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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2 Les Etats face à la toxicomanie

2.1 Une réponse uniforme : l'alliance répression/soin

Face au développement du trafic de stupéfiants, les Etats ont très rapidement ressenti le besoin de normes internationales régissant le commerce et la vente des substances psychoactives. Contrairement à la démarche habituelle, les Etats ont par conséquent commencé à légiférer sur les drogues d'abord sur le plan international avant d'aborder le problème sur le plan interne193(*). En effet, en matière de drogue le danger vient avant tout de l'extérieur, c'est à dire des pays producteurs dont il s'agit de se protéger. Un ensemble de normes régule ainsi la toxicomanie au niveau international, notamment sous l'aspect du trafic de stupéfiants. La création de l'Union Européenne a permis de poursuivre la réglementation des drogues aux niveaux européens, mais surtout d'accentuer les efforts de coopération entre Etats.

2.1.1 De la répression à la coopération entre Etats

2.1.1.1 Un droit international répressif

Le droit international sur les stupéfiants est né d'un ensemble de traités internationaux et de conventions ratifiées par les pays signataires. En l'absence d'une législation internationale, les conventions fournissent l'esprit des normes que les Etats retranscrivent à l'échelle nationale sous formes de lois ; elles lient les Etats signataires à certains principes qu'ils se voient contraints de respecter. Les accords internationaux ont été pendant longtemps dominés par les préoccupations liées au narcotrafic tout en ignorant les problèmes sanitaires. Ils se sont caractérisés par une longue prédominance des intérêts prohibitionnistes194(*).

La première conférence internationale sur les drogues a lieu sur l'initiative des Etats-Unis afin d'enrayer la consommation d'opium en Chine dans un but commercial195(*). La conférence a lieu en février 1909 à Shanghai où se sont réunis treize pays. Le traité auquel aboutissent les négociateurs condamne la consommation d'opium à des fins non médicales et marque le premier texte du mouvement prohibitionniste. En janvier 1912, la première Convention dotée d'effets juridiques est adoptée. Elle porte sur l'ensemble des drogues connues et dispose d'une portée mondiale. Elle aura toutefois peu de retombées du fait que les Etats, comme la France ou l'Angleterre, qui tirent des bénéfices du commerce de stupéfiants sont majoritaires au sein de la conférence196(*).

Le rythme des conférences internationales sur les stupéfiants s'intensifie après la première guerre mondiale. Une conférence de la SDN en 1925 donne le jour à deux nouvelles Conventions internationales. Le premier texte, « la Convention du 11 février 1925 relative à la suppression du commerce et l'usage de l'opium préparé », connaît un semi-échec puisque le texte autorise la France et l'Angleterre à mettre en place un système de production et de distribution contrôlé par l'Etat. Cette convention n'est d'ailleurs pas appprouvée par les Etats-Unis, ni la Chine, favorables à une prohibition totale. Le second texte, « la convention internationale sur l'opium » du 19 février 1925, s'applique aux trois grandes drogues naturelles, l'opium, la coca et le cannabis, ainsi qu'à leurs principaux dérivés, l'héroïne, la cocaïne et le haschich. La convention impose aux signataires de fournir une évaluation de leurs besoins en stupéfiants à des fins médicales et organise un système d'importation et d'exportation sous le contrôle d'un Comité central permanent qui délivre les certificats et centralise les informations recueillies.

Trois textes sont adoptés durant l'entre-deux guerre. Les Conventions de Genève et de Bangkok de 1931 instaurent une classification des stupéfiants et un système de quotas commerciaux en fonction des besoins pharmaceutiques des pays importateurs. La Convention de Genève de 1936 accroît les dispositions répressives à l'encontre du trafic. La politique prohibitionniste des Etats-Unis ne se développe cependant qu'après la Seconde guerre mondiale. Cet essor s'explique tout d'abord par la fin des réticences françaises, dont le commerce de stupéfiants cesse d'être rentable. Le retrait progressif de la France et de l'Angleterre est bien sûr lié au processus de décolonisation qui a lieu durant l'après-guerre. La Régie générale française est d'ailleurs supprimée en 1946. Le second motif de cet élan prohibitionniste est la création de l'Organisation des Nations Unies qui va servir de support à la politique américaine. Trois protocoles sont adoptés : Lake-sucess en 1946, Paris en 1948 et New-York en 1953 qui instaure un contrôle extrêmement rigoureux envers sept pays producteurs (Bulgarie, Grèce, Inde, Iran, Turquie, URSS et Yougoslavie).

Le droit international relatif aux produits stupéfiants procède actuellement essentiellement de trois conventions internationales signées sous l'égide de l'O.N.U.197(*) : la convention unique sur les stupéfiants de 1961, la convention de 1971 sur les substances psychotropes et la convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants. La principale pièce de la législation internationale en matière de stupéfiants est signée à New-York le 30 mars 1961 par soixante-dix-sept délégations ; elle est aujourd'hui ratifiée par 149 Etats et s'applique à cent vingt plantes et substances naturelles ou synthétiques répertoriées en quatre catégories. Cette convention unique remplace les conventions antérieures. Elle réglemente l'ensemble des stupéfiants, de la production à la consommation, en passant par la distribution internationale. Elle énonce la limitation de « la production, la fabrication, l'exportation, l'importation, la distribution, le commerce, l'emploi et la détention de stupéfiants » à des fins « exclusivement médicales et scientifiques» (art. 4). En matière de traitement des toxicomanes, la convention précise que des services adéquats ne sont imposés aux Etats que si leurs ressources le leur permettent ; la prise en charge est donc laissée à la discrétion des politiques nationales.

La Convention unique est complétée par « la Convention de Vienne sur les substances psychotropes » de 1971 qui opère la classification de 111 substances d'origine industrielle ou synthétique en quatre catégories (hallucinogènes, amphétamines, barbituriques, tranquillisants). Le protocole de Genève de 1972 renforce les mesures prohibitionnistes sur la production et le trafic de stupéfiants sous les pressions américaines. Enfin, la « Convention de Vienne contre le trafic illicite de stupéfiants et de psychotropes » de 1988, ratifiée aujourd'hui par 142 Etats, constitue la dernière pierre de l'ordre répressif et prohibitionniste en contraignant chaque Etat signataire à se doter d'un dispositif pénal concernant l'achat et la détention de stupéfiants. L'article 3, paragraphe 2 contraint les Etats signataires à conférer le caractère d'infraction pénale « à la détention et à l'achat de stupéfiants destinés à la consommation personnelle ». Cette convention renforce enfin de façon considérable la coopération judiciaire et policière entre les Etats, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d'argent.

Il est important d'apporter certaines précisions en matière de normes juridiques198(*)199(*). Tout d'abord, dés lors que ces conventions ont été régulièrement ratifiées par un pays, elles ont en droit interne une autorité supérieure à celle des lois. Ce principe est affirmé en France au sein de l'article 55 de la Constitution de 1958. Cela implique que chaque nouvelle loi en matière de stupéfiants doit être conforme à l'ensemble de ces conventions internationales. Toutefois, il convient de noter que les conventions internationales sus-visées ne sont pas d'applicabilité directe en droit interne (contrairement par exemple à la Convention européenne des droits de l'homme). Cela signifie que les dispositions de ces traités ne sont pas directement applicables aux particuliers des Etats membres mais nécessitent pour cela une transposition par les autorités de chaque Etat. C'est pourquoi ces conventions rappellent que leurs dispositions pénales « ne sauraient porter atteinte à la compétence exclusive des Etats en matière répressive » ( art. 36 de la Convention Unique, art. 22.5 de la Convention de 1971 et art. 3.11 de la Convention de Vienne de 1988).

Diverses organisations internationales sont compétentes en matière de drogue et de toxicomanie200(*). L'évaluation du trafic de drogue au niveau mondial s'effectue par le biais de l'OICS (Organisation internationale de contrôle des stupéfiants. ONU) qui dresse chaque année un état du trafic à l'aide des rapports nationaux communiqués par les gouvernements. D'autre part, le PNUCID (Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues), crée en 1971 et basé à Vienne, réalise également depuis 1997 son propre rapport. L'évaluation du trafic s'effectue principalement à partir des saisies effectuées par les services de douane ou de répression du trafic de stupéfiants, bien qu'elles soient très insuffisantes. Enfin l'OMS prend en charge les aspects épidémiologiques tandis que l'UNICRIME a pour fonction les politiques de sécurité et de répression du crime. L'internationalisation du problème de la toxicomanie a eu lieu rapidement et a donné naissance à une multitude d'organisations. Ce mouvement de collaboration internationale va contribuer à inciter la mise en place d'une politique européenne.

2.1.1.2 Les politiques européennes en matière de drogues : entre répression et coopération

La collaboration en matière de drogue et de toxicomanie a été renforcée au niveau européen par certains accords au sein de l'Union Européenne201(*) qui ont donné lieu successivement à une ébauche de collaboration entre Etats et à un effort d'homogénéisation des législations et des politiques nationales.

Un premier plan d'action européen de lutte contre la drogue a été adopté en 1990 lors du Conseil européen de Rome bien que la toxicomanie ne rentrait alors pas dans les prérogatives institutionnelles de l'U.E. La Convention de Schengen de 1990 (entrée en vigueur en 1993) a tenté de répondre à la crainte que la suppression des contrôles aux frontières prévue par l'acte unique de 1986 ne se traduise par une augmentation corrélative du trafic de drogues. Ainsi cette Convention autorise chaque Etat à conserver des contrôles frontaliers lorsque « l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent ». De même, elle invite les parties signataires à prendre « toute mesure nécessaire à la prévention et à la répression du trafic illicite de stupéfiants, y compris le cannabis ». En revanche, l'article 75 de cette Convention autorise le transport de stupéfiants par les résidents d'un Etat vers un autre Etat « à des fins médicales ».

En 1993, le Traité de Maastricht sur l'Union européenne a, pour la première fois, inclus les drogues dans un accord de l'U.E. Le Traité précise, en son article 129, que l'action communautaire porte « sur la prévention des grands fléaux [...] y compris la toxicomanie ». Il détermine les objectifs spécifiques et les instruments de lutte contre la drogue sous les titres de : Santé publique, Politique étrangère et de sécurité commune, Coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Cependant, en pratique, cette disposition n'a pas de valeur contraignante au plan juridique et n'implique d'action commune qu'en matière de prévention. L'objectif de coopération en matière policière et judiciaire en matière de lutte contre le trafic de drogues a été renforcé par le Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997. Mais l'harmonisation des politiques pénales des Etats membres en la matière n'a pas encore été prévue. Les drogues semblent néanmoins faire l'objet d'un effort financier important puisque en 1996 le budget total qui leur était alloué était de 61 millions d'euros (environ 400 millions de francs202(*).

La politique de l'Union européenne en matière de lutte contre la drogue, inspirée des conventions internationales, se caractérise jusqu'à présent par une orientation nettement plus répressive que sanitaire. Elle a connu toutefois un timide changement de cap à l'occasion de la Stratégie de l'Union européenne adoptée à Helsinki en décembre 1999203(*). Les objectifs affirmés à l'occasion sont la défense des droits des toxicomanes et une approche équilibrée entre soutien aux consommateurs et réduction de la demande. Le problème de la toxicomanie est désormais perçu sous l'angle du cannabis et des nouvelles drogues, de la délinquance urbaine, des problèmes liées à la consommation de substances en matière de santé collective, de sociabilité, de criminalité et de justice. Enfin la priorité est donnée à la prévention du Sida chez les toxicomanes par une connaissance précise du problème (harmonisation des indicateurs épidémiologiques) et une mise en place et une évaluation des programmes entrepris.

Afin de pouvoir adopter une réelle perspective commune du problème, l'Union Européenne s'est dotée d'un appareil de surveillance et d'analyse des phénomènes liés aux drogues, l'Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT). L'Observatoire est né d'une proposition faite en octobre 1989 par l'ancien président français, François Mitterrand. Le 8 février 1993, le règlement européen (CEE) n° 302/93 adopté à Bruxelles, créait officiellement l'OEDT qui est devenu opérationnel au début de 1995. Il est chargé de développer des programmes de recherche sur l'épidémiologie, la prévention et la réduction de la demande204(*). En outre l'OEDT, installé à Lisbonne, coordonne un réseau de 15 centres d'information, ou Points focaux nationaux, situés dans chacun des États membres. Avec le Point focal de la Commission européenne, ces centres constituent le REITOX, Réseau Européen d'Information sur les Drogues et les Toxicomanies.

La communauté internationale a réagit dés le début du 20ème siècle au problème de la toxicomanie, essentiellement de façon répressive. Les normes internationales définies au sein des conventions et des traités ont fortement orienté les politiques publiques des Etats en matière de toxicomanie. Ainsi, même en l'absence d'une réelle coopération, les pouvoirs publics nationaux ont adopté des lignes directrices relativement homogènes.

* 193 Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.24

* .

194 «Prohibition est le terme générique qui caractérise une politique du « tout interdit », depuis la production de substances jusqu'à son usage (à l'exception, pour certaines, de l'usage médical). Elle touche actuellement une catégorie de substances définies par convention internationale : les « stupéfiants » ». Morel A.(dir.), Prévenir les toxicomanies, op.cit., p.76.

* 195 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.92 ; Rouault T., « Politiques internationales», in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.cit, p.50-55

* .

196 Cf. Butel P., L'opium, histoire d'une fascination, Paris, Perrin, 1995.

* 197 Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit

* .

198

* 199 Cf., Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit.

* 200 Rouault T., « Trafic de stupéfiants : perspectives géopolitiques et économiques », in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.cit, pp. in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.cit, p.4

* 3

201 Rouault T., « Politiques internationales», art.cit., p.53 ; Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit..

* 202 Rouault T., « Politiques internationales», art.cit., p.54.

* 203 Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , Nizzoli Umberto, Oberto Bosi (dir.), Erickson, Trento, 2001, pp.13-48.

* 204 On peut remarquer que la mise en place de l'OEDT constitue une formidable opportunité afin d'encourager l'homogénéisation des études épidémiologiques au niveau européen et de favoriser ainsi le développement des études comparatives.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King