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La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou Kourouma


par Théogène Hakuzimana Bizimana
ISP/Goma  - Licence 2017
  

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III.5. LE FRAGMENTAIRE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

L'écriture fragmentaire caractérise un texte qui affiche une incapacité à se faire délimiter. En d'autres mots, le texte est dit fragmentaire lorsqu'il n'a pas d'extrêmes : le début et la fin. Il repose sur l'inachèvement, l'incomplétude. Pour scruter les indices de cette esthétisation dans Allah n'est pas obligé, il importe d'abord de considérer son aspect paratextuel, notamment son titre. Celui-ci présente le caractère de troncation et signale ainsi le parti pris du narrateur. En effet, le « Allah n'est pas obligé » est une partie du titre même de ce roman, qui est en vérité Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas . (pp. 9 et 224)

De ce fait, on constate que l'élément titrologique n'apparaît pas sous sa forme finale ; il est inachevé, fragmenté. En tant que première structure énonciative, le titre imprime une connexion entre lui et les composantes textuelles. Celles-ci sont, comme on vient de le constater dans les analyses précédentes, fragmentées par les parenthèses. Cette fragmentation résulte du fait que l'énonciateur rejette explicitement la ligne droite de la prose continue dans sa narration, faisant ainsi écho de l'esthétisation postmoderne pour laquelle la linéarité énonciative étouffe la création. Cette esthétisation titrologique qui se révèle aux première et dernière pages du texte dans ce roman fonde une écriture à structure narrative en boucle ou circulaire. Car le roman finit tel qu'il commence. Elle crée la résonnance comme effet majeur. Par cette résonnance du texte, il faut entendre que la lecture n'est pas orientée vers la « sortie » comme le supposerait la ligne droite, mais elle constitue un approfondissement vers le centre du texte qui, du coup, tourne alors en spirale à travers les va-et-vient précédemment évoqués comme effets de la parenthèse.

C'est pourquoi, au coeur de l'esthétique dans ce roman de Kourouma apparaît cette forme particulière d'écriture qui rompt avec la linéarité du récit classique. Cette écriture participe sans doute d'un travail d'invention opéré sur le langage du texte. Ce travail se matérialise par les parenthèses présentes dans Allah n'est pas obligé. Elles peuvent être considérées comme des fragments textuels dont le sens ne peut se construire qu'au moyen de la lecture qu'on en fait. Ces fragments matérialisent ainsi l'écriture fragmentaire où le texte dispose de deux modalités d'existence à savoir l'histoire sur laquelle elle se tisse et les commentaires qui la corroborent. Cette stratégie d'écriture peut s'éclaircir bien plus en considérant l'extrait ci-dessous :

« Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est se porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues. Elles paniquèrent et firent pression su Manada Bio. (Paniquer, d'après le Petit Robert, c'est être pris de peur, d'angoisse.) Manada Bio s'agite, veut négocier ; il lui faut une personne que Foday Sankoh puisse écouter. Une personne dont l'autorité morale est reconnue par tout le monde. Il va frapper à la porte du sage de l'Afrique noire de Yamoussoukro. Ce sage s'appelle Houphouët-Boigny. C'est un dictateur ; un respectable vieillard blanchi et roussi d'abord par la corruption, ensuite par l'âge et beaucoup de sagesse. Houphouët envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale, impénétrable et sauvage. » (p.171)

Cet extrait peut être lu comme un réservoir des fragments textuels car, d'une part, la coupure, la violence le heurtent. Cela se constate dans les modalités assertives : « Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est e porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues», où la parenthèse interrompt l'unité syntaxique en faveur des précisions sémantiques qu'elle apporte sur le verbe « affluer » en le distanciant de son complément. La brisure le heurte encore au niveau du changement brusque du tiroir verbal dans un énoncé centré sur un seul sujet, à savoir le passage du passé simple : « vinrent, paniquèrent » au présent « Manada Bio s'agite, veut négocier ; il lui faut une personne que Foday Sankoh puisse écouter » alors que cette deuxième assertion relate des faits consécutifs à ceux de deux premières modalités assertives écrites au passé simple. Ce changement brusque du temps du récit dans une même structure énonciative est une trace qui sape les deux plans d'énonciation d'inspiration benvenitienne. « C'est-à-dire que ce présent historique, qui équivaut au passé simple, matérialise une astuce de la langue, pour rendre le récit vivant. Il rend vivantes les actions énonciatives » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b : 149). Le roman en étude conjugue plusieurs traces verbales qui brisent ledit plan. Tantôt le narrateur recourt, dans le récit, au présent, au passé composé, à l'imparfait, au passé simple.

D'autre part, la rupture textuelle affecte la progression des énoncés rompus par les parenthèses à des niveaux différents à savoir le niveau intrasyntagmatique. On le voit dans « Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est e porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues». Ici, la parenthèse éclate en deux les constituants du syntagme verbal « affluer tant de manchots ». Le niveau intersyntagmatique illustré par le « Houphouët envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale, impénétrable et sauvage» reçoit une insertion entre deux syntagmes fonctionnels ; ainsi que le niveau interphrastique où l'insertion de la parenthèse est jetée en fin de phrase. Ceci fait de la parenthèse une figure maîtresse des ruptures énonciatives dans ce texte de Kourouma qui se présente alors comme déstructuré, tordu en ligne brisée. Vu sa fréquence, la parenthèse génère l'inconfort, l'astabilité, le choc, la déchirure textuels. Mais cela n'est pas synonyme de l'absence du sens du texte, c'est par contre la stratégie de creuser la possibilité des sens car en y recourant, le narrateur sollicite du lecteur l'enjeu de la consommation de la forme qui résiste à sa logique de la pensée. Le texte devient ainsi une moule à remplir. Ce qui s'explique par le fait que certaines parenthèses ne sont pas ponctuées- à l'instar de la première introduite par le verbe « affluer ». le lecteur peut ainsi compléter, ajouter, renforcer, suppléer, torturer, etc. à sa guise la parenthèse. Il peut lui ajouter, comme le narrataire, d'autres illocutions selon ses convenances personnelles. La parenthèse constitue donc le morcellement du texte.

Somme toute, l'écriture fragmentaire vécue dans Allah n'est pas obligé fonde une esthétique de la dislocation sociale qu'est le sujet même de l'histoire racontée. Le texte est inachevé en sens que la parenthèse, même répondant à une question d'ordre lexico-sémantique, comme c'est souvent le cas ici, constitue une non-réponse car l'émiettement du texte en fragments textuels se pose comme directeur de la lecture à y apporter, alors que celle-ci ne peut aucunement être dictée. Cela porte à dire que les parenthèses sont des trous, des zones d'ombre, des questions que le narrateur crée en ses illocutions en se posant comme la première voix interprétative de son texte, alors que ses commentaires- comme ses illocutions narratoriales- sont, aux yeux du lecteur, des segments dont il faut reconstruire le sens au cours des activités de lecture.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand