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Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADA


par Ganiyou BOUSSARI
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022
  

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 2

CHAPITRE 1 : LA TENTATIVE DE REVALORISATION DE LA PROTECTION DES CREANCIERS 11

SECTION I : UNE TENTATIVE DE REVALORISATION DE LA PROTECTION DES CREANCIERS A TRAVERS L'INSTITUTION DE NOUVELLES PROCEDURES 12

SECTION II : UNE TENTATIVE DE REVALORISATION DE LA PROTECTION DES CREANCIERS PAR REMODELAGE DES PROCEDURES EXISTANTES DANS L'AUPC DE 1998 29

CHAPITRE 2 : LA PERFECTIBILITE DE LA SITUATION DES CREANCIERS 46

SECTION I : LA SUBSISTANCE D'UNE MISE A MAL DE LA SITUATION DES CREANCIERS DANS LE SAUVETAGE DE L'ENTREPRISE 47

SECTION II : DES PISTES DE SOLUTIONS POUR UNE MEILLEURE AMELIORATION DE LA SITUATION DES CREANCIERS 59

CONCLUSION 80

INTRODUCTION

A l'instar des êtres humains, qui rencontrent au cours de leur existence des problèmes de santé divers, il arrive aux entreprises de connaitre des maladies économiques et financières qu'il faut guérir rapidement, à défaut de quoi celles-ci disparaissent. C'est pourquoi, pour éviter les disparitions fréquentes des entreprises, le sauvetage de l'entreprise et l'apurement du passif de celles-ci ont été choisiscomme les principaux objectifs des procédures collectives OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des Affaires)1(*). Ces dernières sont consacrées par l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives et d'apurement du passif (AUPC) adopté le 10 avril 1998 à Libreville (Gabon) et entré en vigueur le 1er janvier 1999. Ce texte a été révisé en 2015 et concentre désormais les procédures collectives au bénéfice du débiteur en reléguant les intérêts des créanciers au second plan2(*). Aujourd'hui comme hier, les procédures collectives mettent en jeu des intérêts, dans une certaine mesure, opposés3(*). D'un côté, l'on a les intérêts du débiteur et de l'autre côté, ceux des créanciers. Le sauvetage de l'entreprise débitrice en difficultés financières ou économiques passe par des entorses légalement admises aux droits des créanciers, même munis de sûretés. Ainsi, au nom de la recherche de sauvetage du débiteur en difficulté, de l'aspiration au développement économique des Etats parties et du maintien des emplois4(*), les intérêts des créanciers, même pris en compte, se trouvent sacrifiés. Cette situation qui rompt avec l'équilibre entre la condition des débiteurs et celle des créanciers a inspiré le choix de mener une réflexion sur le thème « Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADA ».

Le créancier est, au sens du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) du Sénégal5(*), celui qui peut exiger d'une personne, le débiteur, l'exécution d'une certaine prestation qui peut être une abstention6(*). Le créancier est donc titulaire d'un droit personnel qu'il peut réaliser devant la juridiction compétente contre son débiteur. En droit des entreprises en difficulté, il existe plusieurs catégories de créanciers, à savoir les créanciers antérieurs encore appelés « créanciers dans la masse », les créanciers postérieurs ou contre la masse et les créanciers hors la masse7(*). Ces derniers ne feront pas l'objet de cette étude car leurs créances sont naturellement inopposables à la masse8(*). Hormis, les créanciers hors la masse, le reste des catégories des créanciers est concerné, selon les cas, dans les procédures de sauvetage des entreprises.

Quant au terme « sauvetage », l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives et d'apurement du passif ne le définit pas. Cependant, selon le dictionnaire Larousse 2016, le sauvetage est l'action de soustraire quelqu'un ou quelque chose à ce qui le menace, donc de le sauver d'un danger. Dans le contexte du sujet objet de la présente réflexion, il s'agit du sauvetage des entreprises en difficulté, donc de l'action de sauver des entreprises en difficulté financière ou économique ou encore juridiqueen vue de l'évitement du pire, qui est leur cessation des paiements ou leur disparition. Le sauvetage est donc un terme plus général et englobe les procédures destinées à assurer la pérennité des entreprises qui, à un moment donné de leur existence, connaissent des difficultés financières ou économiques.

S'agissant du vocable« impératif », il désigne une chose ou une situation qui s'impose de façon impérieuse, bref un impératif est une nécessité9(*). Ainsi, le sauvetage des entreprises recherché par le législateur OHADA est fondé sur des nécessités le plus souvent économiques, sociales et politiques10(*). L'usage du pluriel s'explique par le fait qu'il existe plusieurs raisons qui justifient la poursuite de cet objectif. L'entreprise joue un important rôle dans la création des richesses et d'emplois. De ce fait, la disparition d'une entreprise est une lourde perte économique pour les Etats d'où la nécessité de mettre en place un dispositif juridique de protection de « l'entreprise en difficulté ».

La notion d'« entreprise », quant à elle, est définie par plusieurs dispositions légales. Sa définition est à géométrie variable selon les matières qui l'utilisent. En effet, en matière des procédures applicables aux ententes et abus de position dominante dans l'espace UEMOA11(*), « la notion d'entreprise se définit comme une organisation unitaire d'éléments personnels,matériels, et immatériels, exerçant une activité économique, à titre onéreux, de manière durable, indépendamment de son statut juridique, public ou privé, et de sonmode de financement, et jouissant d'une autonomie de décision.»12(*). En outre, aux termes de l'article L.3 du Code du travail13(*), constitue une entreprise « Toute personne physique ou morale, dedroit public ou de droit privé employant un ou plusieurs travailleurs au sens de l'article L.2. (...) ».

Par ailleurs, l'AUPC révisédéfinit, en son article 1-3, l'entreprise comme « toute personne physique ou morale soumise aux dispositions du présent acte uniforme conformément à l'article 1-1 ci-dessus ». Il faut préciser que le renvoi à l'article 1-1 de l'AUPC réviséintègre dans la notion d'entreprise, l'exercice d'une activité professionnelle indépendante, civile, commerciale, artisanale ou agricole, ainsi que le caractère privé et la forme de droit privé de toute entreprise publique. Singulièrement, l'AUPC révisé consacre une nouvelle forme d'entreprise baptisée sous l'expression « petite entreprise », qui quant à elle, est définie comme « toute entreprise individuelle, société ou autre personne morale de droit privé dont le nombre de travailleurs est inférieur ou égal à vingt (20), et dont le chiffre d'affaires n'excède pas cinquante millions (50 000 000) de francs CFA, hors taxes, au cours des douze mois précédent la saisine de la juridiction compétente »14(*).

Ces diverses définitions de la notion d'entreprise bien que présentant, chacune, des traits contextuels, se déclinent comme une organisation unitaire exerçant une activité professionnelle indépendante. Elles revêtent toutes des intérêts pour la présente étude car les procédures collectives constituent une matière qui traverse toutes les autres disciplines du droit. L'entreprise est alors ce que Monsieur SOLAL a appelé « véritable microcosme du monde économique et social d'aujourd'hui »15(*). L'entreprise renvoie en principe aussi bien aux débiteurs qu'aux créanciers, sous réserve des débiteurs ou créanciers personnes physiques qui ne répondent pas aux définitions ci-dessus. C'est le cas, par exemple, des salariés. Sont exclues du champ de la présente étude, les réglementations spéciales16(*) réservées aux entreprises d'assurance et bancaires en raison de leur caractère dérogatoire au droit commun des procédures collectives OHADA. Sont aussi exclus les associés, personnes physiques des sociétés commerciales qui peuvent avoir la qualité de créanciers en compte courant car régis par l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupement d'intérêt économique (AUSCGIE)17(*). L'impératif premier du droit des procédures collectives OHADA est désormais d'assurer la pérennité de l'entreprise débitrice en lui reconnaissant un droit à la vie et à la croissance18(*).

Au-delà de ces précisions terminologiques, il y a lieu de rappeler que l'idée de mettre en place un dispositif juridique de protection de l'entreprise centré sur son sauvetage, dans l'espace OHADA, a été le fruit d'une évolution législative essentiellement inspirée du droit français des procédures collectives. En France, le droit de la faillite visait principalement à sanctionner le débiteur défaillant et son dirigeant19(*) jusqu'en 1967. En effet, la sanction consistait à punir et à éliminer le commerçant qui n'honore pas ses engagements et visait à protéger les créanciers impayés en ce sens qu'il s'agissait d'abord pour le législateur d'assurer le désintéressement de ceux-ci dans les meilleures conditions possibles. L'orientation donnée au droit de la faillite va révéler ses inconvénients et ses lacunes, à savoir la disparition fréquente des entreprises qui avaient pourtant des chances de survie avec des conséquences économiques et sociales qui l'accompagnaient20(*). Par une loi du 13 juillet 1967, la dynamique va changer pour donner place à une nouvelle orientation21(*). Désormais, dans une perspective macroéconomique22(*), l'accent est mis sur la prévention de la cessation des paiements et de la « mort » de l'entreprise, donc sur le traitement précoce des difficultés du débiteur. Cette politique sera renforcée par des réformes postérieures23(*) dont la plus décisive est celle opérée par la loi française du 26 juillet 2005 mettant en première ligne le sauvetage de l'entreprise. Cette évolution du droit des procédures collectives en France justifie la suppression du « droit de la faillite » au profit de la nouvelle appellation qu'est le «droit des entreprises en difficulté »24(*). Elle a influencé les systèmes juridiques des anciennes colonies françaises en cette matière, dont celles de l'espace OHADA.

Dans les pays de l'espace OHADA, jusqu'en 1998, la matière était régie par des textes hérités pendant la période coloniale, même si après les indépendances, certains de ces pays ont exprimé au fil des temps leur volonté à se démarquer du Code de commerce de 180725(*). Par la suite, poussés par la nécessité d'une intégration juridique dictée par les contraintes du monde économique et la concurrence qui caractérisent le monde des affaires, les Etats africains se sont réunis en une Organisation dénommée OHADA26(*). L'objectif de l'OHADA est de créer à travers des règles communes, simples, modernes et adaptées27(*), un pôle de développement économique attractif en vue d'inciter surtout les investisseurs étrangers à s'intéresser au marché africain28(*). C'est dans le cadre de cette intégration juridique et économique que furent adoptés les différents Actes uniformes dans l'espace OHADA, dont l'AUSCGIE du 17 avril 1997 et l'AUPC du 10 avril 1998 (AUPC). L'AUSCGIE a introduit la procédure d'alerte29(*) dans le droit OHADA avant d'être révisé en 2014. Cette procédure est destinée à la détection de tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation d'une entreprise et à prévenir les difficultés par l'information30(*). Cependant, parce qu'elle n'affecte pas les droits des associés-créanciers, cette procédure ne sera pas abordée dans cette étude qui se limite seulement à celles prévue par l'AUPC et sa version révisée. L'AUPC avait pour objectif principal le sauvetage des entreprises viables en vue de favoriser le développement économique et maintenir les emplois au sein des Etats parties, même aux prix d'une certaine paralysie des droits des créanciers. Pour ce faire, à côté de la liquidation des biens du débiteur, l'AUPC avait consacré des procédures collectives que sont le règlement préventif, le redressement judiciaire31(*) qui sont destinées à assurer la continuité des entreprises. Sur ce point, il existe un avis contraire. En effet, certains auteurs32(*) soutiennent que l'AUPC aurait pour objectif premier le paiement des créanciers. Ils soutiennent leur position par le fait que les procédures collectives ouvertes après la cessation de paiement visaient toutes à apurer le passif. A notre avis, cette position doit être accueillie avec beaucoup de réserve dans la mesure où l'idée de prévention de la cessation de paiement et de redressement de l'entreprise en difficulté dominait déjà l'AUPC de 1998. De nombreuses critiques qui ont été dirigées contre ce texte en ce qu'il entrave de manière considérable les droits des créanciers, confortent cette position. Au fil du temps, l'AUPC de 1998 a montré ses insuffisances et a fait, tant dans sa substance que dans son application, l'objet de vives critiques de la part de la doctrine.

En effet, s'agissant de l'interdiction et de la suspension des poursuites individuelles, une doctrine relevait des risques de détournement du règlement préventif dans une intention de fraude aux droits des créanciers, et de durée trop longue de la procédure, ce qui s'observait dans la pratique33(*). Cette situation de nature à prolonger la durée de la suspension des poursuites individuelles34(*) au grand désespoir des créanciers était liée à l'absence d'un statut des mandataires judiciaires et de la grande marge de manoeuvre qui était offerte au débiteur souhaitant demander un règlement préventif35(*) ou toute autre procédure collective. Monsieur DELABRIERE Antoine affirmait qu' « il existerait en effet une grave insécurité juridique et financière pour les acteurs économiques si cette situation de suspension de poursuites individuelles à l'encontre de l'entreprise qui n'est officiellement pas en grave situation financière devait se poursuivre trop longtemps »36(*) . Il faut noter que pour le cas particulier des créanciers réservataires, une doctrine évoque la relativité de leur protection qui ne serait pas encore suffisante en raison de son conditionnement présenté comme un risque pour les créanciers dont la propriété est réservée37(*). Aussi, faut-il relever que le peu de place que le législateur accorde aux créanciers dans le cadre du sauvetage de l'entreprise38(*) est de nature à mettre en jeu les intérêts de ceux-ci, qui espèrent sauver leur potentiel client ou partenaire d'affaires.

A côté de ces précédentes critiques, il était fait également des reproches d'ordre pratique et fonctionnel dans la mise en oeuvre des dispositions de l'AUPC de 1998. En effet, une doctrine indique que les insuffisances de la réglementation des procédures collectives OHADA ont été amplifiées par la non-maitrise de l'AUPC par les acteurs judiciaires ou non, les irrégularités récurrentes entrainant la disparition même des entreprises qui pouvaient être sauvées et des pertes pour les créanciers39(*).De manière générale, le législateur OHADA avait constaté, à la suite d'un diagnostic effectué par des experts, « l'absence de règlementation des mandataires judiciaires, durée trop longue des procédures, lourdeur et inadaptation des procédures pour les micro-entrepreneurs, absence d'une procédure préventive de conciliation moderne pour promouvoir les négociations privées et les accords extrajudiciaires entre le débiteur et ses créanciers et absence d'un régime adéquat pour les faillites internationales ouvertes hors de l'espace OHADA »40(*). Face à ces insuffisances de l'AUPC, le législateur OHADA avait initié depuis 2007 un projet de réforme qui a abouti à la révision de 2015 par laquelle, le législateur OHADA met clairement l'objectif de sauvetage de l'entreprise débitrice au premier rang41(*), tout en essayant de revaloriser la situation des créanciers.

De l'adoption de l'AUPC révisé du 10 septembre 2015 à aujourd'hui, soit six (06) ans après, un bilan s'impose sur la situation des créanciers, laquelle était jugée déplorable sous l'empire du texte du 10 avril 1998. C'est dans cet esprit que le sujet trouve son intérêt. En effet, selon le professeur SAWADOGO Filiga Michel, le législateur OHADA entend par la réforme opérée, créer « un juste équilibre entre la liquidation des biens et le redressement des entreprises. Le choix de la sauvegarde de l'activité sera donc désormais encouragé au détriment de la liquidation des biens lorsque la sauvegarde est à même de maximiser la valeur de l'entreprise pour la société en général et pour les créanciers en particulier »42(*). L'idée d'équilibre qui apparait dans cette affirmation renvoie à la vocation du droit à instaurer la justice et l'équité dans la réglementation des rapports juridiques43(*). Selon les juristes romains, la justice « donne à chacun son dû ». L'injustice est alors ce quirompt cet ordre. L'injustice peut donner trop ou pas assez, donner à qui n'a pas le droit derecevoir, ou ne pas donner à qui doit recevoir. L'injustice brise un ordre normé, qu'il soit religieux,moral, juridique44(*) et peut être source d'une crise sociale ou économique.

Le Covid-19 a été à l'origine d'une crise sanitaire mondiale. Cette crise a impacté considérablement et négativement, à travers la prise de mesures diverses qu'elle a imposées, l'économie des entreprises et par ricochet, celle des Etats. Elle a éprouvé les créanciers qui se sont vus imposer un surplus de sacrifices, malgré ceux que l'AUPC révisé leur imposait déjà dans leur rapport avec leurs débiteurs. Or, les créanciers sont aussi, dans la majorité des cas, des entreprises, personnes physiques et personnes morales, exerçant à titre professionnel une activité économique. Ces dernières sont, pour ainsi dire, juridiquement obligées de satisfaire leurs engagements vis-à-vis de leurs propres créanciers. Le législateur français dont s'inspire le plus souvent son homologue de l'espace OHADA, n'a pas manqué de tirer des leçons de cette crise sanitaire mondiale et ses effets45(*). Il a en effet opéré une réforme de son droit des entreprises en difficulté en prenant en compte les ordonnances prises pendant la crise sanitaire46(*).

Une attitude moins favorable du législateur à l'égard des créanciers revêtirait pour conséquence le risque de créer de nouvelles victimes au sein de cette catégorie. C'est le cas pour un créancier en état économique déjà fragile qui doit se plier sous la discipline collective. Un auteur47(*) affirmait que « C'est l'amoncellement des difficultés qualifiées de mineures qui conduit à la cessation de paiements, qui dans la majorité des cas consomme la disparition de l'entreprise »48(*).

Au-delà de ces aspects, l'on doit s'interroger sur comment concilier les procédures de sauvetage des entreprises en difficulté avec les besoins des créanciers, en d'autres termes les intérêts du débiteur et ceux des créanciers. Dans cet ordre d'idée, il se pose fondamentalement la question de savoir comment se caractérise la situation des créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADA.

L'AUPC, dans sa version révisée, laisse apparaitre une évolution positive de la situation des créanciers. Il est à noter qu'avec l'AUPC révisé, le législateur OHADA a tenté de renforcer le système de sauvetage des entreprises en mettant en place de nouvelles procédures préventives que sont la conciliation et les procédures simplifiées adaptées pour les petites entreprises. L'AUPC révisé offre désormais la possibilité de recourir à la procédure de médiation en vigueur dans les Etats partie jusqu'en 201749(*).Depuis 2017, la médiation est régie par l'Acte uniforme relatif à la médiation (AUM)50(*). La nouvelle orientation de l'AUPC révisé est de prévenir, dans la majorité des cas, la cessation des paiements de l'entreprise51(*). A travers toutes ces procédures innovantes, les créanciers ont vu une certaine amélioration de leur situation. En effet, les intérêts des créanciers ont été de façon implicite ou expresse pris en compte dans une certaine mesure, dans le cadre de la nouvelle politique des procédures collectives, qui met au centre de ses préoccupations le sauvetage de « l'entreprise »52(*).En outre, la protection des intérêts des créanciers a progressé par différentes modifications apportées par le législateur OHADA à l'AUPC du 10 avril 1998. Ces modifications de l'AUPC originel se constatent à plusieurs niveaux, que ce soit dans l'encadrement de l'intervention des mandataires judiciaires ou celle des créanciers dans les procédures préventives ou de traitement des difficultés des entreprises. Il existe plusieurs dispositions du texte de 1998 qui ont été revues et remodelées en vue d'aller vers un certain équilibre entre l'impératif de sauvetage des entreprises et la protection des intérêts des créanciers, qui étaient quasiment absents dans le déclenchement et le déroulement des procédures collectives.

Cependant, une analyse minutieuse de l'AUPC révisé révèle que le déséquilibre entre la protection du débiteur et celle des créanciers s'articule mal avec les impératifs que le législateur OHADA a voulu satisfaire. Les principaux objectifs que poursuit le législateur OHADA est encore en défaveur des créanciers. Cet écart dans la prise en compte des intérêts conflictuels en droit des entreprises en difficulté s'observe dans une apparente protection des créanciers dont les droits sont brimés dans la majorité des cas53(*). Il se constate aussi dans l'incertitude qui peut entourer l'issue des sacrifices que la loi les contraint de consentir dans le cadre du sauvetage d'une entreprise en difficulté.

Plusieurs données54(*), qu'elles soient d'ordre juridique ou factuel, invite à prendre du recul sur les mérites du système de sauvetage des entreprises en difficultés dans les Etats parties de l'OHADA.

S'appuyant sur ces données55(*), la démarche à adopter dans cette étude consistera non seulement à analyser les différents progrès enregistrés dans la prise en compte de la situation des créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises, mais aussi à relever les insuffisances qui, perdurant, sont incompatibles avec l'objectif central du législateur OHADA dans la réglementation des procédures collectives : sauvegarder les entreprises. C'est au travers de cet idéal que l'économie des Etats de l'espace OHADA pourrait connaitre un essor effectif, en passant par le maintien des emplois. Les investisseurs étrangers tiennent beaucoup compte de la sécurité juridique et judiciaire que leur offre un système juridique avant de s'engager dans des opérations d'investissement sur un marché économique. De façon logique, cette démarche analytique débouchera sur des pistes de solutions pouvant contribuer à un meilleur équilibre entre la protection des intérêts du débiteur et ceux des créanciers dans les procédures collectives d'apurement du passif.

Au regard de tout ce qui précède, l'analyse du droit des entreprises en difficultés régi par l'AUPC révisé laisse apparaitre une tentative de revalorisation de la protection des créanciers (Chapitre I), qui n'occulte pas, cependant, la perfectibilité de la situation de ces derniers (Chapitre II).

* 1 THERA (F.), L'application et la réforme de l'Acte uniforme de l'OHADA organisant les procédures collectives d'apurement du passif, Thèse, Lyon, 2010, n° 18, p. 17.

* 2 V. art. 1er AUPC révisé.

* 3 TCHAKOTEU MESSABIEM (L.), Droit OHADA-Droit français : La protection des créanciers dans les procédures collectives d'apurement du passif, L'Harmattan, 2015, p. 35.

* 4 BATHILY (D.), Les créanciers des entreprises déclarées en cessation des paiements en droit OHADA, Thèse, Dakar, 2019, n°22, p. 11.

* 5Loi n° 1963-62 du 10 juillet 1963 portant Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) du Sénégal modifié par la loi n° 1977-64 du 26 mai 1977, https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.snr.gouv.sn/sites/default/files/Senegal%2520Civil%2520%2526%2520Commercial%2520Obligations%2520Code.pdf&ved=2ahUKEwj4w7-KiY38AhWZ87sIHTpFAaYQFnoECBEQAQ&usg=AOvVaw23-G8LpteNBGcTXjCqWqK8, consulté le 04 janvier 2023 à 21H13.

* 6 Art. 1er du COCC.

* 7 BATHILY (D.), préc., n° 36, p. 17.

* 8 Idem.

* 9 Dictionnaire LaRousse, éd. 2016, p. 700.

* 10 CORRIGNAN-CARSIN (D.), L'affaiblissement de la condition des créanciers privilégiés spéciaux dans les procédures collectives, Thèse, Grenoble, 1977, p. 13.

* 11 L'UEMOA se définit comme l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain.

* 12 V. Annexe au Règlement n° 03/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position dominante.

* 13 V. Loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail au Sénégal, https://www.google.com/url?sa=t&source=web&cd=&ved=2ahUKEwift9eHh438AhW1hP0HHaWhC3EQFnoECAwQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.ofnac.sn%2Fresources%2Fpdf%2FCodes%2FCode-Travail.pdf&usg=AOvVaw2q10969AdPbhu0C9NsANRP, consulté le 5 janvier 2023.

* 14 Art. 1-3 AUPC révisé.

* 15 SOLAL (A.), R.T.D. Com., 1971, p. 616, cité par CORRIGNAN-CARSIN (D.), préc.

* 16 V. la loi 2008 portant réglementation bancaire au Sénégal,

http://www.droit-afrique.com/upload/doc/senegal/Senegal-Loi-2008-26-reglementation-bancaire.pdf, consulté le 23 décembre 2022 à 21H14.

* 17 L'AUSCGIE a été adopté le 17 avril 1997, publié au JO OHADA n° 2, le 01 octobre 1997, p. et ss.. Il a été révisé le 30 janvier 2014, et publié au JO. OHADA n° spécial du 4 février 2014, p. 1 et ss. et entré en vigueur le 5 mai 2014.

* 18 CORRIGNAN-CARSIN (D.), préc. p. 13.

* 19 SAWADOGO (F. M.), préc., p. 1127.

* 20 TOH (A.), La prévention des difficultés des entreprises : étude de droit comparé de droit français et droit Ohada, Thèse, Bordeaux, 2015, n° 914, p. 469.

* 21 L'ordonnance française du 23 septembre 1967 marque le début d'un nouveau tournant en droit français des procédures collectives avec l'idée de prévention des difficultés de l'entreprise.

* 22 Dans la pensée de l'analyse économique du droit, les règles de droit doivent avoir des impacts positifs sur l'économie et favoriser l'essor de celle-ci.

* 23La loi française du 13 juillet 1967 a été abrogée en 1984 et en 1985 respectivement par les lois du 1er mars 1984 et les lois n° 85-98 et n° 85-99 du 25 janvier 1985, qui à leur tour, ont subi des modifications par la loi n° 94-475 du 10 juin 1994.

* 24 EVELAMENOU (S.K.), Le concordat préventif en droit OHADA, Thèse, Université Paris-Est, 2012, n° 1, p. 10.

* 25 Le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Gabon, la République Centrafricaine, le Cameroun et le Bénin.

* 26 L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a été instituée par le Traité du 17 octobre 1993 entrée en vigueur le 18 septembre 1995 et par la suite révisé à Québec le 17 octobre 2008 et entré en vigueur le 21 mars 2010.

* 27 Art 1er du Traité OHADA révisé précité.

* 28 Paragraphe 2 et 6 du Préambule du Traité OHADA tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008 et entré en vigueur le 21 mars 2010.

* 29 La procédure d'alerte peut être déclenchée par le commissaire aux comptes ou par les associés.

* 30 V. art. 150 et ss. AUSCGIE.

* 31 Art. 1er al. 1 AUPC du 10 Avril 1998.

* 32 SAWADOGO (F. M.), cité par THERA (F.), précité, n° 347, p. 289 et ss.

* 33 ONANA ETOUNDI (F.), « Questions pratiques liées à la suspension des poursuites individuelles dans la procédure de règlement préventif en droit Ohada », Actualités juridiques, N°51, p. 321 ; www.ohada.com, Ohadata D-09-51.

* 34 Soit l'expert au règlement préventif n'a pas déposé à temps son rapport, soit le débiteur veut jouer au dilatoire en vue de retarder le paiement des créanciers.

* 35 Art. 11 de l'AUPC de 1998.

* 36 DELABRIERE (A.), « L'article 11 de l'Acte Uniforme sur les procédures collectives : outil de sauvegarde ou de discrimination », Penant, éd. 2010, n°870, p. 57.

* 37 SOUPGUI (E.), « Protection du créancier réservataire contre les difficultés des entreprises dans l'espace juridique Ohada », Penant, 2010, n°870, p. 66.

* 38 TAKAFO-KENFACK (D.), « Rôle des créanciers dans le sauvetage des entreprises depuis la réforme Ohada », Bull. Joly Entreprises en difficultés, 2017, n°4, p.302.

* 39 WAMBO (J.), « Le nouveau visage des procédures collectives d'apurement du passif depuis la réforme du 10 septembre 2015 à Abidjan », https://jeremiewambo.com/articledetail?id=44, consulté le 1er Février 2022 à 21H04.

* 40 Idem.

* 41 SAWADOGO (F.M.), Acte uniforme sur les procédures collectives d'apurement du passif in Code Ohada Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope 2016, p. 1111.

* 42 Idem.

* 43 GOURD (A.), « Le concept de la justice dans la philosophie du droit de GIORGIO DEL VECCHIO », Revue générale de droit, Vol. 1, 1970, p. 341, https://www.erudit.org/en/journals/rgd/1970-v1-n2-rgd04590/1059836ar.pdf, Consulté le 1er Février 2022 à 21H30 ; V. aussi Vie publique, « Qu'est-ce que la justice ? », Fiche thématique, https://www.vie-publique.fr/fiches/38023-quest-ce-que-la-justice-definition-de-la-justice, consulté 1e Février 2022 à 21H37.

* 44 V. « Justice : définition philosophique (Fiche personnelle) », https://dicophilo.fr/wp-content/uploads/fiche-justice.pdf, consulté le 3 Février 2022 à 20H16.

* 45 LEMERCIER (K.), « Réforme du doit des entreprises en difficulté », D. Actualité, éd. Du 22 avril 2022, https://www.dalloz-actualite.fr/dossier/reforme-du-droit-des-entreprises-en-difficulte#.YnWntM3S8W4, consulté le 28 avril 2022 à 20H24.

* 46 V. l'ordonnance 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, JO du 16 septembre 2021. Elle transpose en droit français la directive « restructuration et insolvabilité ».

* 47 PEROCHON (F.), Entreprises en difficulté, LGDJ 2014, 10è éd., P. 48.

* 48 TOH (A.), La prévention des difficultés des entreprises : étude de droit comparé de droit français et droit Ohada, Thèse, Bordeaux, 2015, n° 167, p. 86.

* 49Art. 1-2 al. 1er AUPC révisé.

* 50Le 15 décembre 2017 le législateur Ohada adopte l'acte uniforme relatif à la médiation (AUM), lequel est publié au journal officiel de l'OHADA. Cet acte uniforme comporte dix-huit (18) articles répartis en trois (03) chapitres, V. le lien : https://justice.sec.gouv.sn/wp-content/uploads/textes-reglements/OHADA/Acte-uniforme-relatif-mediation-jo-special-15-dec-2017.pdf, consulté le 10 janvier 2023 à 20H18.

* 51 TOH (A.), préc., n° 38, p. 29 ; BATHILY (D.), préc., n° 18, p. 10.

* 52 KOUROUMA (M. F.), Le procédé de passerelle entre la conciliation et la sauvegarde approche comparative droit français/droit OHADA, Thèse, Toulon, 2018, n° 9, p. 5.

* 53 TCHAKOTEU MESSABIEM (L.), préc., p. 90.

* 54 V. les différents rapports annuels des statistiques du le travail publiés par le ministère du travail, du dialogue social, des organisations professionnelles et des relations avec les institutions.

* 55 L'AUPC révisé, bien qu'apportant quelques améliorations à la condition des créanciers, n'est pas exempt de reproches, qui peuvent, à plusieurs titres, être justifiés non seulement sur le plan juridique, mais aussi sur le plan économique.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius