Paradoxalement, au niveau de certaines aires
protégées, la reconnaissance des droits des populations
riveraines par les institutions internationales, a coïncidée avec
l'augmentation des cas d'abus par les personnels de la conservation et parfois
des maltraitances physiques. Les écogardes qui reçoivent une
formation paramilitaire (sans en jouir totalement) doivent désormais
combiner d'autres aptitudes pas toujours à leur disposition pour arriver
à gérer les conflits en gestation. Ces écogardes portent
des armes mais reçoivent très souvent à peine quelques
jours de tirs. En face, les « Braconniers » par exemple le long de la
frontière Est du Cameroun, sont souvent des anciens militaires qui se
sont réfugié dans les forêts. Forêts pleines de
ressources naturelles des aires protégées
transfrontalières du Cameroun, Gabon, Congo, RCA, les deux Congo et le
Rwanda principalement.
Certaines sociétés forestières dans ces
zones font face à des enlèvements, des brigandages, voire des
véritables mafias organisées et cachées sous l'appellation
de `braconniers', se fondant très souvent dans la population locale. La
présence de ces anciens militaires à la recherche d'ivoires
d'éléphants, de peaux de panthères et autres
trésors de chasses qui se vendent très bien dans les
marchés noirs d'Asie et d'Europe principalement, trouble
profondément la quiétude des populations depuis des
décennies.
34
Au Cameroun, il est important ici de savoir que les premiers
colons français et allemands avaient introduit la chasse de loisir dans
le paysage forestier et à la suite des indépendances dans les
années 1960 le système politique français d'exploitation
des ressources naturelles a continué d'être reproduit. En
réponse à ce paradigme, l'implication des populations locales
dans les processus de décision participe aujourd'hui de la
volonté de l'État du Cameroun d'adopter une gestion communautaire
des ressources naturelles dans et autour des aires protégées tout
en respectant les accords internationaux.
Bien qu'une tendance à une conservation plus
communautaire s'observe de plus en plus autour de certaines aires
protégées au Cameroun comme au parc national de
Lobéké, l'intégration de ces populations locales à
toutes les étapes du processus reste complexe en raison de la divergence
des enjeux. Par exemple, les réfugiés (RCA) et
déplacés climatiques (Adamaoua/ Cameroun) sont aujourd'hui une
entité importante à considérer dans la résolution
des conflits socio-environnementaux dans le bassin du Congo. Selon qu'on se
trouve dans une zone plus ou moins chaude, riche ou non en ressources
naturelles, la tension peut très vite monté.
Au parc national du Mpem et Djim (Cameroun), situé
dans la région du Centre, département du Mbam et Kim, le service
de la conservation doit faire face à de nombreuses vagues de troupeaux
de boeufs en provenance de la région de l'Adamaoua. Face aux effets des
changements climatiques, ces bergers nomades culturellement, se retrouvent
à l'intérieur du parc par besoin vital (nourriture et abreuver
leurs bêtes et leurs familles qui en dépendent très souvent
totalement). L'agressivité de la sécheresse plus au nord leur
fait courir le risque d'aller jusqu'au coeur du parc et de se faire attaquer
eux et leurs biens par des animaux sauvages (lions, buffles, serpents, etc.),
mais aussi par des braconniers souvent installés dans le
parc95. S'il n'est nullement question ici de céder le pas
à une quelconque « induction utilitariste96 », il
nous semble ici important de questionner le sens donner aux aires
protégées dans le bassin du Congo. En clair, il est question pour
nous ici de savoir par qui et pour qui sont mis en place ces espaces
protégés. Si les enjeux sécuritaires et
stratégiques qui en découlent semblent encore minimisés
par les politiques sous régionales, les effets sur les espaces naturels
eux sont déjà perceptibles.
Figure 2 : Patrouille de refoulement au parc national
du Mpem et Djim. Source : Bohin, 2021.
95Bohin Bakeleki, J.M, « Rapport de stage
académique effectué au parc national du Mpem et Djim »,
Ntui, MINFOF, 2021, p. 15.
96Joël Trésor NYONKA'A, Politique
étrangère et diplomatie camerounaise (1982-2002) :
évaluation de la
politique étrangère d'un Etat africain,
Thèse de doctorat en relations internationales, IRIC, 2021, p. 30.
35
Figure 3 : Visite au domicile de Mr Jacques
Vivien1 au milieu avec Mr Osiris Ndoumbe1 à
sa
droite et le Col. Bisseck1 . Source : Bohin, janvier
2021.
Au parc national du Mpem et Djim (Cameroun) la saison
sèche rime avec de nombreuses vagues de troupeaux de boeufs en
quête de pâturage dans le parc. Les nombreuses patrouilles de
sensibilisation et opérations « coup de poing »97
parfois à l'aide de drones ont été faites sans grand
changement dans les zones de forte pénétration anthropique.
Entrainant la perte continue de nombreuses espèces
protégées comme le Chimpanzé (Classe A) dont les photos
des nids sont visibles au parc national du Mpem et Djim mais dont l'observation
en milieu naturel relève de l'exploit.
Parmi les nombreuses espèces protégées
de la liste rouge de l'UICN (Union Internationale pour la conservation de la
Nature), le gorille et le chimpanzé sont en danger d'extinction dans
certaines zones. Le parc national du Mpem et Djim, grâce à
l'ouvrage« Mammifères sauvages du Cameroun » de Mr Jacques
Vivien, a pu répertorier des nids de chimpanzé bien que l'animal
lui-même soit devenu difficile à observer même à
l'aide de camera-traps. D'après les théoriciens de
l'évolution humaine comme Charles Darwin, le chimpanzé serait
pourtant notre plus proche cousin génétique. Mais pour bien de
raisons humanoïdes comme la curiosité, l'exotisme, les
expériences scientifiques sur ses semblables, ce mammifère de
nature calme et affectueuse au contact de l'homme a fini par se retrouvé
au coeur de nombreux conflits.
B. Les conflits homme / grands singes (CHGS) : Cas du
Chimpanzé 1. Pourquoi le singe ?
Les populations de tous les grands singes ont diminué
au cours des dernières décennies en raison principalement de la
perte de leur habitat, des maladies, de la chasse, du commerce de viande de
brousse mais également du commerce d'animaux de compagnie ; commerce qui
peut entrainer la mort d'adultes au moment de la capture. La situation est
telle que tous les grands singes sont inscrits sur la liste rouge de l'UICN.
Les enjeux de conservation, autour de ces animaux sont primordiaux et de
nombreuses mesures ont été prises pour enrayer cette
97 Appellation donnée par les
écogardes aux missions musclées de lutte anti braconnage (LAB),
missions très souvent planifiées dans le plus grand secret par
l'unité de surveillance pour éviter toute fuite en interne et
faire des saisies importantes de gibiers, d'armes de chasse proscrites, et se
terminent généralement par des arrestation spectaculaires. La
chasse des lions étant au coeur des activités de chasse dans
cette région depuis la période coloniale, certains jeunes
s'improvisent guides et chasseurs professionnels pour des safaris et des
groupes hôteliers occidentaux.
36
triste dynamique. À l'échelle internationale
notamment, les gouvernements ont ratifié l'Accord pour la conservation
des gorilles et de leurs habitats (Accord Gorille), entré en vigueur en
2008. Hors initiatives gouvernementales, des programmes de protection ont
également été créés, supervisés par
les organisations internationales comme l'UICN98.
D' après l'UICN (2005), les conflits homme-faune
surviennent lorsque les besoins élémentaires de la faune
contrarient ceux des humains, ce qui engendre des conséquences
négatives à la fois pour les communautés et les
animaux99. Cependant lorsque les besoins primaires des humains (se
nourrir, se vêtir, se soigner, construire une maison) contrarient ceux de
la faune il en résulte le braconnage, déforestation et la
pollution. Du point de vue de la faune, la sous-région abrite des
animaux emblématiques, parmi lesquels des grands singes comme le
gorille, le bonobo, les babouins, chimpanzé, etc. On y trouve les plus
importantes populations existantes, appartenant aux genres Pan
(chimpanzés et bonobo) et gorilla (gorilles).
Au Cameroun, en 1999, se tenaient des assises sur la lutte
anti- braconnage. À l'issue de ces assises, une stratégie
nationale de lutte anti braconnage100 a vu le jour ainsi qu'un
comité national anti braconnage en août 1999. Les
réalisations concrètes de ce comité se font encore
attendre. Avec le déficit de financement, le manque de personnel
qualifié sur le terrain, le manque d'équipement pour les
patrouilles, ce comité national a disparu ; seules les
délégations départementales demeurent et tentent de
maintenir les comités régionaux. En janvier 2008, le niveau de
braconnage était inquiétant et estimé par le nombre
particulièrement important de camps de braconniers et de carcasses
animales retrouvées par les équipes d'écogardes. En 2010,
les espèces les plus braconnées au parc national du Mpem et Djim
ont été les cobes de Defassa, les cobes de Buffon, le babouin.
Elles sont principalement consommées comme viande de
brousse101.