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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.3.1.2 La loi du 31 décembre 1970  ou l'aboutissement du modèle répressif

« La loi de 1970 est, sans aucun doute, l'acte fondateur d'une philosophie politique d'action qui place au coeur de sa démarche, la guerre contre la drogue, contre ceux qui l'importent et qui la vendent, et qui fait du simple consommateur un hors-la-loi »

Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Histoire d'une singularité française

La loi de 1970 intervient dans un contexte social particulier : la France assiste durant la fin des années soixante à une modification des habitudes de consommation par un rajeunissement des usagers de substances qui revendiquent le prise de drogue comme mode de vie239(*)239(*). A travers la loi de décembre 1970 c'est une vaste opération de «re-moralisation» de la société qui est entreprise par la classe politique française en réponse à Mai 1968240(*).

Le texte du 31 décembre 1970 délimite, ensemble au décret du 29 décembre 1988, le régime français applicable aux stupéfiants qui est fixé par les articles L.627 à L.630-3 et R.5171 à R.5182 du Code de la santé publique. Il comporte, en premier lieu, un volet répressif qui sanctionne le trafic, l'usage et la détention de stupéfiants ; le législateur prévoit des mesures, comme c'est le cas pour le délai de garde à vue ou encore pour les perquisitions, relevant du droit d'exception c'est à dire hors du droit commun. Le trafic de stupéfiants est passible d'une peine de 20 d'emprisonnement et d'une amende de 50 millions de francs241(*).

La particularité de la loi de 1970 est d'instituer la pénalisation de l'usage. Elle considère l'usager de stupéfiants comme un sujet de droit pénal. Ainsi « ceux qui auront, de manière illicite, fait usage de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » sont passibles de deux mois à un an d'emprisonnement et de 500 francs à 1500 francs d'amende ». La loi n'opère aucune distinction de nature entre les substances consommées, pas plus qu'elle ne prend en compte le degré de dépendance de l'usager à la substance. Cette loi s'inspire directement d'une conception prohibitionniste et répressive des drogues.

Le second objectif du législateur était de réprimer toute publicité en faveur de la consommation de stupéfiants. La présentation sous un jour favorable d'un stupéfiant (qui est perçue comme une incitation à la consommation) est en effet passible de 5 ans de réclusion et de 500.000 FF d'amende au titre de l'article L630 de la loi du 31 décembre 1970242(*). Outre le volet répressif de la loi de 1970, le législateur ouvre un volet sanitaire en affirmant comme principe que « toute personne usant des produits classés comme stupéfiants est placée sous la surveillance de l'autorité sanitaire »243(*)243(*). La loi institue notamment le principe de l'injonction thérapeutique qui offre une alternative au toxicomane entre les poursuites judiciaires et le commencement d'un programme thérapeutique244(*).

La loi de 1970 constitue un exemple du modèle des politiques publiques qui tentent de concilier la criminalisation et le soin des toxicomanes. Elle est avant tout le résultat d'un compromis entre des aspirations antagonistes : « la loi du 31 décembre 1970 cherche à établir, en ce qui concerne l'usage de stupéfiants, un compromis entre pénalisation et traitement, en associant l'injonction thérapeutique et une sanction pénale ».245(*) L'un des points faibles de la loi de 1970 est toutefois son manque de cohérence et de clarté. Elle ne définit pas par exemple le terme de toxicomane auquel elle se réfère pourtant dans le titre de la loi246(*). Ces ambiguïtés se sont traduites par un nombre excessif de circulaires émises par les ministères de la Justice, de la Santé et de l'Intérieur : en 30 ans d'application, près de 500 circulaires ont été recensées. Elles illustrent les difficultés d'application qu'a rencontrées la loi247(*).

D'autres lois font suite à celle de 1970 et accentuent la lutte contre le trafic et contre la consommation. La loi du 17 janvier 1987 crée la catégorie de l'« usager revendeur » qui ne sera pris en compte dans les statistiques criminelles de l'OCRTIS qu'à partir de 1996. La loi de décembre 1987 renforce la lutte contre le grand trafic, la procédure est alignée en 1994 à celle qui est appliquée contre le terrorisme. La loi de 1996 fait de l'incitation des mineurs à la consommation un délit et permet aux associations de se constituer partie civile. Enfin, la législation des stupéfiants est rattachée en 1994 au nouveau Code pénal, à l'exception des délits d'usage qui relèvent du Code de la santé publique.

La politique française en matière de toxicomanie se caractérise en définitive par une forte continuité. La logique sociale répressive qui vise à protéger le corps social des toxicomanes, perçus comme des délinquants, reste prédominante sur la logique médicale. Mieux encore, c'est cette même logique sociale qui est à l'origine de la prise en charge sanitaire des toxicomanes, conçue comme un endiguement. La politique italienne se fonde sur la même considération sociale-répressive de la toxicomanie. Elle ne bénéficie pas en revanche de la même permanence en raison du modèle de politique publique qui s'est développé en Italie.

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* Henrion Roger, Rapport de la Commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, Paris, ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, La Documentation française, 1995, 156p.

239 L'élément déclencheur du sursaut législatif serait selon Henri Bergeron le « drame de Bandol » : une adolescente est trouvée morte par overdose au cours de l'été 1969. Le fait divers se transforme en tragédie nationale sous l'influence des médias et un sentiment de panique s'empare aussi bien de l'opinion publique que de la classe politique. Cf, Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Histoire d'une singularité française, op.cit., p.2

* 4

240 Ainsi, à cette même époque une série de lois vient renforcer l'arsenal législatif répressif. On peut citer la  loi du 4 juillet 1970, dite loi « anticasseurs », qui permet de faire condamner les organisateurs de rassemblements interdits ayant donné lieu à des actes de violence, la loi sur les libertés individuelles du 17 juillet 1970 qui renforce le principe de la garde à vue et de la détention préventive et qui permet aux juges de soumettre un prévenu au contrôle judiciaire pour une durée de 4 mois, ou encore la loi de juin 1971 qui restreint la loi de 1901 sur le droit d'association. Cf., Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.36

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241 Art. 222-35 du Nouveau Code Péna

* l

242 On peut noter que certaines associations telle que CIRC (Collectif d'Informations et de Recherches Cannabiques) ont fait l'objet de plusieurs condamnations à ce titre. L'association CAL 70 (Collectif pour l'Abrogation de la Loi de 70), en outre, a été constituée pour abroger l'article L. 630 et constitue plus généralement une critique de toute la loi de 1970. Simon Théo, Drogues. Contre la criminalisation de l'usage ?, op.cit., p.120

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* 243 Art.355 du Code de la Santé publiqu

* e

244 L'injonction thérapeutique a constitué l'un des éléments clef de la politique française en matière de toxicomanie. Elle fera par la suite l'objet d'une réflexion particulière.

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245 Bisiou Yann, « Le cadre légal français », in La demande sociale de drogues, Albert Ogien, Patrick Mignon, op.cit., p.183

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246 Eve Dussausaye insiste sur l'importance de la définition du problème en matière de politiques publiques : « Une part importante de la dynamique des politiques publiques se joue au moment de la définition du problème qui nécessite une intervention des autorités publiques. Définir le problème, c'est déjà en cerner les contours, en saisir les enjeux et, par la même, peser sur les réponses qui y seront apportées » Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.4

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247 Dussausaye E., Politiques publiques de soins en matière de toxicomanie, op.cit., p.4

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams