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Les créanciers face aux impératifs de sauvetage des entreprises en difficulté en droit OHADA


par Ganiyou BOUSSARI
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2 en droit privé et sciences criminelles/Carrières judiciaires 2022
  

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B- L'ajustement nécessaire de la protection des créanciers bénéficiaires d'un traitement spécial

Le législateur OHADA a manifesté sa volonté de protéger les créanciers propriétaires de biens meubles à travers des traitements spéciaux qui leur sont réservés. Pour rappel, les vendeurs de meubles sont dispensés de l'obligation de produire leurs créances et les vendeurs de biens bénéficiaires d'une clause de réserve de propriété jouissent d'une certaine protection qui découle du droit à la revendication.

L'exercice du droit à revendication n'est pas pour autant automatique. Il est soumis à la réunion d'un certain nombre de conditions. En effet, la revendication par le propriétaire de son bien dans le patrimoine du débiteur concerne des biens visés par la loi et doit s'effectuer dans un délai déterminé277(*).

Dans la phase contentieuse de la revendication, il peut arriver que le juge-commissaire garde le silence suite à l'action en revendication d'un bien. Quel sens donner alors à ce silence ?Dans une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, il est donné au silence du juge-commissaire la signification de rejet de la demande du revendiquant. En l'espèce, « A la requête de la Société des Ciments et Matériaux du Burkina (CIMAT), le Tribunal de grande instance de Ouagadougou a rendu le 8 août 2001 un jugement prononçant la liquidation des biens de ladite société, les cabinets SOFIDEC et SAGNON-ZAGRE ont été nommés syndics liquidateurs et Madame SAWADOGO Maria Goretti Juge au siège désignée en qualité de Juge commissaire chargé de superviser les opérations ; par ailleurs le Tribunal a désigné la Société des Ciments d'Abidjan (SCA) et la Direction générale des impôts du Burkina, contrôleurs ; Le 31 octobre 2001 un avis a été publié dans le Journal « le Pays » en vue de la vente de l'usine par les Syndics liquidateurs ; Le 08 novembre 2001 la Société des Ciments d'Abidjan a adressé au Juge commissaire une contestation et sollicitait que ce dernier rétractât son ordonnance autorisant la vente au motif qu'elle est créancière propriétaire du centre de broyage de clinker et demandait que le Juge constate sa qualité de propriétaire ; Aucune suite n'a été donnée à cette sollicitation »278(*).

Pour répondre à la question de savoir quelle est la signification à donner au silence du juge-commissaire suite à l'action en revendication d'un propriétaire, les juges du fond retiennent ce qui suit :

« Attendu en l'espèce que la SCA a produit une créance à hauteur de 7.243.143.125 francs constatée par une sentence arbitrale tout en sollicitant que lui soit reconnue la réserve de propriété ; que les Syndics, tout en admettant la créance ont rejeté la réserve de propriété sollicitée ; que contre cette position des Syndics, la SCA a fait recours au Juge commissaire par une réclamation datée du 8 novembre 2001 ; Attendu qu'aucune suite n'a été donnée à la réclamation de la SCA, que conformément à l'article 40 de l'acte uniforme OHADA précité, si dans les huit jours de sa saisine le Juge commissaire ne donne aucune suite, il est censé avoir rendu une décision de rejet ; Attendu que la voie de recours de la décision du Juge commissaire est l'opposition faite dans les 8 jours ; Qu'il est de principe que celui qui n'exerce pas de voie de recours a acquiescé la décision ; que pour sa requête datée du 8 novembre, le 17 du même mois le délai de l'opposition a commencé à courir, que n'ayant élevé aucune contestation devant le Tribunal de grande instance dans ce délai, la SCA a abandonné son titre de propriétaire du centre de broyage de clinkers ; que dès lors elle ne peut être considérée que comme un simple créancier dans la masse. »279(*)

Il résulte de cette décision précitée que le silence du juge commissaire est « une décision implicite de rejet ! ». La doctrine s'interroge et se demande si on n'est pas en droit de penser à un piège procédural tendu au créancier revendiquant. En tout état de cause, l'éventualité d'une décision implicite de rejet invite à la prudence et à la diligence des créanciers réservataires qui risqueraient de perdre leur droit de propriété sur la chose objet de revendication280(*).

Au-delà de cette précision de l'exercice du droit à revendication reconnu au propriétaire des biens mobiliers, et qui ne soulève pas un problème majeur, il y a lieu de relever que la protection du propriétaire n'est pas absolue. Une analyse profonde permet de ressortir quelquesinsuffisances auxquelles il faut chercher à remédier. En effet, il est question de la revendication en rapport avec une clause de réserve de propriété.

Historiquement, l'action en revendication visait exclusivement à faire reconnaitre un droit de propriété et à réclamer la restitution du bien objet du contrat assorti d'une clause de réserve de propriété, à son légitime propriétaire. Le propriétaire qui revendiquait un bien devait rapporter la preuve que la chose revendiquée était bel et bien ce qu'il avait remis au débiteur, faute de quoi, celui-ci ne pouvait pas avoir gain de cause. Cela posait alors le problème de la revendication des choses fongibles car il était plus fréquent que le propriétaire ne puisse pas identifier le bien objet de sa propriété parmi les biens de même nature qui se trouvaient dans le patrimoine du débiteur. De ce fait, le caractère fongible de certains biens dressait un mur à la revendication puisque la remise d'une chose fongible conduisait à la disparition du droit de propriété du remettant. Ainsi, le propriétaire ne pouvait que mettre en oeuvre son droit personnel en demandant le paiement du prix du bien. Par conséquent, lorsque le débiteur fait l'objet d'une procédure collective, le propriétaire bénéficiaire d'une clause de réserve de propriété n'était qu'un simple créancier chirographaire qui n'occupait que les derniers rangs dans le paiement des créanciers concurrents. De plus, même quand le bien était identifié, la clause de réserve de propriété était inopposable à la masse des créanciers281(*). La clause de réserve de propriété était ainsi paralysée par l'ouverture de la procédure collective. La Cour de cassation française décidait sous l'empire des textes alors en vigueur en Afrique que la revendication se heurtait à cette règle de droit qui interdit aux vendeurs de marchandises de reprendre, au préjudice de la faillite, les choses livrées avant ladite faillite, en exécution d'une vente même conditionnelle, et devenue, par leur entrée dans les magasins de l'acquéreur, des éléments de la solvabilité apparente de celui-ci282(*). Cette solution classique était retenue en ces termes : « Attendu que les choses mobilières vendues à un commerçant tombé par la suite en faillite ou en liquidation judiciaire ne peuvent, quand elles ont été effectivement livrées à l'acheteur et sont devenues ainsi des éléments de la solvabilité apparente de ce dernier, être revendiquées par le vendeur à l'encontre de la masse des créanciers, ni par la voie de l'action résolutoire des articles 1184 et 1654 du code civil, ni sur le fondement d'une clause du contrat qui aurait suspendu le transfert de la propriété sur la tête dudit acheteur, jusqu'à paiement complet du prix »283(*).

Un autre arrêt avait été rendu dans le même sens. Il s'agissait d'un arrêt de la Chambre des requêtes de la Cour de cassation du 21 juillet 1897 qui avait retenu que la clause de réserve de propriété « n'est pas opposable à la faillite de l'acheteur, aucune revendication ne pouvant être exercée sur des marchandises que le failli a reçues dans ses magasins et qui sont devenues, par la possession ostensible qu'il en avait comme acheteur, l'un des éléments de sa solvabilité apparente»284(*).

Aujourd'hui, la clause de réserve de propriété a connu d'importantes améliorations en France par une loi du 12 mai 1980 reprise par l'article 121 de la loi du 25 janvier 1985285(*).

Dans l'espace OHADA, l'efficacité de la clause de réserve de propriété est subordonnée à sa stipulation dans un écrit au plus tard au jour de la livraison du bien et à la publication régulière au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM)286(*). Cependant, lorsque le débiteur est en difficulté, l'exercice du droit de revendication reconnu au créancier propriétaire du bien objet d'un contrat assorti d'une clause de réserve de propriété, est subordonné à l'existence de ce bien en nature dans le patrimoine du débiteur. Ce qui n'est pas sans effet sur le créancier réservataire qui peut se retrouver dans une situation délicate. Selon la doctrine, cette situation risquerait de paralyser l'action des fournisseurs de matériel professionnel et de marchandises287(*). En effet, l'usage de certains équipements nécessite une solide implantation au sol ou une incorporation à d'autres appareils. Ces biens sont attachés à perpétuelle demeure formant avec le reste du matériel ou le fonds de commerce un bloc indivisible. La nature juridique de ces biens peut subir un changement du fait des travaux d'installation entrepris sur eux. Il en découle que le matériel qui était meuble au moment de la conclusion de la vente devient un immeuble par destination conformément. Dès lors, l'action en revendication devient irrecevable parce que le nouveau statut du bien l'exclut du champ d'application de l'article 103 de l'AUPC révisé.

Le jugement n° 701 du 26 juin 2002 précité illustre bien cette situation. En effet, il ressort de ce jugement que « Attendu que la SCA invoque que les objets constituant le centre de broyage de clinker sont sa propriété qu'il échet d'analyser leurs natures ; Attendu que les biens dont s'agit, acquis à la CIMAT depuis plus de 10 ans ont subi des transformations ; Qu'il s'agit de biens acquis en seconde main que leurs états au moment de l'acquisition n'a pas demeuré du fait des changements des pièces ; Attendu par ailleurs qu'au terme des articles 524 et 525 du code civil, sont immeubles par destination, tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ; Que le propriétaire est sensé avoir attaché à son fonds à perpétuelle demeure lorsque les effets mobiliers sont scellés en plâtre où à chaux ou à ciment, ou lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés et détériorés ; Attendu que les biens réclamés par la SCA sont scellés à perpétuelle demeure à l'usine CIMAT formant avec le reste du matériel un tout indivisible, qu'il s'ensuit que lesdits biens sont devenus immobiliers ; que les conditions de l'article 103 sus-cité ne sont pas réunies et qu'il échet déclarer l'action mal fondée. »288(*).

S'agissant des marchandises, elles sont destinées à la vente. Le fait de soumettre l'action en revendication à l'existence du bien en nature dans le patrimoine du débiteur, à l'ouverture de la procédure collective, rend inefficace la réserve de propriété. En effet, les marchandises ne peuvent pas faire l'objet de marquage spécial qui faciliterait leur identification dans les magasins du débiteur. Même si la procédure collective vient à êtreouverte juste après la livraison des marchandises, il serait toujours difficile pour les créanciers propriétaires de prouver la propriété des biens livrés. Il découle de ces hypothèses que la condition duréservataire ne tient qu'à un seul fil qui peut être facilement coupé.

La protection du réservataire, qui semblait à première vue absolue, se révèle ainsi limitée. De plus, le fait de subordonner la revendication à l'existence en nature du bien objet de la réserve de propriété dans le patrimoine du débiteur risque de paralyser les créanciers. Ces derniers ne pourront plus exercer les actions en revendication lorsque le débiteur aliène, par exemple, le bien dont la propriété est réservée et le remplace par un bien de même nature289(*). Ainsi, les créanciers qui ont vu les sûretés traditionnelles être paralysées par l'ouverture d'une procédure collective contre le débiteur et qui n'ont plus la garantie que devait leur offrir la clause de réserve de propriété, seront de plus en plus réticents à accorder du crédit aux entreprises. Certains auteurs ont pu même dire que la réserve de propriété est devenue « un billet de loterie gratuit »290(*), « une sûreté aléatoire »291(*). Dans l'espace africain, la plupart des entreprises n'ont pas de fonds propres suffisants. Elles s'appuient le plus souvent sur des emprunts de diverses natures et l'achat à crédit de marchandises. La situation des créanciers réservataires n'est donc pas favorable au développement économique des Etats dans la mesure où la prudence des fournisseurs consiste de plus en plus à exiger des garanties beaucoup plus protectrices de leurs intérêts.

Pour une meilleure protection des créanciers réservataires, la doctrine propose un élargissement de l'assiette de la revendication. Cette solution consiste à quitter l'étape de la stabilisation de l'assiette de la revendication. En effet, il ne s'agira plus de conditionner la revendication du bien objet de la réserve de propriété à l'existence en nature dudit bien dans le patrimoine du débiteur. Pour inciter les créanciers à faire davantage confiance à leurs partenaires et à prendre des risques, il serait souhaitable d'étendre le droit à revendication sur les biens semblables se trouvant dans le patrimoine du débiteur292(*).

En somme, la préservation des droits des créanciers s'avère aujourd'hui nécessaire surtout dans un contexte économique défavorable293(*) et où la vie des entreprises est menacée par les effets de la crise sanitaire liée à la covid-19.

* 277 V. Chap. I, Sec. II, Parag. 2, B.

* 278 TGI Ouagadougou, jugement n° 701 du 26 juin 2002, Société des ciments d'Abidjan C/ Syndics liquidateurs de la Société des ciments et matériaux du Burkina, www.ohada.com, Ohadata J-04-42.

* 279 Ibid.

* 280 SOUPGUI (E.), « La protection du créancier réservataire contre les difficultés des entreprises dans l'espace juridique OHADA », Penant 870, p. 75.

* 281 V. obs sous l'article 103 AUPC révisé.

* 282 Cass. fr. civ., 28 mars et 22 octobre 1934, https://www.senat.fr/rap/1979-1980/i1979_1980_0014.pdf, consulté le 19 avril 2022 à 22H09.

* 283 V. Rapport, première session ordinaire de 1979 à 1980, Sénat, annexe au procès-verbal de la séance du 10 octobre1979, n° 14, p. 6, https://www.senat.fr/rap/1979-1980/i1979_1980_0014.pdf, consulté le 20 avril 2022 à 20H57.

* 284 Ibid.

* 285 Ancien art. L. 621-122 et désormais art. L. 624-16 du Code de commerce français.

* 286 Art. 73 et 74 AUS.

* 287 SOUPGUI (E.), préc., p. 77.

* 288 Décision du TGI de Ouagadougou préc.

* 289 SOUPGUI (E.), op. cit., p. 78.

* 290 CABRILLAC (M.), MOLY (C.), Droit des sûretés, 6è éd., Litec Paris, 2002, n° 728, cité par SOUPGUI (E.), préc.

* 291 SOUPGUI (E.), préc.

* 292 SOUPGUI (E.), préc. p. 79.

* 293GUEYE (M.), « Le nouveau visage des contrats en cours dans l'Acte Uniforme portant organisation des
procédures collectives d'apurement du passif », Annales Africaines, nouvelle série, Vol.1, avr. 20016, n° 6, p.
109.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery