F. REVUE DE LITTERATURE
Elle peut être définit comme étant
l'examen détaillé d'un ensemble d'écrits importants et
incontournables recensés dans un domaine de connaissance. La revue de
littérature situe donc le sujet par rapport à des recherches
antérieures et fournit un créneau unique pour le sujet de
recherche. Dans le cadre de notre recherche, la littérature
mobilisée renvoie à des courants de pensée qui ont
structuré la problématique de la conservation de la
biodiversité. Il s'agit notamment du préservationnisme de John
Muir, le conservationnisme de Gifford Pinchot et l'utilitarisme de Jeremy
Bentham et John Stuart Mills.
Le préservationnisme de John Muir promouvait une vision
d'un monde romantique et non utilitariste de la nature, ainsi qu'une relation
plus équilibrée entre les hommes et la
48Raymond Quivy, et Luc Van Campenhoudt, Manuel de
recherche en sciences sociales, DUNOD 2eme édition,
Paris, 1995, p. 28.
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nature. Pour lui il faut préserver la nature pour sa
beauté, faisant abstraction des désirs humains; telle est
l'idée générale de son ouvrage « Un été
dans la Sierra », publié en 199749.
Muir en opposition à la dichotomie classique
homme-nature, parvint à une idéalisation de la
wilderness (d'un état naturel pas encore entamé par les
processus sociaux et économiques des populations humaines)
considérée comme la condition naturelle permettant aux hommes
d'entrer en contact avec leur nature la plus profonde et de ressentir, en
même temps les liens qui les unissent au reste de la
planète50. Il fut également considéré
comme le père des parcs nationaux qui à l'origine ne devaient en
aucun cas être exploités. Il cherchait avant tout à
entrainer ses concitoyens dans une « passion oecuménique de la
nature ». Ainsi, dès la fin du XIXème
siècle va se rependre ce mouvement stricte et radicale de la protection,
dans lequel la nature acquiert une valeur intrinsèque : elle est digne
d'être protégée pour elle-même, contre les effets
néfastes de l'action des sociétés, selon un principe
dichotomique 51 d'une nature en dehors de l'homme.
Cette considération des richesses naturelles en
général et fauniques en particulier apparait largement en
décalage avec les besoins vitaux de l'homme qui, pour vivre dans son
environnement a besoin de puiser dans la nature toutes les ressources dont il a
besoin (nourriture, habitat, vêtement, etc.). C'est d'ailleurs pour cela
qu'il est très tôt repris par son compatriote américain
Gifford Pinchot, opposé à cette vision « biocentrée
».
Le conservationnisme de Gifford Pinchot en réaction
à ce mouvement, développe une gestion ordonnée et
raisonnable de la nature, tolérant l'utilisation des ressources
naturelles par l'homme. La conservation de la diversité biologique
consistant en la protection des populations d'espèces animales et
végétales, ainsi que la conservation de l'intégrité
écologique de leurs habitats naturels ou de substitution (comme les
parcs nationaux)52. Son objectif est de maintenir les
écosystèmes dans un bon état de conservation, et de
prévenir ou corriger les dégradations qu'ils pourraient subir.
Jean Paul Payre, un autre partisan de ce courant de pensée disait que
:
« La politique nationale définie en 1966-1967
et en 1975 ne faisait pas des parcs régionaux des « cloches de
verre » isolant un territoire des méfaits de la
société moderne. Mais elle leur assignait plutôt une
fonction sociale qui apparait à travers leurs trois objectifs : la
protection de la nature, le développement des loisirs, la
réanimation rurale »53.
Comme Payre, Pierre Lascoumes pense que les
éléments naturels sont perçus comme des ressources
à saisir à travers les services (écologiques,
économiques, esthétique, socioculturels, etc.) qu'ils rendent. Il
affirme que bien que l'on retrouve quelques politiques publiques de
conservation de la diversité biologique hybrides c'est-à-dire qui
combinent une priorité donnée aux éléments naturels
et à celle des besoins humains ( protection des biotopes et des zones
humides, la qualité biologique de la ressource en eau), les
intérêts humains,
49Donato Bergandi, Galangau-querat, F., « Le
développement durable : les racines environnementalistes d'un paradigme
», in L'éducation à l'environnement ou au
développement durable, Éditions ASTER, Numéro 46, 2008 p.
31.
50Ibid., p. 36.
51Sammuel Depraz, « Protéger,
préserver ou conserver la nature ? », notion à la une de
Geoconfluence, Université Jean Moulin Lyon 3, 2013, p. 38.
52Idem.
53Jean Paul Payre, Les parcs naturels
régionaux en France, Université de Grenoble, 1979, p.
371.
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scientifiques, culturels (culinaire), économiques; sont
au centre des questions environnementales54.
Rowan Martin affirme que les ressources naturelles ont une
valeur propre, qu'elle peut être économique et/ou intangible; si
elle est monétaire c'est encore mieux car elles contribueraient à
supporter les coûts afférents à la conservation. Ainsi,
lorsque l'on tenterait de lui supprimer une exploitation marchande, le risque
de nuire à la conservation souhaitée est
généralement grand, car cette suppression enlève à
la conservation tout avantage comparatif économique et provoque son
remplacement par d'autres utilisations plus avantageuses de la
ressource55. D'autres auteurs comme Henk iront plus loin.
Henk fait intervenir les questions d'éthique dans cette
réflexion en postulant que si les humains sont les seuls êtres
vivants doués d'éthique, cela ne signifie pas pour autant que
l'éthique ne s'applique qu'à eux. Tout au contraire,
l'humanité ne prend son véritable sens que lorsque la vie sur la
terre est respectée dans toute sa diversité. Selon une
éthique environnementale profonde, poursuit-il, la nature possède
des valeurs qui existent au niveau des animaux, des espèces
menacées, des écosystèmes et des organismes vivants. Pour
beaucoup, pense-t-il, c'est toute la raison d'être de l'éthique
environnementale : préserver dans les systèmes soutenant la vie
des humains, dans leurs paysages et leurs ressources naturelles ce qui
autrement, mettrait leur survie en péril56. Ce courant va
ouvrir la voie à une conservation beaucoup plus tourné vers
l'utilitaire.
La pensée utilitariste, alimentée dans un
premier temps par Jeremy Bentham et John Stuart Mills, est une doctrine qui
prescrit d'agir ou non de manière à maximiser le bien être
global, il évalue une action uniquement en fonction de ses
conséquences. Les individus opèrent des calculs individuels en
vue de maximiser leur bien être global, en essayant de peser le pour et
le contre d'une décision, et comparent cette dernière aux
avantages et désavantages de la décision inverse. Ainsi nait la
vision utilitariste anthropocentrée de la nature, car elle cautionne
toute action dont les conséquences augmenteraient le bien-être
général, car le bien-être général se
réduit à celui de l'humanité. Le vivant se conçoit
alors comme un outil sous le joug de la technique, outil que l'on se doit de
perfectionner pour le bien de tous. La pensée utilitariste est
critiquée pour sa froideur ; car elle suggère que la fin puisse
justifier les moyens : ainsi, il serait normal de sacrifier la vie de quelques
innocents, si le sacrifice profite au plus grand nombre, comme le pense
Jean-Luc Pelletier57. L'homme ne peut sacrifier son bien être
au profit de la nature. C'est ainsi que lorsque le souci de protéger les
espèces se heurte aux intérêts vitaux de l'homme, le
discours utilitariste l'emporte toujours, parce que l'homme passe avant tout
autre chose.
54Pièrre Lascoumes, Action publique et
environnement, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p.127.
55Moore Garety Rowan, « Conservation et développement :
les nouvelles responsabilités des autorités
publiques », in Administrer l'environnement en
Afrique : gestion communautaire, conservation et
développement durable, Éditions
Karthala, Paris, 2000, p. 101.
56Antonius Maria Johannes Ten Have Henk et al.,
Éthiques de l'environnement et politique Internationale,
Éditions UNESCO, Paris, 2007, p. 51.
57Jean Louis Pelletier, Une éthique
environnementale pragmatique adaptée au contexte
québécois, Éssai présenté au Centre
universitaire de formation en environnement et développement durable en
vue de l'obtention du grade de maitre en environnement (M.Env.), Québec,
Université de Sherbrooke, 2014, p.15.
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Beatrice Parance pense qu'il ne s'agit plus simplement de
protéger les ressources naturelles, mais aussi de les utiliser en
assurant leur conservation58. C'est cette vision du rapport
harmonieux de l'homme avec la nature, qui de plus en plus, combine les besoins
de l'homme et ceux des autres espèces, justifiée par la mise en
place de cadres techniques et légaux propices à la conservation
de la diversité biologique. Mettant la problématique de la
conservation de la biodiversité au centre des enjeux de
développement durable.
G. PROBLEMATIQUE
L. Olivier, G. Bédard et J. Ferron définissent
la problématique comme «la recherche ou l'identification de ce
qui fait problème 59». C'est également
l'ensemble des questions que soulèvent un problème,
c'est-à-dire une énigme d'ordre théorique ou pratique pas
encore élucidée. Dans le même ordre d'idée, Raymond
Quivy et Luc Van Campenhoudt pensent qu'une problématique est :
« L'approche ou la perspective théorique
qu'on décide d'adopter pour traiter le problème posé par
la question de départ. C'est l'angle sous lequel les
phénomènes vont être étudiés, la
manière dont on va les interroger. 60».
Le constat de la profonde dégradation de la
diversité biologique de la planète n'est plus à discuter.
Les phénomènes de changement climatique, de disparition
d'écosystèmes entiers, les feux de brousse, etc., devraient
interpeler les décideurs des pays du bassin du Congo qui tant bien que
mal résistent encore à ces phénomènes
extrêmes. La chasse abusive, le braconnage, le commerce illicite
d'espèces en danger, l'appropriation foncière d'espaces
classés par les populations en manque de terre agricoles, la
déforestation et destruction d'écosystèmes et habitats
fauniques, et bien d'autres phénomènes similaires, sont de plus
en plus observés. Dans ce contexte sous régional précaire,
les experts de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN)
pensent que l'implication totale des populations riveraines et leur
autonomisation financière est capitale pour tout processus de
conservation durable de la biodiversité.
Comment optimiser les politiques de conservation de
la biodiversité dans le bassin du Congo ? Comment favoriser une
meilleure absorption communautaire des politiques internationales,
régionales et sous régionales de conservation de la
biodiversité au niveau des aires protégées ? Quelles sont
les opportunités de développement durable interculturel et de
soft power autour de l'écotourisme pour les États du Bassin
du Congo ?
H. HYPOTHESES
Pour Omar Aktouf, l'hypothèse est en quelques sortes
une base avancée de ce que l'on cherche à prouver. C'est la
formulation pro forma de conclusions que l'on compte tirer et que l'on va
s'efforcer de justifier et démontrer méthodiquement et
systématiquement.61En d'autres
58Béatrice Parance, et de Saint Victor, J.,
« Repenser les biens communs », Paris, Éditions CNRS,
2014, p. 225. 59Olivier Lawrence, Guy Bedard, Julie Ferron, «
L'élaboration d'une problématique de recherche: sources,
outils et méthodes », Paris, L'Harmattan, 2005, p. 24.
60Raymond Quivy, et Luc Van Campenhoudt, «
Manuel de recherche en sciences sociales », DUNOD 4éme
édition, Paris, 2011, p. 81.
61Omar Aktouf, Méthodologie des sciences
sociales et approche qualitative des organisations : une introduction à
la démarche classique et une critique, Montréal : les
presses de l'Université du Québec, 1987, p. 58.
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termes, une hypothèse se propose de trouver des
solutions à différentes sortes de questions. Elle nait à
partir d'une observation de la vie quotidienne ou de constats
opérés au cours d'une recherche. Elle permet, pour ainsi dire, de
déclarer que la réponse recherchée est probablement due
à tel ou tel autre aspect; la formulation d'une hypothèse
implique la vérification d'une théorie ou
précisément de ses propositions. Elle devra être
confirmée, infirmée ou nuancée par la confrontation des
faits. En définitive, c'est la thèse que l'auteur entend
soumettre à la communauté des chercheurs. Les questions de
recherche précédentes nous permettent donc de dégager les
hypothèses suivantes :
a. Hypothèse principale :
Comme préconisé par de nombreux rapports des
organisations internationales en charge de la conservation de la
biodiversité dans le monde, l'optimisation des politiques de
conservation de la biodiversité dans le bassin du Congo exigerait entre
autres de : Revoir les systèmes de gestion et de gouvernance des
forêts, redéfinir les méthodes et techniques de
négociation des enjeux environnementaux, réadapter le cadre
législatif et politique local, remettre les populations locales et
autochtones au coeur des mécanismes de conservation de la
biodiversité et vulgariser les bonnes pratiques internationales.
b. Hypothèses secondaires :
- L'absorption optimale des politiques internationales de
conservation de la biodiversité
passerait par une meilleure prise en compte des populations
locales et autochtones;
- Cette prise en compte de la sécurité humaine des
populations locales et autochtones en
périphérie des aires protégées
exige par exemple une analyse de la mise en oeuvre des piliers du
développement durable de manière concrète dans la
conservation de la biodiversité et aussi l'implication des piliers
culturels et technologiques ;
- L'implication réelle et efficiente des populations
autochtones dans les processus
décisionnels de conservation de la biodiversité
dans le bassin du Congo exigerait une redistribution équitable des
retombées de l'écotourisme par exemple et aussi une valorisation
modernisée des savoirs traditionnels ;
- En inspirant une politique sous régionale et
internationale de soft power autour de
l'écotourisme et du tourisme culinaire en particulier,
le parc national de Lobéké et l'État du Cameroun
pourraient apporter des solutions innovantes à la résolution des
problèmes alimentaires et sanitaires qui gravitent autour de la gestion
des parcs nationaux. Inscrivant cette zone écologique comme enjeu
géopolitique majeur à l'ère COVID-19 pour les
générations présentes et futures.
I. CONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES A. CADRE
LOGIQUE
Dans le cadre logique ou modèle théorique, il ne
s'agit pas simplement d'indiquer un champ de connaissance en y replaçant
son sujet, mais plutôt de faire état de sa propre connaissance du
champ en question et surtout, de ce qui, pris dans ce champ éclaire,
généralise, approfondit, explique, enrichit les principales
dimensions du problème que l'on
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traite. En bref il s'agit de prendre un modèle et de
l'opérationnaliser. Il est donc impératif de savoir comment
adapter les éléments de ce modèle théorique
à notre recherche. C'est suivant cette posture d'analyse que comme
théories nous avons mobilisé :
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