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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.1.2 L'homogénéité des politiques publiques nationales

La législation sur les stupéfiants et le traitement de la toxicomanie ont pendant longtemps correspondu à un modèle similaire au sein des pays industrialisés. Les Etats ont d'une part adopté des mesures très restrictives et prohibitionnistes en matière de législation sur les stupéfiants qui ont conduit à une forte criminalisation du problème. Ils ont d'autre part privilégié, en terme de traitement de la toxicomanie, une approche médicalisé visant l'abstinence au détriment des conditions de vie des usagers de drogue. Les politiques publiques ont tenté de concilier deux approches contradictoires. Elles ont contribué ainsi à faire émerger la représentation sociale du « malade- délinquant » qui fut prédominante jusqu'aux années quatre-vingt.

2.1.2.1 De la prohibition à la criminalisation

La première réaction de la communauté internationale fut d'adopter un ensemble de mesures fortement prohibitionnistes visant à réprimer le trafic de drogues. Cette orientation s'est accompagnée d'un durcissement des législations nationales en matière de trafic mais surtout de consommation de drogues. Au niveau international, comme le note Piccone Stella, les Etats-Unis jouent un rôle fondamental dans la voie prohibitionniste, c'est à dire dans la volonté de durcir les sanctions pénales et administratives face à la drogue. La stratégie adoptée par les Etats Unis a bénéficié d'une extraordinaire continuité : du début du vingtième siècle jusqu'à Georges Bush ou Bill Clinton. Elle repose principalement sur l'idée de mener une « guerre face à la drogue » (war on drugs).

De nombreux pays ont adopté suivant les recommandations internationales dictées par les Etats-Unis un système législatif fortement répressif. C'est le cas de la France par exemple ou encore de l'Allemagne. La mise en place de telles législations ont aboutit à une criminalisation du toxicomane perçu dorénavant comme un criminel, une menace pour la société205(*). Cette criminalisation de la toxicomanie est un phénomène qui a parcouru l'essentiel des politiques publiques en matière de toxicomanie en Europe206(*). Celle-ci est observable par le nombre d`arrestations pour des infractions liées à la drogue qui augmente régulièrement depuis le milieu des années quatre-vingt dans l'UE : il a doublé au Danemark, en Italie, au Luxembourg et en Suède, et a été multiplié par plus de six en Belgique, en Grèce, en Espagne, au Portugal et en Finlande207(*). Cette tendance s'est accélérée ces dernières années en Italie et aux Pays-Bas. Elle peut cependant être mise en évidence de façon plus spécifique pour le cas français.

La législation française est l'une des plus sévères d'Europe208(*). En matière de trafic, elle punit le délit simple (vente de stupéfiants pour la consommation) par 5 ans de réclusion maximale et 500 000 d'amende. Le délit de trafic aggravé (acquisition, détention, transport, importation, exportation, blanchiment d'argent issu du trafic) est soumis à une peine maximale de 10 ans et de 1 MF à 50 MF d'amende. Enfin, la direction ou l'organisation de groupements est passible de la perpétuité et de 50 MF d'amende tandis que la production et la diffusion de drogues en bande organisée fait l'objet de 30 ans de réclusion et de 50 MF d'amende. Mais surtout la loi française réprime l'usage simple de stupéfiants (consommation individuelle d'une substance classée comme stupéfiant par la commission nationale des stupéfiants) par une peine allant de 2 mois à un an et de 500 F à 15000 F d'amende (art. L 628 Code de la santé publique).

La politique française de prohibition et de criminalisation de la toxicomanie n'est pas seulement observable à travers la législation en cours. Elle peut également se vérifier par l'analyse de l'indicateur des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS)209(*)209(*). Ce critère est d'autant plus valable que le relevé ILS retrace davantage l'activité des services chargés de veiller au respect de la loi et de dresser les procès-verbaux des infractions constatées que l'évolution réelle des consommations. Quatre types d'infractions sont enregistrés sous le terme d'ILS : le trafic, l'usage-revente, l'usage simple, et les autres ILS. La création de la catégorie « usage-revente » en 1988 a contribué à modifier la répartition des différentes infractions, au détriment du trafic. On s'intéressera plus particulièrement ici aux infractions impliquant l'usage, ce qui n'exclut pas que leurs auteurs puissent être à l'origine d'autres infractions210(*).

En tendance, depuis les premières années d'enregistrement des délits, deux constats peuvent être dressés : d'une part, si la proportion des ILS reste marginale par rapport à l'ensemble des crimes et délits constatés en France, la part des personnes mises en cause pour ILS n'a cessé de progresser par rapport à l'ensemble des individus verbalisés ; d'autre part les statistiques de l'OCRTIS (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) disponibles dès avant la loi, à partir de l'année 1968, indiquent jusqu'en 1996 un taux de croissance annuel moyen de 18% du nombre des ILS. Les infractions à la législation sur les stupéfiants sont par conséquent en constante augmentation depuis 1970. Elles visent avant tout les usagers de substances. Les 100 000 interpellations conduites en 2000 concernaient principalement des usagers (95 000 interpellations pour usage ou usage-revente, soit 93,5% du total).

Il est nécessaire de distinguer la part des infractions d' « usage simple » (infraction uniquement constituée par la consommation de stupéfiants) de celle des infractions pour «usage-revente» (souvent considéré comme la manifestation des ramifications nombreuses du trafic à l'échelon local). Pour l'usage simple de drogues, le nombre d'ILS a été multiplié par 10 entre 1971 et 1985, et par deux entre 1986 et 1996 (nouveau classement). Depuis 1993, le nombre des procès-verbaux dressés pour « usage simple » augmente beaucoup plus rapidement que pour « usage-revente ». Concernant les premiers, 38 189 faits avaient été constatés en 1993, 74 633 en 1998, ce qui représente un quasi-doublement (+ 95,4%). Pour les années les plus récentes, on observe une augmentation annuelle de 6% entre 1997 et 1998, et de 7,2% entre 1998 et 1999 (80 037 infractions rapportées). En 1999, la part des infractions d'usage simple dans l'ensemble des ILS est de 82% tandis que les ILS pour usage-revente représentaient un peu plus de 11% (10 367 soit diminution des effectifs de 4,5%). Concernant l'usage-revente, 7 017 faits étaient constatés en 1993 contre 10 874 en 1998, ce qui signifie que le nombre des ILS considérées s'est accrû de 55%. Les années récentes indiquent toutefois un net retournement de tendance : entre 1997 et 1998, le nombre a diminué de 11%, et de 4,5% entre 1998 et 1999. Ces chiffres permettent de supposer qu'au niveau de l'action locale, les services répressifs concentrent leur activité sur la simple consommation au détriment du trafic. Ils témoignent d'une répression accrue de l'usage de substances.

La composition des interpellations en fonction des substances souligne une large priorité accordée à la lutte contre le cannabis au détriment de l'héroïne et de la cocaïne. La proportion des ILS pour usage et revente de cannabis a fortement augmenté entre 1993 et 1998, leur nombre a ainsi été multiplié par 2,4 et elles ont quadruplé depuis 1990 en atteignant plus de 90 000 en 2000, soit plus de 90% des interpellations. Les interpellations pour usage, usage-revente ou trafic d'héroïne ne cessent de diminuer depuis le début des années quatre-vingt dix. Elles ont été divisées par trois entre 1995 et 2000 (plus de 17 000 à moins de 6 000 soit moins de 7% des interpellations), stabilisées au même chiffre qu'en 1999. Les interpellations pour usage de cocaïne, beaucoup moins nombreuses en valeur absolue, ont augmenté de 70% (environ 3 000 en 2000), elles représentent toutefois moins de 3% du total des interpellations211(*).

Les poursuites judiciaires sont en revanche nettement moins répressives. Les services judiciaires opèrent une sélection des usagers qui les conduit à ne poursuivre au titre d'usage de stupéfiants qu'une faible part des contrevenants ayant fait l'objet d'une interpellation pour ILS, avec de très grandes variations dans l'attitude des différentes juridictions. Le nombre des condamnations pour usage, stable depuis plusieurs années, reste relativement faible : pour 90 000 interpellations d'usagers en 1999, 6 700 condamnations pour usage en infraction principale ont été prononcées, dont 1 500 font l'objet d`une peine d`emprisonnement ferme et moins de 400 incarcérations effectives en 2000. Il faut là aussi distinguer l'usage « simple » où la personne mise à disposition de la Justice voit en général son sort réglé promptement : le classement sans suite pour les faits les moins importants, le classement avec rappel à la loi par un officier de police judiciaire, voire la comparution immédiate, constituent la règle. Des sources récentes indiquent un taux de poursuite des usagers interpellés de 8,4% en 1999. Pour les usagers-revendeurs, le passé judiciaire et la disposition individuelle à se plier aux demandes formulées lors de l'enquête peuvent être des éléments déterminants.

Mais c'est surtout le type d'affaire dans laquelle l'usager est mis en cause qui motive les poursuites et la peine requise. De multiples formes de classement ou d'alternatives contribuent à faire de l'usage de drogues illicites l'infraction pour laquelle l'abandon de poursuites est le plus fréquent, et les peines de prison les plus rares. Néanmoins, l'incarcération demeure possible pour un certain nombre d'usagers de drogues même en l'absence d'autres comportements délictueux. Le nombres de personnes incarcérées pour infraction principale d'usage a sensiblement baissé au cours des années 90 en passant de 1.213 en 1993 à 471 en 1995 puis a légèrement augmenté pour atteindre 577 en 1999 avant de redescendre à moins de 400 incarcérations effectives en 2000.

La législation adoptée par les pays européens n'est toutefois pas uniquement fondée sur le prohibitionnisme212(*). Plusieurs états (Suisse, Angleterre, Hollande, Espagne) en dépit des principes affirmés au sein des conventions internationales, ont adopté une attitude moins répressive et ont admis l'idée que certaines substance puissent sortirent des drogues illégales (les drogues douces) et que l'usage thérapeutique des opiacées (morphine, héroïne) puisse se monter opportun dans des circonstances déterminées. Par exemple, des médecins suisses ont déjà expérimenté l'administration contrôlée d'héroïne213(*).

Une ligne de clivage s'est progressivement constituée au regard de l'acceptation sociale des drogues entre les prohibitionnistes et les antiprohibitionnistes, c'est à dire les partisans de la légalisation (legalizers). Cette fracture idéologique a parcouru l'essentiel des débats en matière de toxicomanie. On assiste toutefois depuis une dizaine d'années à une remise en cause du clivage prohibitionniste/antiprohibitionniste qui aurait occulté les problèmes posés par la toxicomanie (en terme de santé publique par exemple) en le réduisant à une lutte idéologique. Le magistrat Livio Pepino observe que dans la pratique les frontières entre les positions prohibitionnistes et anti-prohibitionnistes se sont estompées et sont devenues perméables, elles témoignent dans l'usage d'une attention particulière aux toxicomanes plutôt qu'aux substances : « Il n'est pas fondamental d'interdire ou de ne pas interdire en abstrait : ce qui est fondamental c'est ce que font et comment sont les personnes »214(*). Le soin de la toxicomanie a ainsi été pendant très longtemps négligé en raison d'une prise de position morale et idéologique contre l'usage de drogues215(*). Le refus de la drogue a conduit inévitablement à une conception du traitement de la toxicomanie comme éradication de la maladie.

Document n°1 : Résumé des réponses de l'Union Européenne aux délits mineurs liés aux drogues

* 205 « La criminalisation recouvre deux sens. D'une part l'attribution du statut de crime à certains actes. Cela, en France, conduit leurs auteurs devant une cour d'assises où sont jugés devant un jury populaire les infraction les plus graves aux yeux de la société [...] D'autre part, dans sa seconde acception, le terme de criminalisation s'applique au processus qui fait entrer une population ou un individu dans le milieu de la délinquance, en l'occurrence ici dans celui du trafic clandestin et des délits dits « annexes » à l'usage ». Morel A.(dir.), Prévenir les toxicomanies, op.cit., p.74.

* 206 Les présentes observations sont valides pour de nombreux pays européens. Nous choisissons toutefois de prendre l'exemple du cas français du fait qu'il soit très significatif du phénomène de criminalisation de la toxicomanie mais aussi en raison d'une meilleure connaissance des spécificités françaises.

*

207 OFDT, Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, op.cit., p.22.

* 208 Rouault T., « Cadre législatif : la loi de 1970 et l'injonction thérapeutique », in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.c

* it, p.40-44

* 209 Pour plus de plus amples informations sur les infractions à la législation sur les stupéfiants : Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., 163p. Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, Rapport réalisé à la demande de Bernard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, 87p. Faugeron Claude, Kokoreff Michel, « Il n'y a pas de société sans drogues » : Un processus de normalisation ?, op.cit, p.9. Pour les données du ministère de l'Intérieur on peut se reporter à Usage et trafic de stupéfiants : statistiques 1998, OCTRIS, ministère de l'Intérieur, 1999 ;Usage et trafic de stupéfiants. Statistiques 1999, OCTRIS, ministère de l'Intérieur, 2000

* .

210 Il existe trois voies d'entrée dans les services de police ou de gendarmerie, correspondant à l'organisation des services et à l'origine de traitements différenciés des usagers. La très grande majorité des délits d'usage ou d'usage-revente résulte d'opérations de routine (le « ramassage »), dévolues à un personnel relativement peu qualifié. La seconde voie est celle du flagrant délit, réalisé plus fréquemment par un personnel qualifié : brigades anti-criminalité ou de répression du trafic illicite de stupéfiants. La troisième est celle de l'affaire de trafic. L'usager est alors appréhendé au terme d'une procédure plus large, souvent initiée par la police judiciaire. Il doit pouvoir servir de témoin, durant l'examen des faits en procès, pour réunir des éléments de preuve.

* 211 Les statistiques criminelles révèlent toutefois que l'usage de cocaïne semble supplanter celui de l'héroïne au niveau national. Cela traduit peut-être un tassement de la consommation d'héroïne dont rendrait compte également la forte diminution des ILS concernant le trafic d'héroïne. C'est le point de vue défendu par le rapport de l'OCTRIS de l'année 2000, qui insiste sur la désaffection dont l'héroïne fait globalement l'objet au profit de nouvelle formes de consommations et surtout, sous l'effet du développement de la substitution aux opiacés depuis 1996.

* 212 Pour de plus amples détails sur les dipositifs législatifs nationaux européens en matière de délits mineurs liés aux drogues on peut se reporter au schéma suivant extrait de OFDT, Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, op.cit, p.14.

* 213 L'expérience suisse de la prescription d'héroïne fera par la suite l'objet d'une réflexion spécifique.

* 214 Livio Pepino, « riduzzione dela danno e caso italiano », in O'Hare P, Newacombe R., Matthews A., Buning E. C, Drucker E., La riduzione del danno, Gruppo Abele, Turin, 1994 ; Livio Pepino, «I sentieri interrotti della riforma», in Fuoriluogo, nuova seria, anno 2, n.6, juin, 2000.

* 215 Le rapport de la commission Henrion de 1994 souligne la contradiction entre répression et soin de la toxicomanie. Il en déduit la nécessité de ne pas renter dans une application stricte de la législation en matière de stupéfiants, ainsi il « est difficile d'entrer en relation avec le toxicomane si on ne ferme pas les yeux sur l'infraction pénale que constitue l'usage, du moins à proximité des structures d'accueil ». Simon Téo explique que la prohibition constitue un frein à la politique de soin du fait que le soin est avant tout relationnel. Simon Théo, Drogues. Contre la criminalisation de l'usage ?, op.cit., p.97.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand