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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.1.2.2 L'autonomisation du système autour de la référence de la psychanalyse

Les années quatre-vingt marquent la rationalisation des pratiques thérapeutiques en matière de toxicomanie. Les cliniciens tentent de théoriser un savoir acquis par l'expérience au contact de la population toxicomane. Tandis que Claude Olievenstein tente de démontrer qu'il existe une structure psychique spécifique au toxicomane et distincte des autres structures psychiques (névrose, psychose, perversion), un consensus s'établit au sein du corps médical autour de Bergeret, responsable du Centre national de documentation sur les toxicomanies (CNDT), qui réfute l'existence d'une structure psychique propre à la toxicomanie. La toxicomanie est entendue dès lors comme un symptôme d'une souffrance psychique remontant à l'enfance qui est l'objet de la thérapie. La psychothérapie individuelle qui avait été envisagée dans les années 1975 et 1976 se généralise au début des années quatre-vingt jusqu'à devenir le principal outil thérapeutique. Ainsi, l'on peut affirmer selon le mot d'une psychanalyste, Hugo Fréda, que « c'est le toxicomane qui fait la drogue » et non l'inverse. Cela revient à dire que « c'est dans l'intériorité du sujet que se trouvent les réponses au pourquoi une substance devient l'objet unique de satisfaction, le substitut à tous les manques originels »717(*). Le sujet est reconnu désormais comme pleinement responsable de son comportement. C'est ce qui explique en partie le fait que le dispositif thérapeutique mis en place soit très sélectif. La prise en charge des toxicomanes repose sur la « demande authentique du sujet » et vise uniquement à l'abstinence. En effet, tandis que les éducateurs de rue travaillaient auparavant à partir de la rencontre des toxicomanes, l'accès aux toxicomanes ne figure plus parmi les priorités des centres de soins spécialisés.

Le dispositif institutionnel de la toxicomanie, qui s'était auparavant fondé sur une mise en équivalence des identités professionnelles, va alors se spécifier sous l'émergence de la psychanalyse. La création de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie (ANIT) en 1980 est révélatrice de l'émergence d'une identité professionnelle commune aux thérapeutes. De façon simultanée, les lieux de documentation et d'information vont se multiplier participant ainsi à la scientificité et à la crédibilisation des intervenants en toxicomanie. Les psychologues et les psychiatres jouent désormais le principal rôle thérapeutique au sein des centres spécialisés. Les éducateurs spécialisés et les assistantes sociales sont relégués à un travail de soutien ponctuel tandis que les psychothérapeutes établissent une thérapie sur le long terme. En 1991, 76% des structures spécialisées comptaient au moins un psychologue, 69% un éducateur spécialisé et 46% une assistante sociale718(*)718(*). Enfin, 63% des centres comportaient un médecin psychiatre contre seulement 22% pour un médecin généraliste.

On assiste parallèlement à une forte centralisation du dispositif de soin. La gestion et le financement du dispositif de soins en matière de toxicomanie avaient auparavant lieu au niveau local (Conseils généraux) ce qui entraînait de fortes disparités géographiques en termes de dotation des ressources. La loi de décentralisation de 1982 permit l'inauguration d'une véritable politique nationale de toxicomanie et d'une meilleure réparation des ressources. L'allocation des ressources fut désormais assurée par le ministère de la Santé par le biais des DDASS. La diminution du budget alloué aux centres spécialisés (250 millions de francs en 1984, dont 170 millions au secteur spécialisé, chiffre qui augmente à 435 millions en 1990719(*)) amène les institutions à être en compétition entre elles au sein d'un même département. Henri Bergeron écrit, à ce propose, que « cette centralisation a une conséquence remarquable ; sous son effet, la dynamique d'établissement et de gestion de l'ensemble institutionnel répond à une autre logique : on passe de l'inflation expérimentale départementalisée à la centralisation rationalisatrice économe »720(*)720(*).

La gestion du dispositif institutionnel est répartie entre la Direction Générale Sanitaire (DGS) et la Direction de l'action sociale (DDAS). Mais une concurrence a lieu entre les deux institutions et, dans un objectif de rationalisation, la DGS devient le principal acteur décisionnel notamment en matière de stratégie financière. Les relations s'effectuent alors de plus en plus directement entre les centres spécialisés et la DGS, où siègent des intervenants de la toxicomanie, sans avoir recours aux DDASS qui se trouvent « court-circuitées » du dispositif et deviennent des acteurs secondaires de la toxicomanie. La politique publique en matière de toxicomanie se trouve alors réduite à l'intervention d'une petite équipe de fonctionnaires siégeant à la DGS. Henri Bergeron parle d'un couple autonome DGS/intervenants en toxicomanie qui impose une autorité administrative et professionnelle.

Ce couple « a pu s'enfermer ensemble dans une définition restrictive de la réalité toxicomaniaque et de ce que devait être, en conséquence, la politique publique de soins aux toxicomanes : un paradigme aux origines composites (psychanalyse, idées soixante-huitardes et contre-asilaires) va s'installer comme socle théorique référentiel dont vont s'alimenter progressivement la plupart de ces acteurs pour développer une expertise - comprise au sens d'un ensemble de règles, normes, pratiques de travail et positions déontologiques- face aux problèmes posés par la toxicomanie »721(*)

On assiste à une homogénéisation des normes qui régissent le dispositif de la toxicomanie et « l'Etat est donc, dans cette dynamique qui l'unit aux structures spécialisées, l'agent d'une « normalisation » des projets »722(*). Les projets non conformes aux normes reconnues par le couple DGS/professionnels sont systématiquement refusés. C'est le cas par exemple d'un projet de Médecins du monde (MDM) qui fait, en 1988, une demande d'ouverture de centre de méthadone et qui se voit opposer un refus. Le fonctionnement du système de toxicomanie rend impossible toute innovation et encore moins l'intervention d'acteurs extérieurs au secteur, notamment des collectivités locales.

« Quand se construit un consensus entre ceux qui ont la charge technique de mettre en oeuvre cette politique et ceux qui la financent et l'évaluent, il y a de fortes chances que ces mêmes acteurs persévèrent, chaque jour davantage, dans la voie qu'ils se sont tracée [...] le système ainsi constitué devient progressivement autonome »723(*)723(*).

Un champ spécialisé autonome s'est progressivement formé en France en matière de toxicomanie. Ce processus initié à partir du début des années soixante-dix, s'est théorisé au tournant des années quatre-vingt autour de la psychanalyse qui est devenue le principe explicatif de la toxicomanie et la toile de fond du système de soin. Les années quatre-vingt ont marqué l'autonomisation et la rationalisation des pratiques et du dispositif de soin. La définition des politiques en matière de toxicomanie ont ainsi davantage reflété l'idéologie et les croyances du milieu professionnel que les préoccupations d'ordre sanitaire et social.

L'épidémie de VIH/Sida remet en cause, à la fin des années quatre-vingt, les positions prédominantes dans le secteur de la toxicomanie. Le système français oppose toutefois des résistances, par peur d'être déstabilisé. Les linéaments d'une véritable politique publique apparaît en matière de toxicomanie au cours des années quatre-vingt-dix. Une évaluation des politiques publiques en matière de toxicomanie se met en place dès 1992, alors qu'elle avait été presque inexistante jusqu'alors.

Le consensus sur lequel reposait la domination des professionnels est mis à mal avec l'introduction de la réduction des risques. Celle ci va à l'encontre des principaux dogmes qui réglait le soin des toxicomanes. Les conceptions françaises vont désormais être l'objet de virulents débats, à mesure que s'élargit la palette de l'offre thérapeutique, auparavant très restreinte. Le système italien se caractérise, à l'inverse du dispositif français, par une très forte hétérogénéité des conceptions et des structures thérapeutiques. Les politiques publiques italiennes aboutissent, en l'absence d'un consensus entre les acteurs, à déléguer la mise en place du soin aux structures locales et notamment au « privé-social ».

* re d'une singularité française, op.cit, p.93.

717 Alain Morel, Le système de soins français et la p

* harmacothérapies. Histoire et actualité, op.cit., p.43.

* 718 Institut français de démoscopie, cité par Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Histoir

* e d'une singularité française, op.cit, p.143.

719 Circulaire DGS/106/2D du 22 février 1984. Denis Richard, Jean Louis Sénon, Dictionnaire des drogues, des tox

* icomanies, et des dépendances, op.cit., p.239.

* 720 Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Hist

* oire d'une singularité française, op.cit,.170.

721 Henri Bergeron, « Politiques publiques et croyances collectives. Analyse socio-historique de la politique française de soins aux toxicomanes de 1970 à 1995 », Déviance e

* t société, vol.23, n°2, juin 1999, pp.131-147.

722 Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Histoire d'une singularité française, op.ci137.

*

* 723 Henri Bergeron,

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo