et le domicile se brouiller de plus en plus (Billsberry & Wilks, 2007).

La localisation du travail est également vue comme étant un élément essentiel de la définition du télétravail. Cependant, encore une fois les auteurs n'arrivent pas à s'accorder sur une définition précise de la localisation des télétravailleurs. Avant les années 2000 la localisation des télétravailleurs était principalement acceptée comme étant leur domicile. D'où le terme beaucoup employé alors de « travailleur à domicile ». Cependant, vers la fin des années 90 et le début des années 2000 cette définition de la localisation des télétravailleurs est chamboulée encore une fois par l'arrivée en force des NTIC. En effet, il est désormais possible de travailler depuis une grande variété d'endroits (Taskin, 2006).

Le télétravail en télécentre ou bureau satellite fait partie des 5 catégories de télétravail cartographiées par l'étude de 2000 de l'ECaTT (Electronic Commerce and Telework Trends)2.

Cette étude qui sera utilisée comme base pour de nombreuses enquêtes européennes sur le télétravail (Taskin, 2006) distingue cinq catégories de télétravail :

2 Enquête réalisée par questionnaires dans dix pays de l'Union européenne. Cette étude ne prend pas en compte le télétravail dans les centres d'appels. Cette étude est basée sur un échantillonnage de 4 158 entreprises et 7700 personnes.

1.

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Le télétravail régulier qui lui-même est réparti en deux sous-catégories (le télétravail permanent et alterné) ;

2. Le télétravail occasionnel ;

3. Le télétravail en télécentre ou bureau satellite ;

4. Le télétravail mobile (lors de voyages d'affaires, de missions sur site par exemple) ;

5. Le télétravail indépendant (statut indépendant travaillant à domicile et utilisant les NTIC).

On peut de nouveau remarquer que la fréquence, la localisation ou encore l'utilisation des NTIC sont utilisées comme éléments de mesure du télétravail. Le transport (commute) n'est pas dans cette étude un élément essentiel dans la définition du télétravail car le travail mobile ou encore le travail en télécentre n'éliminent pas le déplacement du télétravailleur.

Les cinq critères de cette étude rappellent les cinq variables utilisées par Standen et al (1999) pour définir et mesurer le télétravail. Selon eux, le télétravail devrait être vu comme un phénomène multidimensionnel plutôt que seulement comme une absence du lieu de travail.

Ils définissent cinq variables qui peuvent mesurer le télétravail :

1. Le degré auquel les NTIC connectent les travailleurs à leur bureau ;

2. La distribution du temps entre le bureau et le domicile ;

3. L'ampleur de la communication nécessaire avec les autres employés afin d'effectuer le travail/la tâche ;

4. L'importance de la communication avec les clients ou autres parties externes ;

5. L'intensité du savoir requis.

Le développement du cadre juridique amorcé dans les années 90 est également un facteur qui a aidé le télétravail à se développer et à se définir. Dans un rapport de 1993 intitulé « Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques », Thierry BRETON va tenter de définir le télétravail. Cependant ce n'est pas avant les années 2000 que le télétravail va réellement prendre une dimension juridique avec l'accord-cadre européen de 2002 visant à conférer les mêmes droits aux télétravailleurs qu'aux autres salariés. Avant les années 2000, le développement du télétravail était bien souvent seulement dû à un arrangement entre le salarié et l'employeur. Il ne donnait que très rarement lieu à un aménagement du contrat de travail, un accord officiel entre les deux parties (Taskin, 2003).

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L'ANI de 2005 relatif au télétravail est le premier accord à encadrer le recours au télétravail au niveau national et marquera un tournant dans l'acceptation du télétravail par les partenaires sociaux jusque-là sceptiques quant aux bénéfices et aux avantages d'un tel mode de travail tant pour les employés que pour les employeurs. Désormais le télétravail peut faire partie des conditions de travail du salarié et peut faire l'objet d'un avenant au contrat de travail. De plus il est pratiqué sur la base du volontariat seulement et est réversible (l'employeur comme l'employé peuvent demander son annulation)3.

Le télétravail est rentré dans le code du travail en 2012 et se définissait alors ainsi : « le télétravail est une forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les TIC dans le cadre d'un contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci » (Dumas & Ruiller, 2014).

Bien qu'il ait évolué de manière exponentielle ces deux dernières années, le télétravail avait fait l'objet d'une évolution législative majeure en 2017 avec les ordonnances Macron4 (Art. L.12229 du Code du Travail). L'article L.1222-9 supprime le caractère régulier du télétravail et le recours à l'avenant au contrat de travail. Depuis le 24 septembre 2017, qu'il soit régulier ou occasionnel, le télétravail est soumis à la réglementation du télétravail.

On voit alors évoluer la définition du télétravail dans la loi à partir de 2017 : « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication » (Art. L.1222-9 du Code du travail).

L'ordonnance Macron de 2017 a pour volonté de lever les freins au télétravail et le rendre plus accessible tout en lui donnant un cadre juridique à la fois souple mais aussi précis. Déjà le télétravail est vu comme étant l'outil d'organisation du travail du futur. En effet, il répond aux préoccupations des années 2000 à savoir la QVT, la conciliation vie privée et vie professionnelle ainsi que l'essor du numérique.

3 Source ANACT (Agence National pour l'Amélioration des Conditions de Travail) - Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail - www.anact.fr/file/accord-national-interprofessionnel-du-19-juillet-2005-relatif-au-teletravail

4 Legifrance: www.legifrance.gouv.fr/codes/articlelc/LEGIARTI000044605366

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Tableau 7 - Nombre de télétravailleurs réguliers et occasionnels en pourcentage de la main d'oeuvre en 1999 - SOURCE : ECaTT (Electronic Commerce and Telework Trends (2000)

Malgré ces nouvelles préoccupations et enjeux, force est de constater que la France mettra du temps à adapter ce nouveau mode de travail. Le pourcentage de télétravailleurs en France à la fin des années 90 est presque marginal (Tableau 7) et on aperçoit que les pays nordiques sont bien plus développés dans ce domaine que la moyenne européenne.

Tableau 8 : % de salariés effectuant plus de 8 heures par mois de télétravail parmi la
population salariée totale. (d'après le Rapport sur le télétravail du Centre d'analyse
stratégique - www.strategie.gouv.fr)

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Au début des années 2010, le télétravail en France n'a pas beaucoup évolué malgré la loi de 2012 et l'entrée du télétravail dans le code du travail. Encore une fois les chiffres montrent que la France est en retard par rapport à ses voisins européens concernant l'adoption de ce mode de travail (Tableau 8).

Les freins à l'adoption de cette nouvelle organisation du travail semblent être multiples. La peur et la méconnaissance à la fois des managers et des salariés, l'appropriation des outils numériques, la culture, le manque de dialogue social à ce sujet et l'autonomie encore limitée laissée aux salariés font partie des freins observés. On peut aussi mentionner le cadre juridique encore très récent à l'époque et les craintes pour la productivité et les relations interpersonnelles de l'entreprise. Toutes ces raisons et bien d'autres encore, font que la France est en retard par rapport à d'autres pays en ce qui concerne l'adoption du télétravail au début des années 2010.

Tableau 9 : Part des salariés pratiquant régulièrement le télétravail en 2017 selon la catégorie socioprofessionnelle (Source : Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2017)5

En 2017, seulement 3% des salariés déclarent pratiquer le télétravail au moins 1 jour par semaine. Ces télétravailleurs sont principalement des cadres (Tableau 9). Le télétravail et son développement semblent alors être un enjeu majeur pour les RH à la fin des années 2010.

5 Champ : France (hors Mayotte), tous salariés. Echantillon aléatoire de 1 527 répondants en France interrogés en face à face, 849 salariés interrogés par interne et 1 604 salariés (dont 581 managers) interrogés en ligne via panel.

Source : Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2017 - https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/daresanalysessalariesteletravail.pdf

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1.2.2. Le télétravail comme nouvel enjeu RH

Dans son livre «Work, Unemployment and, Mental health» Peter Warr (1987) s'intéresse à la santé mentale des travailleurs et des chômeurs. Selon lui, la santé mentale de ces deux catégories de personnes est influencée par les mêmes caractéristiques environnementales. Ce qui peut se révéler dangereux pour la santé mentale des travailleurs, peut également se révéler dangereux pour les personnes sans emploi et à l'inverse, ce qui peut se révéler positif pour les travailleurs peut aussi l'être pour les chômeurs. De nombreuses études sur le télétravail ont utilisé les travaux de Warr pour comparer les conséquences psychologiques que peut avoir l'environnement sur les travailleurs et les télétravailleurs (Standen et al, 1999).

Les neuf variables identifiées par Warr (1990) sont :

1. L'opportunité de contrôle (autonomie et participation aux processus de décisions) ;

2. L'opportunité d'utiliser ses compétences ;

3. Un niveau de demandes et d'objectifs modéré ;

4. La variété (des tâches, des rôles, des compétences requises etc.) ;

5. La clarté (clarté des comportements requis, des résultats, du futur, des objectifs etc.) ;

6. L'argent ;

7. La sécurité physique (bonnes conditions de travail, absence de danger) ;

8. L'opportunité d'avoir des contacts entre collègues (bonne communication, qualité des interactions, support social) ;

9. La valeur de la position sociale (le prestige du rang social, l'environnement social à la maison et au travail, le sens des tâches accomplies).

En général, la santé mentale est meilleure lorsque ces neufs variables sont réunies. Cependant, ce qui est reproché au modèle de Warr est le manque de clarté et d'information concernant le poids de chaque variable et leur niveau optimal pour une meilleure santé mentale.

Une autre préoccupation à ne pas négliger par les RH est le conflit entre vie professionnelle et vie privée. Ce sujet n'est pas un sujet récent mais il prend une nouvelle dimension avec le télétravail. On parle alors de débordement (« spillover » en anglais) positif et négatif entre les deux vies. On observe un débordement important des humeurs négatives entre les deux vies et à l'inverse, un débordement plutôt modéré des humeurs positives d'une vie à l'autre (Williams & Alliger, 1994). Un débordement de la répartition du temps de travail est aussi observé, on

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parle d'une nouvelle « articulation de la temporalité entre travail et non-travail » (Taskin, 2003) avec une augmentation sensible du temps de travail chez les télétravailleurs (Chapman et al, 1995).

Le thème de la balance vie privée/vie professionnelle offerte par le télétravail fait débat dans la littérature. Pour certains le télétravail offre un équilibre vie privée/vie professionnelle difficilement atteignable pour les non-télétravailleurs (Raghuram & Wiesenfeld, 2004) alors que pour d'autres le télétravail accentue les conflits et le stress entre les deux sphères (Standen et al, 1999). Le thème de la socialisation et des relations interpersonnelles, est quant à lui en majorité vu dans la littérature comme étant négativement impacté par le télétravail (Short, Williams & Christie, 1976)

Ces deux thèmes ainsi que le thème de l'autonomie, que nous verrons plus bas, font partie selon Gajendran et Harrison du « paradoxe du télétravailleur ». En effet, les conséquences le plus souvent observées des deux thèmes, autonomie et balance vie privée/vie professionnelle, ne sont pas compatibles avec les conséquences du troisième thème (socialisation et relations interpersonnelles). Si, comme la littérature semble le démontrer le plus souvent, le télétravail augmente l'autonomie et diminue les conflits entre vie privée et vie professionnelle, cela devrait augmenter la performance et réduire le stress. En même temps, si le télétravail devait, comme souvent indiqué, endommager les relations interpersonnelles et les perspectives de développement de carrière cela aurait un impact sur la vie non seulement professionnelle mais aussi personnelle des télétravailleurs et augmenterait les conflits entre ces deux sphères ainsi que le sentiment de perte de contrôle. On voit donc que les deux premiers thèmes ne sont pas compatibles avec le troisième.

Cela met en évidence le fait qu'il est difficile non seulement de définir le télétravail mais qu'il est aussi difficile de déterminer si le télétravail a des conséquences positives ou négatives sur les télétravailleurs et leur entourage. La littérature ne semble pas s'accorder sur le sujet.

Les effets du télétravail sur les télétravailleurs sont souvent documentés mais il ne faut pas oublier que le télétravail peut également avoir des effets sur les personnes qui entourent les télétravailleurs. Que ce soient leur famille ou leurs collègues. On distingue la production « industrielle » de la production « du ménage (household) ». Une des différences principales entre ces deux productions est que l'une est rémunérée et l'autre ne l'est pas (Tietze & Musson, 2005). Ces deux sphères sont en général séparées mais avec l'arrivée du télétravail, les deux sphères vont se rencontrer et vont devoir cohabiter.

La production industrielle est souvent vue comme étant plus importante que la production du

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ménage. Le temps c'est de l'argent (« time is money ») est le fondement sur lequel la production industrielle a été construite (Taylor, 1911). Le temps du travailleur a été transformé en monnaie d'échange. A l'inverse la production du ménage est vue comme étant un travail d'amour, la temporalité n'est pas la même que pour la production industrielle. Le temps consacré au ménage (household) n'est pas monnaie d'échange. La production du ménage est souvent plus invisible, et considérée comme étant moins puissante et importante que la production industrielle (Tietze & Musson, 2005). C'est traditionnellement le domaine des femmes.

On pourrait être tenté de considérer la production industrielle comme étant moins saine, moins attirante que la production du ménage. Cependant, la sphère du ménage peut elle aussi être une institution demandeuse de beaucoup de temps et d'une loyauté sans bornes (Coser, 1974). Cet aspect de la production du ménage peut rendre la production industrielle plus attractive pour certains et fait que des personnes préféreront la sphère industrielle à la sphère du ménage. La sphère industrielle peut même devenir un endroit où échapper à la sphère du ménage.

Le télétravail va avoir pour effet de confronter les deux sphères et effacer les frontières qui pouvaient exister entre elles. C'est la rencontre entre deux mondes, le monde du travail rémunéré et celui du travail non rémunéré. A travers leur recherche sur l'impact du télétravail sur la sphère familiale, Tietze et Musson (2005) ont trouvé que la sphère familiale a plus de chance de se faire coloniser par les pratiques et le vocabulaire de la sphère industrielle que l'inverse. Tietze et Musson (2005) identifient un débordement important du vocabulaire et des pratiques de « time management » dans la sphère familiale. Les télétravailleurs qui ont participé à leur étude ne font plus la distinction entre les tâches de la sphère du travail et les tâches de la sphère familiale. Ces tâches deviennent une liste de tâches à effectuer et pour lesquelles ils doivent faire preuve d'une bonne gestion du temps et d'une efficacité optimale. Certains parlent de « family meetings » ou encore « family battle plans », des termes (meetings, plans) jusqu'alors réservés à la sphère du travail et qui avec le télétravail débordent dans la sphère familiale. Ce débordement lexical et comportemental de la sphère du travail sur la sphère familiale n'est pas le seul débordement observé. En effet, on observe également un débordement physique. Le télétravail est vécu comme une intrusion du travail dans l'espace physique du foyer. Ce débordement semble causer le plus de ressentiment de la part des autres membres de la sphère familiale selon Tietze et Musson (2005). Des espaces jusqu'alors communs, se voient occupés par la sphère du travail avec l'arrivée de dossiers, ordinateurs, imprimantes et autres outils appartenant au monde du travail. Dans l'étude de Tietze et Musson (2005), les télétravailleurs parlent aussi des interruptions qui continuent d'exister lorsque l'on

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télétravaille. Ces interruptions sont différentes de celles observées au bureau mais peuvent être tout aussi perturbatrices. Encore une fois le vocabulaire de la sphère du travail ressort lorsque l'on dit que les enfants doivent être « managés » par exemple.

Bien que le télétravailleur ait plus d'autonomie en ce qui concerne la gestion de son temps, cette autonomie peut aussi être vécue comme une source de stress. Selon Tietze et Musson (2005), le fait de réunir les deux sphères et d'effacer les frontières entre ces dernières fait que les télétravailleurs doivent gérer plus de demandes et de responsabilités en même temps. De plus, cet entre-deux permanent provoque une perte d'identité. Le télétravailleur a plus de mal à faire la distinction entre ses différents rôles et apparaît une peur de la perte de son statut professionnel et du respect de ses collègues.

Si l'on rapproche l'étude de Tietze et Musson avec les variables de Warr vues précédemment, on observe chez le télétravailleur la détérioration de cinq variables sur les neuf variables qui influencent la santé mentale du travailleur. Ces cinq variables sont le niveau de demandes qui augmente avec le télétravail et le débordement des demandes de la sphère familiale sur la sphère du travail, la clarté avec un effacement des barrières entre les rôles qui provoque une perte de clarté, la sécurité physique avec des espaces de travail qui ne sont souvent pas adaptés, l'opportunité d'avoir des contacts avec les collègues qui est bien souvent moindre pour les personnes en télétravail et enfin la valeur de la position sociale qui se voit affectée par la crainte de perdre son statut professionnel. Les variables « opportunité d'utiliser ses compétences », « variétés » et « argent » ne semblent pas vraiment impactées par le télétravail.

La variable contrôle/autonomie se voit améliorée par le télétravail et par l'augmentation du contrôle de son temps mais cela peut également amener son lot de stress. L'autonomie qui est souvent vantée comme étant un des principaux avantages du télétravail, peut se révéler être une « autonomie relative » ou « superficielle » (Gajendran & Harrison, 2007).

Les télétravailleurs sont susceptibles de ressentir un sentiment de liberté, de contrôle et d'autonomie plus important que les non-télétravailleurs. Cela est dû au fait qu'ils soient physiquement et psychologiquement éloignés de leur espace de travail. Cet éloignement fait qu'ils ne subissent pas le même degré de contrôle et de supervision que leurs collègues qui se trouvent au bureau. Le fait de pouvoir contrôler la façon dont on s'habille, les pauses que l'on prend, la décoration de notre espace de travail, l'ambiance (lumière, musique etc.) renforce le sentiment d'autonomie du télétravailleur.

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Tableau 10 : Cadre théorique des conséquences du travail à distance
(Gajendran & Harrison, 2007)

Le thème de l'autonomie du télétravailleur fait partie des trois thèmes principaux retrouvés dans la littérature du télétravail d'après Gajendran & Harrison. Ils identifient également le thème du conflit entre la vie privée et la vie familiale et le thème de la socialisation (Tableau 10). Selon eux, le télétravail aurait des conséquences principalement sur ces 3 thèmes.

En ce qui concerne l'autonomie, la littérature voit en majorité le télétravail comme ayant une conséquence positive sur l'autonomie du travailleur. Cependant, un niveau d'autonomie élevé peut aussi avoir des conséquences négatives (Langfred, 2004). Cette nouvelle autonomie du travailleur va avoir un impact sur sa relation avec son manager et le rôle de ce dernier.

La relation que le télétravailleur a avec son manager est un sujet qui a inspiré beaucoup d'auteurs. Pour certains le télétravail a pour conséquence possible une dégradation de la relation managériale (Reinsch, 1999). Le télétravailleur ayant peur de l'isolement, du manque d'échange d'informations de la part du manager et le manager souffrant du manque de contrôle sur le télétravailleur.

Il est souvent question du changement de stratégie de la part des managers et de nouvelles formes de contrôles. On parle beaucoup du management par objectifs (Taskin, 2006). Les modes de contrôle traditionnels ne sont plus adaptés aux nouvelles formes de travail et doivent

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évoluer. Il est nécessaire de repenser les formes de contrôle du manager (Kurland & Cooper, 2002). Selon Lallé (1999), le contrôle est traditionnellement structuré autour de « trois unités ». Il parle de l'unité temps, l'unité lieu et l'unité action. Le télétravail va chambouler ces unités de contrôle traditionnelles et les rendre obsolètes. L'unité temps n'est pas facilement contrôlable pour les télétravailleurs. Ils jouissent d'une plus grande autonomie dans le gestion de leur temps et de plus les télétravailleurs étant le plus souvent des « knowledge workers » (Taskin, 2006) la nature des tâches qu'ils doivent effectuer n'est pas facilement contrôlable à partir du facteur temps. Un contrôle par le résultat ou l'objectif semble plus pertinent pour ces travailleurs. L'unité lieu n'est pas applicable avec le télétravail ou difficilement applicable. L'essence même du télétravail est la délocalisation du travail vers le domicile ou un autre endroit qui est éloigné du manager. Le contrôle lié au lieu du travail est donc compromis avec le télétravail et encore une fois, il est préférable de contrôler le travail effectué, le résultat, plutôt que le lieu où ce travail a été effectué. Enfin, l'unité action fait référence aux procédures à suivre, aux règles établies par le manager. Le télétravailleur peut toujours avoir à respecter ces consignes et procédures cependant il restera toujours compliqué pour le manager de vérifier que ces dernières sont bien respectées. Le fait que l'objectif soit atteint et que le travail soit fait sera plus important que la manière dont il a été fait.

Les managers doivent donc apprendre à manager différemment et développer un niveau de confiance plus élevé. Cependant, un niveau de confiance trop élevé peut aussi avoir des conséquences négatives sur la performance (Langfred, 2004). Selon l'étude de Langfred, les équipes auto-managées avec un haut niveau d'autonomie seront plus performantes lorsque le niveau de confiance n'est pas trop élevé.

Lorsque les équipes sont auto-managées, les membres de l'équipe sont responsables de la surveillance du travail des différents membres de l'équipe. Si un sentiment de confiance important est instauré, il sera difficile pour les membres de l'équipe de rapporter un problème ou même de surveiller les autres membres. Cela pourrait être vu comme inutile ou comme de la délation qui pourrait avoir pour conséquence la mise à l'écart du groupe. Les membres des équipes auto-managées qui jouissent d'une grande autonomie et confiance peuvent donc être plus réticents lorsqu'il s'agit de rapporter un problème ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur la performance de l'équipe en général. Il est donc préconisé de faire en sorte que plus les membres d'une équipe sont autonomes, plus il est important qu'ils soient au courant des activités de chacun afin d'éviter les problèmes de coordination et de communication (Orton & Weick, 1990) ainsi que les pertes de procédés. Un certain niveau de contrôle est donc

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nécessaire quel que soit le niveau de confiance dans une équipe. Langfred met cependant en garde contre les conclusions trop hâtives concernant la relation entre la performance et la confiance. En effet, les résultats de son étude montrent que trop de confiance peut avoir une conséquence négative sur la performance des équipes auto-managées qui sont en général caractérisées par des niveaux d'autonomie individuelle très élevés. Ce résultat ne s'applique pas forcément aux équipes et aux organisations en général. Il n'est pas question de remettre en cause la confiance au travail. Il a déjà été prouvé que la confiance peut avoir des effets positifs sur la performance. Ce que remet en cause Langfred c'est le niveau de confiance, et qu'un manque total de supervision peut être perçu comme naïf. Langfred ajoute « qu'un peu de scepticisme n'a jamais fait de mal à personne ou à une équipe».

Dans la littérature, les trois éléments principaux qui font que la hiérarchie est réticente au développement du télétravail sont la confiance, la sécurité et l'intimité (Joice, 2007).

La sécurité de l'information et la sécurité physique du télétravailleur sont souvent vues comme étant des freins au développement du télétravail. Ce sujet est souvent repris dans la littérature. Par exemple, Whiteman & Dick (2006) évoque le fait que pour les managers autoriser les employés à accéder à des informations confidentielles, des logiciels et des bases de données professionnelles en-dehors des murs du bureau augmente les risques de fuites d'informations. Un autre risque identifié est l'utilisation du matériel professionnel, comme un ordinateur, par un membre de la famille à des fins illégales ou encore le vol de ce matériel au domicile du télétravailleur (Zbar, 2000). La sécurité est donc un aspect complexe et multidimensionnel du télétravail (Gandolfi & Oster, 2011).

L'intimité de l'information et l'intimité physique du télétravailleur peuvent aussi être des obstacles à l'implantation du télétravail. La séparation entre la vie privée et la vie professionnelle étant effacée, les droits de l'employeur sont méconnus et ses frontières non testées. Est-il par exemple acceptable qu'un employeur vienne inspecter le lieu de travail au domicile de son télétravailleur ? (Gandolfi & Oster, 2011). L'intrusion du travail dans la sphère familiale peut être la cause d'abus de la part de l'employeur. Lorsqu'un employé télétravaille, il est important que l'employeur fasse preuve d'un certain niveau de confiance.

La confiance est le troisième élément qui peut freiner la hiérarchie en ce qui concerne le télétravail. En effet, il est souvent fait référence dans la littérature au fait qu'un manager ne peut pas manager ce qu'il ne peut pas voir (Handy, 1995). Le manque de management visuel est donc souvent mis en lien avec l'échec du développement du télétravail avant les années 2000 (Gandolfi & Oster, 2011).

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On parle beaucoup des effets du télétravail entre le télétravailleur et le manager, la hiérarchie mais il est rarement question des effets du télétravail sur les collègues du télétravailleur. En l'occurrence, les collègues qui ne télétravaillent jamais par choix ou par obligation car leur activité ne le permet pas. On parle de « telework disparity » ou de « disparité du télétravail » (Maier et al, 2021). Selon Maier et al, le télétravail peut avoir un côté obscur peu étudié. En effet, les études effectuées avant la pandémie de la COVID 19 montraient que le télétravail pouvait avoir des effets négatifs sur les collègues qui étaient au bureau. Des émotions négatives comme l'envie, la jalousie ou encore le sentiment d'inégalité peuvent impacter la performance des non-télétravailleurs et faire apparaître chez-eux des envies de démission. Ces conséquences peuvent donc avoir des impacts importants pour les employeurs si elles ne sont pas gérées correctement.

Tableau 11 : Perspective théorique de la comparaison sociale et de ses conséquences

(Festinger, 1954)

Maier et al (2021) utilisent la théorie de la comparaison sociale de Festinger (1954) pour leur étude (tableau 11). Les non-télétravailleurs comparent leur situation et leurs conditions de travail à celles de leurs collègues télétravailleurs et considèrent que leurs collègues sont mieux logés. Par exemple l'unité temps est souvent mentionnée comme étant une source d'envie. Les télétravailleurs ont plus de temps à consacrer à leur famille et ne perdent pas de temps à voyager entre leur domicile et leur lieu de travail. Les non-télétravailleurs rapportent également des problèmes de communication et considèrent le télétravail comme étant un frein au travail d'équipe et aux relations interpersonnelles (Grundmann et al, 2011).

Nous avons donc vu qu'il n'est pas toujours simple de définir ce qu'est le télétravail et que les freins à son adoption ont été multiples depuis son apparition dans les années 70. Cependant, le télétravail s'est imposé aux organisations et collaborateurs ces trois dernières années et les RH ont dû s'adapter rapidement à cette révolution. La France qui était à la traîne en ce qui concerne le développement de ce mode de travail, a vu son retard se résorber de façon radicale et soudaine.

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1.2.3. Le télétravail : Quelles adaptations depuis la crise sanitaire ?

C'est donc avec une expérience du télétravail très limitée que la France va se voir forcée d'adopter ce mode de travail en mars 2020 avec l'arrivée de la crise de la COVID 19 et le premier confinement.

On estime qu'environ 5% des travailleurs européens télétravaillaient régulièrement en 2019 (Eurostat, 2020)6. La France n'était donc pas la seule à voir son organisation du travail chamboulée par la crise sanitaire. Ce changement radical et soudain a laissé de nombreux travailleurs mal préparés et mal équipés pour faire face à cette crise (Carillo et al, 2020). Les travailleurs ont dû s'adapter à des nouveaux modes de travail et de nouvelles pratiques très rapidement.

Dans leur article de 2020, Carillo et al parlent de la théorie de l'ajustement professionnel (TWA - Theory of Work Adjustment) développée par Dawis et Lofquist (1984). La théorie de l'ajustement professionnel décrit la relation entre le travailleur et son lieu de travail. L'environnement et l'individu doivent être en adéquation et répondre à des besoins particuliers. Cette adéquation entre le lieu de travail et le travailleur est atteinte grâce à un ajustement professionnel effectué aussi bien par l'individu que par le lieu de travail. Cette adéquation est source de satisfaction des deux côtés. Selon la théorie de l'ajustement, plus les caractéristiques d'une personne (connaissances, valeurs, attitudes, compétences etc.) sont en adéquation avec l'entreprise et son rôle au sein de l'entreprise, plus cette personne aura des chances d'être performante et de satisfaire son entreprise.

Dans un contexte où l'environnement de travail n'est plus choisi mais subi comme lors du premier confinement, Carillo et al (2000) tentent d'identifier ce qui permet aux travailleurs de s'adapter plus rapidement à leur nouvel environnement dans un souci de performance et d'amélioration des pratiques de télétravail.

Carillo et al (2000) comparent le télétravail « normal » ou « traditionnel » avec le télétravail forcé que nous avons vécu en 2020. En effet, le télétravail forcé et le confinement ne permettaient pas de choisir le lieu où l'on souhaitait télétravailler. La flexibilité du télétravail « normal » ou « traditionnel » n'était pas possible avec le confinement. Le télétravail n'était pas

6 Pourcentage de travailleurs dans l'UE âgés entre 15 et 64 ans et télétravaillant régulièrement. Source EUROSTAT (2020) - How usual is it to work from home? Products Eurostat News - https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/DDN-20200424-1

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volontaire mais imposé, il devait s'effectuer depuis son domicile et de façon non pas flexible mais systématique. Carillo et al (2000) font également la distinction entre la crise de la COVID 19 et les autres crises qui peuvent parfois imposer l'adoption du télétravail. D'autres crises comme des tremblements de terre ou des guerres font que le télétravail est parfois nécessaire et imposé (Donnelly & Proctor-Thomson, 2015). Cependant, cela est en général pour une partie précise de la population mondiale et non toute la population mondiale et avec des barrières particulières liées aux dégradations/destructions des infrastructures.

Les résultats de l'étude de Carillo et al (2000) mettent en évidence des barrières à l'ajustement professionnel lors du confinement. Le manque de contacts aussi bien formels qu'informels avec les collègues, le manque de retour des managers ou encore l'impossibilité d'avoir des conditions adaptées : physiques (bureau et chaise adaptés par exemple) et mentales (interruptions fréquentes, bruits etc.) ressortent comme étant les principaux obstacles à l'ajustement professionnel des travailleurs au télétravail. Ces barrières à l'ajustement sont donc, selon Carillo et al (2000), ce que les entreprises devraient essayer d'améliorer en priorité afin de garantir le succès de cette nouvelle forme de travail.

Un des facteurs clés pour garantir le succès et l'ajustement au télétravail est la frontière claire et précise entre vie privée et vie professionnelle (Dumas & Ruiller, 2014). Le risque d'isolement est également mentionné. Ces deux risques sont selon Dumas et Ruiller (2014) limités grâce à l'intensité et au rythme du télétravail. La durée maximum de deux jours de télétravail par semaine est alors préconisée. Cette durée maximum limite, selon leur étude, l'empiétement de la sphère du travail sur la sphère familiale (et inversement) mais aussi l'isolement.

Malgré ces obstacles et le manque de flexibilité du télétravail imposé en 2020, cette nouvelle forme de travail semble avoir été adoptée par une très large majorité de travailleurs depuis la fin des confinements successifs. Selon une enquête de l'ANACT (Télétravail de crise en 2021 : Quelles évolutions ? Quels impacts ?)7 publiée en juin 2021 et comparant les résultats obtenus lors d'une consultation en 2020, 96% des personnes qui ont répondu à l'enquête souhaitent poursuivre le télétravail malgré les difficultés. Toujours selon cette enquête, 81% des répondants estiment réussir à concilier vie privée et vie professionnelle. Un résultat plus élevé que lors de l'étude de 2020 (76%) qui avait vu de nombreux professionnels travailler avec des enfants à la maison.

7 Source - ANACT enquête conduite par le réseau Anact-Aract du 24 février au 24 avril 2021, auprès de 2 864 répondants - https://veille-travail.anact.fr/osiros/result/notice.php?queryosiros=id:99444

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Le manque de retour des managers évoqué par Carillo et al (2000) rappelle l'importance de s'adapter pour les managers. Les leaders qui souhaitent savoir communiquer et motiver, doivent pouvoir s'adapter aux nouveaux environnements de travail (Korzynski, 2013). L'apparition des nouvelles formes de communication, la globalisation, la nouvelle génération de travailleurs connectés, font que les façons de travailler, motiver et collaborer évoluent. Les managers doivent pouvoir s'adapter afin de rester actuels et répondre aux nouvelles demandes.

Selon Korzynski (2013) les changements s'opèrent principalement dans 3 catégories : technologique, organisationnelle et générationnelle. Au niveau technologique, il est important de faire en sorte que tous les collaborateurs soient formés et à l'aise avec les nouveaux outils afin d'assurer leur productivité et ne pas impacter leur motivation. Au niveau générationnel, si le manager est capable de s'adapter aux attentes et demandes de la nouvelle génération, cela aidera à les motiver et à diminuer le taux de rotation/démission des nouvelles recrues. Enfin, au niveau organisationnel, les managers doivent changer leur façon de communiquer. En effet, la globalisation (collaborateurs à l'étranger) et les nouveaux modes de travail font que les méthodes traditionnelles de communication et de retours managériales doivent être mises à jour afin d'inspirer et motiver un plus grand nombre de collaborateurs.

Le « drive to bond» ou « la volonté de lier » est une partie très importante de la motivation (Nohria et al, 2008). Les entreprises qui performent le mieux sont celles qui arrivent à développer une culture d'entreprise, un sentiment d'appartenance auprès de leurs collaborateurs. L'aspect social est également important pour la motivation et cet aspect n'est pas à négliger surtout dans un environnement digital. Il est donc important que les managers n'oublient pas d'organiser des activités en ligne pour leurs collaborateurs afin de créer un lien social et un sentiment d'appartenance. Cela aura une influence positive sur leur motivation (Korzynski, 2013).

Avec la crise de la COVID 19 et le développement massif et forcé du télétravail, les managers font face à de nouveaux challenges afin de motiver leurs collaborateurs. Un des challenges post-covid auquel les managers doivent faire face est la gestion des relations et de la communication entre les collaborateurs qui peuvent encore télétravailler et ceux qui doivent revenir sur site. Maier et al (2021) préconise une plus grande transparence entre les collaborateurs surtout en ce qui concerne les emplois du temps et les disponibilités des télétravailleurs. Des règles claires et précises concernant le télétravail sont aussi préconisées ainsi que des jours obligatoires sur site pour tous, afin de favoriser les échanges et les relations interpersonnelles.

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De plus, une des difficultés managériales liée au télétravail et pointée par l'ANACT dans son enquête de 2021 est « la difficulté des managers à évaluer et adapter la charge de travail à distance et sur site ».

Une refonte du rôle du manager dans un modèle post-covid est nécessaire selon une enquête de l'ANDRH/BCG (Source: Enquête ANDRE / BCG - juin 2020. COVID : le futur du travail vu par les DRE)8. Avec un développement du besoin de motiver et donner du sens à ses collaborateurs. On peut parler d'un rôle qui se développe vers un rôle de leader plus que de manager. Faire monter en compétences et donner des feedbacks sont également des rôles importants pour le manager post-covid ainsi que faciliter la communication entre les services et avec la direction. On voit donc un développement du rôle de manager vers un rôle de facilitateur.

Malgré ces difficultés et besoins d'adaptation, 83% des DRH interrogés dans cette enquête « considèrent souhaitable le développement pérenne du télétravail dans leur entreprise » et 93% « pensent que cela va bouleverser les pratiques managériales de leur entreprise », 2/3 « attendent des gains de productivité liés au développement du télétravail ».

Ces résultats très positifs et en faveur du télétravail de la part de la hiérarchie font écho au souhait des collaborateurs qui est de maintenir un niveau de télétravail plutôt élevé et régulier (3 jours ou plus pour 36% des répondants, et entre 1 et 2 jours pour 56% des répondants) (Source ANACT - Télétravail de crise en 2021 : Quelles évolutions ? Quels impacts ?).

Pour quelles raisons souhaitez-vous recourir au télétravail de manière régulière ou occasionnelle à l'avenir ?

Tableau 12 - Source ANACT « Télétravail de crise en 2021 : Quelles évolutions ? Quels
impacts https://veille-travail.anact.fr/osiros/result/notice.php?queryosiros=id:99444

8 Source: Enquête ANDRH / BCG (2020) : « COVID : le futur du travail vu par les DRH » Enquête menée en partenariat ANDRH x BCG du 2 au 17 juin 2020 auprès de DRH - 458 répondants - www.andrh.fr/uploads/files/attachments/6177b117e064b437094140.pdf

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Les principales raisons de cette volonté de faire du télétravail une organisation du travail pérenne sont les temps de transport, le calme, l'efficacité et la conciliation vie privée/vie professionnelle (Tableau 12).

Le télétravail semble donc être là pour rester et le futur du travail semble être hybride (Iqbal et al, 2021). L'hybridité est la combinaison entre le travail sur site et le travail à distance (Cook et al, 2020). L'hybridité n'est pas une nouveauté. Cela fait plusieurs années que cette organisation du travail existe. Cependant la crise de la COVID 19 a servi d'accélérateur à son développement (Iqbal et al, 2021). La crise sanitaire a forcé les collaborateurs et les entreprises à s'équiper pour le télétravail et a ouvert les esprits concernant le travail à distance. Les entreprises qui pratiquaient déjà le télétravail de façon hybride avant la crise sanitaire ont eu moins de mal à s'adapter au télétravail à plein temps imposé pendant les confinements (Iqbal et al, 2021). En ce qui concerne l'intégration, Gruman and Saks (2018) proposent une approche hybride pour une socialisation organisationnelle optimale, avec un mélange d'activités en personne et virtuelles.

Plusieurs avantages au travail hybride sont identifiés. Premièrement moins de stress et moins d'excuses pour des résultats médiocres. Comme le travail hybride est souvent centré autour des besoins du télétravailleur, ce mode de travail en général réduit son stress et le rend plus productif. Ce mode de travail peut aussi agir comme une source de motivation en insufflant une nouvelle dynamique dans la vie professionnelle du collaborateur (Lahti & Nenonen, 2021). Un environnement de travail sain est un environnement centré autour de la flexibilité, l'adaptabilité et la diversité (Iqbal et al, 2021). Le travail hybride permet le développement de ces trois axes principaux.

Cependant, il ne faut pas oublier que ce mode de travail peut aussi avoir des inconvénients. Pour qu'il puisse fonctionner il faut développer la confiance entre le manager et ses collaborateurs mais aussi entre les collaborateurs. La communication et la culture d'entreprise deviennent également encore plus importantes dans un contexte où le travail hybride se développe. Des compétences nécessaires pour un travail hybride efficace apparaissent alors comme la capacité à se mettre à jour en ce qui concerne les nouveaux outils de télétravail ou encore la capacité à gérer son temps efficacement et à rester concentré même lorsque l'on travaille à la maison où de nombreuses distractions peuvent survenir. La capacité à se déconnecter et ne pas trop mélanger la sphère privée avec la sphère professionnelle sont également des compétences importantes pour le succès du travail hybride.

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L'évolution du télétravail et des NTIC ces dernières années, ainsi que la nouvelle appétence pour des modes de travail plus flexibles, rendent nécessaire l'évolution des processus d'intégration afin de refléter ces changements.

Dans cette deuxième partie de notre revue de la littérature nous avons vu le rôle primordial qu'ont joué les NTIC dans le développement du télétravail. La littérature a également apporté des explications aux freins à l'adoption du télétravail avant la crise sanitaire comme la perte de contrôle de la hiérarchie, une trop grande autonomie des collaborateurs, le manque de confiance et la sécurité des données. La littérature parle également des répercussions du télétravail sur les différentes relations aussi bien dans la sphère privée que professionnelle. On parle de dégradation des relations managériales et des relations entre collaborateurs télétravailleurs et non-télétravailleurs. Encore une fois, la littérature met en avant la nécessité de revoir et faire évoluer le rôle du manager. Il doit s'adapter aux nouveaux modes de travail et trouver de nouvelles formes de contrôle, de retours et de motivation. Un des nouveaux enjeux principaux du manager depuis la crise sanitaire est de maintenir les relations interprofessionnelles et la communication entre les collaborateurs. Cette revue de la littérature a mis en avant le fait que trop d'autonomie peut aussi avoir des conséquences négatives et encore une fois une plus grande transparence ainsi que des processus formalisés et précis sont préconisés. On peut dire que ce qui ressort clairement de cette deuxième partie de notre revue de la littérature est que le télétravail est là pour rester et que la forme hybride semble être la plus adaptée aux besoins aussi bien des collaborateurs que des organisations. Cette évolution des nouveaux modes de travail et du travail à distance fait qu'un développement vers la digitalisation du travail et des étapes clés de la carrière du collaborateur semble inéluctable et que les organisations devront sans doute rapidement s'adapter à cette réalité.

1.3. VERS LA DIGITALISATION DU PROCESSUS D'INTEGRATION

La digitalisation totale ou partielle du processus d'intégration semble être amorcée dans un grand nombre d'entreprises. L'apparition de nouveaux outils et logiciels dédiés à l'intégration des nouvelles recrues met en évidence l'importance de plus en plus accrue apportée à cette étape de la vie du collaborateur et la tendance marquée vers une digitalisation de cette étape.

Le mouvement massif et soudain ces dernières années de l'intégration traditionnelle vers une intégration virtuelle, a forcé les entreprises à revoir et adapter leur processus d'intégration. Le rôle du manager s'est vu changé et son importance est devenue plus grande pour les nouvelles recrues (Jeske & Olson, 2021).

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Avec le développement vers un processus partiellement ou entièrement virtuel, les opportunités de revoir les processus d'intégration ont été multiples. Parmi les innovations qui se sont développées pendant la crise de la COVID 19 se trouvent les plateformes digitales d'onboarding et gamification (Grad, 2022). Les plateformes d'intégration permettent des procédés personnalisables et permettent également d'améliorer la marque employeur de l'organisation en montrant une image moderne et innovante aux futurs collaborateurs. Grad (2022) parle de la gamification qui est de plus en plus utilisée dans les parcours d'intégration virtuelle. La mise en place de récompenses et la mise en concurrence des nouvelles recrues permet d'augmenter la motivation et l'implication de façon ludique. Ces nouvelles pratiques sont également des pratiques qui attirent les nouvelles générations et les nouveaux talents. Grad (2022) parle du besoin de faire attention à la discrimination en s'assurant que toutes les nouvelles recrues ont bien accès aux équipement nécessaires (smartphones, connexion internet fiable, ordinateur portable, tablette etc.). Le droit à la déconnexion est également mentionné.

Si l'intégration virtuelle et la gamification semblent être des pratiques nouvelles, Depura et Garg (2012) en parlaient déjà il y a plus de 10 ans. Pour eux, si les employés de la révolution industrielle étaient des employés manuels, les employés de l'ère technologique sont des « digital natives ». La génération des « digital natives » a changé la façon dont les employés ont besoin d'être engagés et challengés au travail. Cette révolution a donc commencé bien avant la crise de la COVID 19. Déjà en 2012, Depura et Garg mettaient en avant les bénéfices des nouvelles technologies et des interactions sociales virtuelles et de la gamification pour améliorer l'implication des nouvelles recrues et leur apprentissage. Les auteurs parlent d'une situation gagnante pour les nouvelles recrues comme pour les organisations avec une intégration plus rapide et personnalisée mais aussi une réduction des coûts et une plus grande productivité.

Ces intégrations virtuelles qui semblaient encore anecdotiques il y a 10 ans, sont désormais en train de révolutionner le monde du travail et les stratégies d'intégration des entreprises. En effet, l'arrivée en force du télétravail en 2020 et l'installation dans les moeurs du travail hybride font que les processus d'intégration des nouvelles recrues ont été obligés d'évoluer.

Bien que la littérature à ce sujet soit encore limitée, de nombreux auteurs commencent à se pencher dessus et des recommandations pour une intégration virtuelle réussie ainsi qu'un nouveau jargon, souvent anglophone, commencent à apparaître. On parle de « virtual onboarding buddy », « virtual hosts » ou encore de « group onboarding sessions» (Neeley, 2022). On parle également de «virtual happy hour » ou encore de « mobile onboarding app » (Maurer, 2020).

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Cette troisième et dernière partie de notre revue de la littérature a encore une fois renforcé l'idée que le rôle du manager s'est consolidé et que les organisations doivent faire évoluer leurs processus d'intégration. Le futur de l'intégration semble digital et de nouveaux outils comme les plateformes d'intégration ou la gamification commencent à émerger. L'importance d'une intégration réussie semble être devenue un enjeu majeur pour les RE et ces nouveaux outils nous sont présentés comme étant les solutions pour une meilleure expérience collaborateur et une marque employeur améliorée.

Afin de nous aider à formuler nos hypothèses, nous avons regroupé les idées clés de cette revue de la littérature dans un tableau. Ce travail de synthèse nous a permis d'identifier des sujets récurrents tels que la nécessité de faire évoluer le rôle du manager ou encore de ne pas minimiser l'importance de la socialisation et des échanges informels.

Synthèse de la revue de la littérature

Parties

 

Idées clés

 


·

La culture et la connexion font partie des étapes les plus importantes et sur lesquelles les entreprises devront le plus s'adapter.

 


·

Afin de réduire l'incertitude avoir des processus structurés et formalisés est important.

 


·

L'individu joue un rôle important dans son intégration. La proactivité et l'auto-management sont des compétences recherchées.

 


·

Le rôle du manager évolue, il devient un acteur important de l'intégration.

 


·

Les buddies et mentors augmentent les chances de réussite

L'INTEGRATION

 

de l'intégration et la rétention.

 


·

Les échanges informels ne sont pas à négliger ainsi que les interactions visuelles pour les équipes virtuelles.

 


·

L'organisation doit mettre en place des pratiques de socialisation organisationnelle.

 


·

Il est important de pouvoir adapter et réviser le processus d'intégration régulièrement. Les feedbacks sont importants.

 


·

Les attentes des nouvelles recrues ont changé depuis la crise sanitaire. La flexibilité, l'adaptabilité et la personnalisation sont désormais des critères importants.

LES NOUVEAUX
MODES DE TRAVAIL

VERS LA
DIGITALISATION DU
PROCESSUS
D'INTEGRATION

· Les NTIC ont été clés dans le développement des nouveaux modes de travail.

· Les freins à l'adoption du télétravail sont multiples et compte parmi eux la peur de perte de contrôle de la hiérarchie, l'appropriation des outils numériques, la confiance, la sécurité des données, la dégradation de la balance vie privée/vie professionnelle.

· La socialisation est très impactée par le télétravail. Même à distance l'aspect social est important et source de motivation. Les entreprises qui performent le mieux avec les nouveaux modes de travail sont celles qui ont réussi à motiver à distance et développer un sentiment d'appartenance, une culture d'entreprise.

· Le rôle du manager a changé et il doit s'adapter aux nouveaux modes de travail, nouvelles formes de contrôles et de retours. Le management par objectifs se développe et les nouveaux challenges du manager post COVID sont gérer les RH et la communication entre les collaborateurs.

· Le télétravail peut dégrader les relations managériales mais aussi les relations entre collaborateurs principalement entre les télétravailleurs et les non-télétravailleurs.

· Trop d'autonomie peut avoir des répercussions négatives. Une plus grande transparence, plus de communication et des règles claires et précises sont nécessaires pour le succès des nouveaux modes de travail.

· Le télétravail est là pour rester et la forme hybride semble être la plus adaptée afin de répondre aux attentes des collaborateurs et des entreprises.

· Développement massif des intégrations virtuelles ou partiellement virtuelles.

· Le rôle du manager s'est renforcé.

· Les plateformes d'intégration et la gamification permettent une meilleure expérience pour la nouvelles recrue et améliorent la marque employeur.

· La digitalisation du processus permet une intégration plus rapide et à moindre coûts.

 

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Les sujets récurrents retrouvés dans la littérature et que nous avons énumérés dans le tableau ci-dessus, nous ont permis de mettre en avant des hypothèses.

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À partir de cet état de la littérature et des premiers éléments de compréhension du terrain, nous avons retenu trois hypothèses :

H1 - Une plus grande formalisation et structuration du processus d'intégration est nécessaire afin de répondre aux enjeux des nouveaux modes de travail.

H2 - Le rôle du manager s'est renforcé et a évolué avec le développement des nouveaux modes de travail.

H3 - La digitalisation du processus d'intégration est un tremplin vers une nouvelle culture du travail à distance.

Nous avons donc structuré notre recherche autour de ces trois hypothèses et avons tenté de repérer dans les données récoltées lors de nos entretiens celles qui se rapprochent le plus de ces hypothèses et qui nous permettent de comprendre les tendances, besoins et comportements observés dans le but de confirmer ou d'invalider nos hypothèses et répondre à notre problématique.

Dans la prochaine partie « Méthodologie et terrain d'étude » nous exposons notre terrain d'étude et expliquons comment nous avons collecté et traité les données récoltées. Cette partie comporte des informations concernant l'échantillon des différents entretiens réalisés et la méthodologie choisie afin de donner du sens aux données collectées.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein