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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.2 La mise en place du modèle « soin/répression » dans des contextes spécifiques : la France et l'Italie

Les pays industrialisés adoptèrent dès le début du vingtième siècle des politiques publiques très similaires. Celles-ci reposaient d'une part sur une stratégie prohibitionniste visant à interdire la production et circulation de stupéfiants afin d'en limiter le trafic. Il s'agissait d'autre part de réprimer l'usage de substances afin de criminaliser les consommateurs. Cette politique fut cependant mise en place selon des modalités très distinctes entre la France et l'Italie. Tandis que le système français a bénéficié d'un champ professionnel de la toxicomanie très homogène et d'un mouvement de répression uniforme durant les années soixante-dix, le dispositif italien a connu plusieurs retournements politiques qui ont empêché l'élaboration d'une réflexion sur le long terme.

2.3.1 Un modèle répressif français uniforme

Les politiques françaises en matière de toxicomanie reposent principalement sur une logique de contrôle social. Il s'agit avant tout pour le législateur de protéger l'ensemble du corps social face à la menace que représente le toxicomane. Celui ci est ainsi perçu comme un « malade-délinquant » qui doit être soigné. La référence idéologique à la défense de la nation parcourt l'ensemble de l'histoire des politiques publiques françaises. Elle justifia par exemple l'idéal d'abstinence qui présida aux soins de la toxicomanie après la loi de 1970. Cet idéal doit être mis en relation, selon Alain Ehrenberg, avec la prégnance de la culture républicaine française selon laquelle l'Etat reste le défenseur du lien social. Une stratégie qui vise l'abstinence est légitimée du fait que le toxicomane représente un danger vis-à-vis de l'ordre social, il a besoin par conséquent d'être rééduqué et réinséré au sein du corps social226(*)226(*). La logique socio-répressive va par conséquent orienter la logique médicale, qui n'est que seconde.

2.3.1.1 La prépondérance d'une logique répressive

Comprendre l'évolution des politiques publiques en matière de toxicomanie exige de procéder à un retour sur l'évolution historique des drogues en France227(*). Un usage hédoniste des substances psychotropes se développe au début du 19ème siècle au sein des milieux littéraires. A partir du milieu du 19ème siècle, l'usage de la morphine se démocratise et se répand dans les couches les plus défavorisées. La morphine se développe de 1880 à 1890 puis l'opium au début du 20ème siècle et enfin la cocaïne s'accroît des années 1900 jusqu'aux années 1920.

Les médecins sont les principaux acteurs de la modification sociale de l'usage des drogues puisque c'est eux qui sont dans un premier temps le vecteur d'utilisation de celles ci avant d'en relever ultérieurement les effets négatifs. Chaque substance connaît donc une première phase d'utilisation avant d'être considérée comme un danger. Après observation des effets d'accoutumance sur l'organisme, les concepts d'éthérisme ou de morphinisme sont mis en place sur le modèle de l'alcoolisme établi par Magnus Huss en 1849. Une nouvelle explication fondée sur la folie (manie en grec) est apportée dans les années 1880 et une série de nouveaux termes font leur apparition afin de qualifier les phénomènes liées aux substances psychoactives : éthéromanie, cocaïnomanie, toxicomanie228(*).

L'inquiétude du corps médical face aux conduites addictives s'amplifie à partir de 1923. Un système de contrôle des stupéfiants intervient en 1948 sous l'impulsion d'un groupe de médecins de Fontainebleau. Le dispositif repose alors sur des carnets à souches d'ordonnance qui permettent une prescription limitée et non renouvelable. Ce dispositif échoue en raison de lourdeurs administratives mais surtout de l'indépendance du corps médical229(*). Malgré l'échec de ce dispositif, il est important de noter la tentative des médecins afin de conserver le contrôle sur l'usage et la distribution des drogues, en particulier celles découvertes par le corps médical. Ainsi, comme le notent Markos Zafiropoulos et Patrice Pinell, le seul mode d'usage légitimement reconnu par la société devient l'usage thérapeutique230(*)230(*). Les médecins favorisent les stratégies de « disqualification » des groupes sociaux qui utilisent ces drogues à des fins non médicales231(*).

Le problème du traitement des toxicomanes apparaît alors dans ce contexte. Déjà les spécialistes s'affrontent entre les tenants d'un arrêt brusque et les partisans d'un arrêt progressif avec utilisation de substances de substitution232(*). Toutefois, l'idée d'une impossibilité à traiter médicalement les toxicomanes semble l'emporter, c'est le triomphe du scepticisme thérapeutique233(*). L'idéologie prohibitionniste va alors influencer les priorités sanitaires : sous le poids des pressions internationales les préoccupations de santé publique qui avaient motivé les premières réglementations vont céder la place aux intérêts politiques prohibitionnistes. La législation française en matière de toxicomanie est, selon l'expression de Henry Bergeron, « le fruit d'un long glissement de préoccupations sanitaires vars des préoccupations politiques ».

La première réglementation française est une ordonnance royale du 19 juillet 1845 qui vise à contrôler le commerce des substances vénéneuses (morphine et arsenic) afin de prévenir les empoisonnements volontaires et accidentels. Cette mesure reste toutefois insuffisante à enrayer la morphinomanie et sous les pressions du corps médical, qui décrit la toxicomanie comme une cause de dégénérescence humaine et un danger social, le Comité Consultatif de l'Hygiène Publique propose des réformes réglementaires de contrôle des officines pharmaceutiques afin de limiter l'approvisionnement des substances. L'opium s'introduit au début du vingtième siècle par le biais des fonctionnaires, des administrateurs et des marins français travaillant en Indochine. Alors que le morphinomane était une victime, le toxicomane devient avec l'opium responsable de son état. Un décret est adopté le 1er octobre 1908 afin de réglementer la « vente, l'achat et l'emploi de l'opium ou de ses extraits ».

Trois propositions de loi sont déposées à la Chambre des Députés peu avant la première guerre mondiale234(*)234(*). Les deux premières tendent à réprimer la vente, la consommation et le transport de l'opium et de la cocaïne tandis que la troisième vise à « réglementer la vente des toxiques : morphine, opium, éther, cocaïne, haschich » mais elle présente surtout la particularité de soumettre les usagers à une obligation thérapeutique dans le cadre d'asiles créés à cet effet. La première guerre mondiale contribue à diaboliser les substances en présentant la cocaïne comme une arme allemande utilisée afin d'« affaiblir la race française ». Une loi relative à l'« importation, le commerce, la détention et l'usage de substances vénéneuses, notamment l'opium, la morphine et la cocaïne » est votée à l'unanimité par les parlementaires et promulguée le 12 juillet 1916. C'est dans la perspective d'une protection du corps national contre les dangers du trafic qu'est adoptée cette loi. Dans l'esprit du législateur, il s'agit avant tout de combattre « l'usage en société », pratiqué dans les fumeries d'opium mais plus souvent encore dans des appartements privés235(*). La législation soumet les stupéfiants à un régime extrêmement sévère et introduit le délit de leur usage en société (opium, morphine, cocaïne, haschich). Aucune distinction n'est établie entre l'usager et le trafiquant qui sont punis des mêmes peines (trois mois à deux ans d'emprisonnement et 1000 à 10000 francs d'amende).

Une Commission interministérielle des stupéfiants, qui deviendra la Commission des stupéfiants et des psychotropes, est instituée en 1930 en application de la Convention de Genève de 1925. Son rôle était alors de réglementer les conditions dans lesquelles devaient être stockés et utilisés les stupéfiants par les industries pharmaceutiques. La période 1916-1939 est marquée par la diffusion de nouveaux usages et pratiques illégales dans la distribution d'opiacés, et par un rajeunissement des consommateurs. La loi offre alors toujours aussi peu de réponses à la situation médicale d'individus qui échappent au système de soins (il n'existe pas encore de prise en charge spécialisée), mais qui sont très rarement condamnés par les tribunaux. Le glissement vers la figure d'un « toxicomane-délinquant » s'opère dès lors, entre les deux Guerres mondiales, et consacre la double prise en charge de l'usager par les institutions pénales et médicales.

La première loi globale en matière de stupéfiants est adoptée le 24 février 1953 sous les pressions de l'ordre médical et des instances internationales. Elle comporte un axe répressif qui aggrave les peines encourues en cas de trafic et institue l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), un organe policier chargé de centraliser les informations et de coordonner les opérations de répression du trafic. Néanmoins, pour la première fois, la loi comprend un volet sanitaire puisqu'elle énonce l'idée d'une prise en charge spécifique des toxicomanes. La loi du 24 décembre 1953 ne sera toutefois jamais mise en vigueur, le règlement d'administration publique prévu pour son application n'ayant jamais vu le jour ; le traitement de la dépendance reste assuré par les institutions psychiatriques. Malgré cette première disposition sanitaire, le problème de la drogue n'est pas perçu jusqu'à la fin des années 1960 en France comme un problème de toxicomanie ou de santé publique mais uniquement sous l'angle du trafic international236(*)236(*). Ainsi, bien avant 1970, les principes élémentaires de la législation actuelle sur les stupéfiants sont établis. La loi du 31 décembre 1970 « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses »237(*) marque une étape décisive dans l'élaboration du système français en matière de stupéfiants et de toxicomanies. Elle constitue l'aboutissement d'une logique répressive initiée au début du siècle238(*).

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* 226 Alain Ehrenberg, L'individu incertain, op.ci

* t

227 Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.20

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228 Jean Dugarin, Patrice, Nominé, « La marche des idées », art.cit., p.11

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229 François -Xavier Colle, « Historique des institutions spécialisées en toxicomanie en France », in Usage de stupéfiants. Politiques européennes,

* Maria-Luisa Cesoni (dir.), op.cit., p.42.

* 230 Markos Zafiropulos, Patrice Pinell, « Drogues, déclassements et stratégies de disqualification », Actes de la recherche en sciences sociales, n°42, avril 1982, pp.71-73

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231 On peut noter que cette « monopolisation » de l'usage légitime de substances psychoactives est similaire à la tentative opérée par les médecins anglais afin de délégitimer tout usage non thérapeutique des drogues

* . Celui ci sera explicité par la suite.

232 Anne Coppel, « Peut on soigner les toxicomanes ? Les enseignements de l'histoire », in Toxicomanies, Hépatites, SIDA, Jean-Marie Gruffens (dir.), pp.43-47

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233 Jean De Munck, « La consommation de drogues dans le conflit des normes », in Communications, n°62, 1996, p.31

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* 234 Simmat-Durand Laurence, Rouault Thomas, Injonction thérapeutique et autres obligations de soins, 28p et Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.32

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235 Cf., Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit

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* 236 Simmat-Durand Laurence, Rouault Thomas, Injonction thérapeutique et autres obligations de soins, op.cit.

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237 Loi n°70.1320 du 31 décembre 1970, JO du 2 janvier 1971

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238 La commission Henrion de 1995 a qualifié cette loi de « pièce maîtresse dans l'effort d'endiguement dans [...] la dissolution des moeurs et [du] danger social »

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand