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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.3.2 L'inconstance des politiques italiennes en matière de toxicomanie

La compréhension de la politique qui a été mis en place en Italie rend nécessaire une réflexion sur le modèle de politique publique italien. Il est difficile, comme le rappelle Bruno Dente, de parler d'un style particulier (policy style) correspondant aux politiques publiques italiennes248(*)248(*). Elles se singularisent en revanche par deux traits importants. Le premier est le caractère consensuel des interactions entre les différents acteurs, du fait que les institutions politico-administratives ne sont pas en mesure d'imposer des normes aux groupes d'intérêts organisés. Dario Rei explique cet affaiblissement de la figure de l'Etat par une légitimation sociale insuffisante et un sociétarisme-associationnisme qui s'exprime à travers une méfiance vis-à-vis des institutions et des acteurs de la politique étatique. Cette observation serait d'autant plus valable pour les politiques sanitaires italiennes qui correspondent, selon Elena Granaglia, à l'archétype de la policy community ou de l'issue network249(*). Ce modèle se caractérise par la recherche d'un consensus impossible du fait de fortes divergences entre les intérêts exprimés par les acteurs.

La seconde caractéristique est l'orientation vers la nature réactive des décisions à l'inverse d'un modèle de l'anticipation. Rei Dario estime que « la capacité d'anticiper les problèmes est absente de presque toutes les politiques envisagées »250(*). Les décisions publiques italiennes sont souvent dotées d'un fort caractère d'urgence, voire de dramatisation. Cette difficulté est liée, selon Bruno Dente, à l'absence d'une forte bureaucratie organisée, incapable de mettre à l'ordre du jour de l'agenda public les priorités nationales251(*). C'est dans ce cadre de l'action publique que vont prendre place les politiques italiennes en matière de toxicomanie.

2.3.2.1 Une législation progressiste motivée par une exigence de contrôle social

La prise en charge de la toxicomanie en Italie doit être replacée dans le contexte de la social-démocratie qui se caractérise par des valeurs solidaristes mais aussi par la tendance au contrôle social de la personne à travers le cadre délimité par les institutions. Ces deux principes servent de fondement au traitement répressif de la toxicomanie. On peut par exemple remarquer que les défenseurs d'une politique punitive se référent de façon paradoxale à l'idée de solidarité vis-à-vis du toxicomane. Comment passe t-on de la représentation du toxicomane comme criminel à celle de la solidarité ?

Grazia Zuffa rend compte de ce glissement sémantique par l'idée du toxicomane comme personne « dangereuse pour soi même »252(*). A l'image du drogué criminel se superpose celle du malade mental dénué de l'exercice de ses droits. Ce « solidarisme autoritaire », comme l'appelle Grazia Zuffa n'est pas seulement l'apanage des conservateurs catholiques mais représente également l'état d'esprit d'une gauche qui se souhaite plus proche du centre253(*). Le toxicomane, comme le rappelle Orsenigo, représentait dans l'Italie des années soixante-dix la catégorie déviante par excellence qui était résumée à une simple question sanitaire254(*). La médicalisation de la toxicomanie était avant tout un instrument de contrôle social, que décrivent Scannagatta et Noventa :

« Médicaliser la déviance et certains de ses aspects particuliers peut devenir un excellent moyen afin de généraliser le problème à une intervention de contrôle étendue et simultanément à une tentative de classification d'une série de sujets sociaux qui provoquent de la délinquance du fait qu'ils sont malades [...] A travers cette modification du modèle de contrôle social il est possible de rejoindre plusieurs objectifs avec une seule manoeuvre : on substitue les systèmes de référence du concept de peine avec celui de soin, on élargit la catégorie des possibles « malades », on multiplie l'intervention médicale au sein de la société, on élargit le contrôle social en rejoignant l'idéologie, fausse, des soins et du bien- être social. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de reconsidérer la drogue et les situations voisines en terme de transformation d'un système de contrôle »255(*)255(*)

La création d'un service de soin spécifique à la toxicomanie répondait ainsi plus au besoin de classifier et contrôler que d'apporter réellement un soin. Les médecins et psychologues ont été restreint à un rôle de contrôle social (Orsenigo parle de « fonction gestionnaire »)256(*). Le personnel des services sanitaires a d'ailleurs toujours bénéficié d'une faible formation et d'une moindre motivation en matière de toxicomanie. Une absence de culture spécifique au traitement de la toxicomanie a encouragé à reproduire les préjugés sociétaux. Le soin des toxicomanes a été délégué au « privé social » à travers le financement de structures privées, telles que les communautés thérapeutiques, au détriment des services sanitaires. Le traitement de la toxicomanie en Italie a correspondu pendant longtemps à une forte délégation au secteur privé et non professionnalisé.

La législation italienne en matière de toxicomanie fut nettement avant-gardiste en comparaison des autres législations européennes257(*). En 1975 est approuvée la loi 685 (« Disciplina degli stupefacenti e sulla prevenzione, cura e riabilitazione dei relativi stati di tossicodipendenze »), qui présente de nombreuses innovations, en substitution de celle de 1954 qui était totalement prohibitionniste. Ce texte était inséré d'une part dans un processus général de réformes institutionnelles (pénitentiaire, sanitaire, psychiatrique, décentralisation administrative, etc.) des années soixante-dix, et d'autre part dans un mouvement de modernisation de la société qui inscrit dans la loi la libéralisation des moeurs, l'émancipation des femmes, le droit au divorce et à l'avortement. La L.685 soustrait le toxicomane du droit pénal en le considérant aussi bien comme une victime qu'un malade nécessitant d'être soigné. Le toxicomane passa du statut de déviant à celui de malade. Toutefois, cette loi mit en avant une excessive médicalisation du toxicomane en négligeant ainsi les interventions à caractère socio-réhabilitatif258(*).

Le texte de 1975 présente de nombreuses innovations juridiques en faveur des toxicomanes259(*)259(*). Il introduit une distinction entre vente et consommation, entre drogues douces et drogues dures, et entre petits vendeurs et trafiquants. La possession de drogues en « quantités modestes » enclenche des sanctions administratives, les personnes arrêtées sont signalées aux centres de soins spécialisés qui leur proposent un programme de désintoxication. Les « petits vendeurs » sont passibles d'une peine d'emprisonnement à laquelle peut se substituer un traitement en centre d'accueil.

Le législateur prévoit également le développement des actions préventives par le biais des Comitati Regionali per la Prevenzione delle Tossicodipendenze, des Regioni et des Enti locali ou Structures locales. La loi de 1975 ne détermine pas en revanche l'organisation des structures thérapeutiques qui aura lieu en 1978 lors de la réforme générale du système de santé. Par la suite, la loi 689 de 1981 («Modifications du système pénal») poursuit la perspective anti-prohibitionniste. Elle introduit une dépénalisation en limitant les sanctions administratives pécuniaires et prohibitives et établit des peines de substitution aux périodes de détention de courte durée260(*). Cette législation présente à l'époque de nombreuses nouveautés en comparaison avec les pays voisins (Allemagne, France, Espagne). Elle va toutefois faire l'objet d'une remise en cause à la fin des années quatre-vingt dans la situation d'urgence sanitaire que l'épidémie de Sida impose.

* 2.

* 248 Dente Bruno, « Le politiche pubbliche in Italia. Introduzione », in Dente Bruno, Le politiche pubbliche in Italia, Bologna, Il Mulino, 1990, pp.3-49.

* 249 Granaglia Elena, « La politica sanitaria », in Dente Bruno, Le politiche pubbliche in Italia, Bologna, Il Mulino, 1990, pp.367-381.

* 250 Rei Dario, Servizi Sociali e politiche pubbliche, Nuova Italia Scientifica, 1994, p.187.

* 251 Dente Bruno, « Le politiche pubbliche in Italia. Introduzione », art.cit.

* 252 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.10

* 0.

253 Il est nécessaire de rappeler que le système politique italien d'après-guerre a été fortement bipolarisé entre le Partito communista italiano (PCI) et une coalition centriste regroupée autour de la Democrazia Cristiana (DC). Celle-ci s'est maintenue au pouvoir de façon quasi-ininterrompue jusqu'au début des années quatre-vingt-dix.

* 254 Marco Orsenigo, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicodipendenti, op.cit., p.15

* 8.

* 255 S. Scannagatta, A. Noventa, Droga e controllo sociale. Aspetti sociologici e documentazione legislativa, Liviana Università, Padova, 1986, p.66

* .

256 Orsenigo Marco, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicodipendenti, op.cit., p.47.

* 257 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.c

* it., p.68.

258 Baraldi C., Rossi.E, « Les politiques de prévention », art.cit., p.8

* 5.

* 259 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.122

* .

260 Campedelli Massimo, Tossicodipendenza : punire un'allusione ?, op.cit, p.87-88

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille