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La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou Kourouma


par Théogène Hakuzimana Bizimana
ISP/Goma  - Licence 2017
  

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CHAPITRE III. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ

III.1. INTRODUCTION

Le deuxième chapitre vient de montrer que la parenthèse dans Allah n'est pas obligé fonctionne à travers les composantes énonciatives et stylistiques qui engendrent la rupture de la linéarité du texte tout en assurant un retour à l'énonciation. Dans ces conditions, la parenthèse engendre des turbulences syntaxiques et énonciatives qui traduisent l'esthétisation de la parenthèse comme technique d'écriture. C'est l'objet du présent chapitre. Il s'agit, précisément, d'examiner les incidences de création littéraire dans l'oeuvre sous examen qu'engendre le fonctionnement des parenthèses.

III.2. LE SCRIPTIBLE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

Le scriptible, rappelons-le, repose sur le postulat de la primauté de la matérialité du texte sur son message. En d'autres termes, l'écriture scriptible oppose une résistance formelle au lecteur et l'invite à interroger le signifiant. Entendue de cette manière, la parenthèse touche à la dimension de la forme en sollicitant la participation du lecteur. D'où sa manifestation de cet extrait :

« ...Et trois...suis insolent, incorrect comme barbe d'un bouc et parle comme salopard. Je ne dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J'emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père.) Comme gnamokodé !(Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé !(Walahé ! signifie Au nom d'Allah.) Les malinkés, c'est ma race à moi. C'est la sorte de nègres noirs africains indigènes qui sont nombreux au nord de la Côte-D'ivoire, en Guinée et dans d'autres républiques bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là-bas, etc. » (p. 10)

Dans cet extrait, l'esthétisation du scriptible ressort du fait que le texte est truffé de métatextes qui compromettent le signifié, notamment à la suite de l'irruption de l'énonciateur dans ses énoncés. C'est pourquoi, dans l'énoncé : « J'emploie les mots comme faforo ! (Faforo !signifie sexe de mon père ou de ton père ou du père.», l'énonciateur met en oeuvre la parenthèse en plein cours de ses activités d'énonciation. Ladite parenthèse rompt celles-ci en faveur des jugements ou des points de vue personnels sur tel ou tel autre segment du texte. En ce sens, l'instance énonciative construit un récit dont la forme arrête le regard du lecteur de par même les mots étrangers à la langue française couronnant la parenthèse.

Encore constate-t-on que l'emploi de différentes modalités pourtant constitutives d'une même unité syntaxique compromet lui aussi la lisibilité du texte. En effet, les « J'emploie les mots comme faforo ! » ; « Comme gnamokodé ! » et « Comme Walahé ! » sont des modalités exclamatives qui traduisent l'indifférence du scripteur dans ses choix lexicaux. Jointes aux contenus des parenthèses qu'elles introduisent, ces modalités exclamatives sont constitutives des unités syntaxiques si complexes en leur sein à cause des parenthèses qu'elles contiennent des éléments formels importants. Dans ces conditions, ces parenthèses déclenchent des difficultés de lecture qui sollicitent l'apport du lecteur pour en constituer un réseau de signifiants. Ce qui impose pareille stratégie exprimée dans la réflexion suivante :

« Le lecteur se trouve de cette manière pleinement associé à la construction du texte dont il a à mettre au jour les relations internes et l'unité propre, en dehors de toute référence à un ordre ou à une réalité extérieurs. Il est invité à participer activement au montage des différents plans du texte... » (Philippe SABOT, 2010 : 2017)

Un autre niveau d'esthétisation du texte de Kourouma mobilisant la participation du lecteur passe par l'autoréférence. En effet, la figure narrative de Allah n'est pas obligé semble vouloir faire aboutir un projet d' (in)formation du lectorat et s'appui sur la procédure de référence. Ainsi elle fait passer ses illocutions référentielles par des parenthèses, lesquelles créent une illusion de la réalité en évoquant les quatre Dictionnaires de Birahima. Pourtant, le texte littéraire n'a de référent que lui-même. Ainsi, nous pouvons considérer que la parenthèse fonde une écriture du texte qui se réfère à lui-même, qui se cite. Cette autoréférence montre que le texte met en scène sa propre problématique de création que tente de diluer la parenthèse. Ceci peut se justifier par la séquence ci-dessous :

« Suis pas chic et mignon parce que suis poursuivi par les gnamas de plusieurs personnes. (Gnama est un gros mot nègre noir africain indigène qu'il faut expliquer aux Français blancs. Il signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, l'ombre qui reste après le décès d'un individu. L'ombre qui devient une force immanente mauvaise qui suit l'auteur de celui qui a tué une personne innocente.) Et moi j'ai tué beaucoup d'innocents au Liberia et en Sierra Leone où j'ai fait la guerre tribale, où j'ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué aux drogues dures. Je suis poursuivi par les gnamas, donc tout se gâte chez moi et avec moi. Gnamokodé (bâtardise) ! Me voilà présenté en six points pas un de plus en chair et en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n'est pas en plume qu'il faut dire mais en prime. Il faut expliquer en prime aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien. D'après Larousse, en prime signifie ce qu'on dit en plus, en rab.) » (p.12)

À travers ce passage, on remarque que le texte est construit de manière à se référer à lui-même pour se faire lire. Cela passe par les marques linguistiques d'explication : « qui signifie » et de référence : « d'après », qui semblent indiquer que l'énonciateur cite un texte hors du narré, pour postuler qu'il s'agit d'une intertextualité. Mais vu que les dictionnaires cités sont ceux de Birahima, ceux de la fiction et non donc des reproductions fidèles, voire partielles des théories préexistantes, les parenthèses deviennent des références du texte au sein de lui-même. Ce sont des reflets de la fiction sur elle-même. En d'autres termes, les quatre dictionnaires dont Birahima se sert pour commenter, expliquer, voire corriger son langage ne sont pas entendus comme ayant préexisté à la composition de Allah n'est pas obligé, mais comme des matériaux de la fiction. Il s'agit des Larousse, Robert, etc. de Birahima et non de ceux que l'on peut trouver en dehors du texte. Ce qui fait de cette autoréférence un des éléments qui participent de la mise en oeuvre d'une stratégie d'esthétique scriptible issue de la parenthèse. Avec le scriptible :

« Le commentaire, fondé sur l'affirmation du pluriel, ne peut donc travailler dans le `'respect'' du texte : le texte tuteur sera sans cesse brisé, interrompu. Sans aucun égard pour ses divisions naturelles (syntaxiques, rhétoriques, anecdotiques) ; l'inventaire, l'explication et la digression pourront s'installer au coeur du suspense, séparer même le verbe et son complément, le nom et son attribut. Le travail du documentaire, dès lors qu'il se soustrait à toute idéologie de la totalité, consiste précisément à malmener le texte, à lui couper la parole. Cependant, ce qui est nié, ce n'est pas la qualité du texte (ici incomparable), c'est son `'naturel'' ; » (Roland BARTHES, 1970 :19)

Le travail sur le signifiant qu'engendrent les facettes de la parenthèse engage donc le commentaire, l'explication, la digression, etc. pour « malmener » le signifié cher à la littérature lisible. Quant à la pratique intertextuelle proprement dite, elle peut être étudiée comme un deuxième effet d'esthétisation de la parenthèse comme stratégie d'écriture dans cette oeuvre.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote