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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.1.3.2 Un dispositif de prise en charge de la toxicomanie diversifié mais fragmenté

La mise en place des politiques publiques en matière de toxicomanie relève du Comitato Nazionale di lotta alle tossicodipendenze qui est rattaché directement au président du Conseil qui en assure la présidence, le comité regroupe l'ensemble des ministres concernés par le problème de la toxicomanie734(*)734(*). La définition des politiques se réalise donc à un niveau très centralisé.

La prise en charge des toxicomanes par le Servizio Sanitario Nazionale italien est réglementé par le Test Unique de loi en matière de stupéfiants et substances psychotropes, prévention, soin et réhabilitation des différents états de toxicomanie (D.PR 309/90), né de la loi Jervolino-Vassali et partiellement modifié par la loi n.45 du 18 février 1999. La législation prévoit une augmentation des ressources financières accordées aux projets de lutte contre la drogue qui s'élève à prés de 150 milliards de lires/ 750 millions d'euro par an735(*). Il est établit que 25% de ce fond est attribué aux établissements publics afin de réaliser des projets expérimentaux qui sont coordonnés par le Département des Affaires Sociales tandis que les 75% restant sont attribués aux Régions pour financer des projets triennaux centrés sur la prévention, la récupération et la réinsertion sociale de personnes atteintes de problèmes de toxicomanie ou d'alcoolisme. On observe d'une part une forte décentralisation des projets (qui doivent toutefois répondre aux normes édictées au niveau national) et une rationalisation de la gestion des centres de toxicomanie. Il s'agit d'apporter des prestations et des services efficaces de façon à répondre aux objectifs.

La nouvelle législation italienne apporte un second changement considérable. Elle ne considère plus la toxicomanie comme un problème exclusivement pathologique mais de tutelle de la santé en général736(*). Le problème de la toxicomanie est replacé dans le contexte d'une crise du welfare c'est à dire du système de protection social et de l'ensemble des prestations destinées à enlever les causes du malaise et à construire les conditions normales du bien-être. Le bien-être exige un ensemble de relations sociales, un sentiment d'appartenance à une communauté, la reconnaissance d'une identité spécifique. Ces principes sont d'autant plus valables pour la réhabilitation des toxicomanes. Ainsi, sans une intégration sociale, de relations quotidiennes, la reconnaissance d'une identité socialement acceptée, une relation de responsabilisation, il est très difficile d'envisager un processus de prévention ou de traitement de la toxicomanie.

Le dispositif de soin de la toxicomanie est particulièrement développé en Italie. Il se caractérise avant tout par une grande diversité d'acteurs : communautés thérapeutiques privées, services publics spécialisés, etc. On dénombre en Italie en 1997 un total de 1.900 services pour 117 000 patients pour un potentiel évalué entre 150 000 et 200 000 toxicomanes737(*)737(*). Le niveau de prise en charge générale a cependant fortement évolué738(*). Au 31 mars 1993, on comptabilisait 560 Sert, 1195 structures privées dont 649 communautés (auxquelles on ajoute 318 centres de premier accueil, 228 centres de réinsertion)739(*). Comme le remarque, Simonetta Piccone Stella, l'ensemble des moyens mis à disposition pour lutter contre la toxicomanie est remarquable s'il est mis en comparaison avec le budget alloué à d'autres services sociaux tels que les handicapés mentaux ou les « sans domicile fixe ». En revanche la dotation territoriale des infrastructures compétentes en matière de toxicomanie est assez inégale. Alors que les services publics sont répartis de façon équilibrée au sein du territoire italien, les structures de réhabilitation, résidentielles ou d'accueil sont principalement concentrés dans le Nord740(*).

Simonetta Piccone Stella rend compte d'une telle diversité de services par le manque d'intervention des pouvoirs publics italiens qui sont demeurés pendant longtemps en retrait741(*). Les initiatives privées ont largement précédé les politiques sociales mises en place par l'Etat en faveur de la prévention de la toxicomanie. Ce champ social est resté vide pendant de nombreuses années de toutes initiatives publiques coordonnées ou encore du moindre financement. Le corps médical, et encore moins l'Etat, n'ont pas pris en considération la question de la toxicomanie. Alors que la consommation de substances a explosé durant les années soixante-dix, aucun service d'aide, aucune plan de prévention n'ont été mis en place. Le phénomène malgré sa visibilité (morts par overdoses, familles en détresse, banlieues très touchées) est resté sans conséquences. Les premiers toxicomanes furent alors pris en charge par des religieux et des volontaires catholiques en tant que « nouveaux pauvres ».

Les Sert, les Servizi d'assistenza ai tossicodipendenti, services publics spécialisés sont rattachés aux Unità sanitarie locale (USL) ou parfois à des services hospitaliers. Ils disposent d'une autonomie relativement grande et jouent le rôle de coordinateur local. La prise en charge effectuée au sein des Sert est en revanche très spécifique puisqu'elle correspond presque uniquement aux utilisateurs de drogues dures742(*). En 1997, 86,7% des personnes fréquentant les Sert étaient des consommateurs d'héroïne, contre 91,9% en 1990. D'où une trop grande orientation des services de prise en charge des toxicomanes qui s'avèrent inadaptés aux autres types de consommation.

Parallèlement aux structures publiques, on assiste au développement des structures privées, et notamment des communautés résidentielles thérapeutiques, qui ont pour ambition d'offrir l'opportunité d'un « véritable milieu de vie et une réinsertion sociale et professionnelle »743(*). Celles ci connaissent un essor considérable durant les années quatre-vingt744(*). Leur progression a été relancé au début des années quatre-vingt-dix par la loi Jervolino-Vassali qui leur accorde une large priorité745(*). La progression des communautés est ainsi quasi-ininterrompue. On en compte 361 à la fin des années quatre-vingt, dont les deux tiers étaient liées aux organisations catholiques, puis 649 au 31 mars 1993. Enfin, on dénombrait 822 communautés en 1997. Bien que la plupart soient privées et à but non lucratif, on dénombre 50 communautés résidentielles publiques. La dotation en terme de structures entre le secteur privé et public est relativement équilibrée. En revanche le nombre de toxicomanes pris en charge est inégal, au détriment des communautés thérapeutiques. En 1997, sur les 117 000 toxicomanes pris en charge au niveau national, 94.955 étaient sous traitement au sein des services publics, (soit 81,7%), tandis que 22.176 se trouvaient en communautés privées (19%)746(*).

Le niveau d'efficacité thérapeutique entre le système privé et public présente selon les enquêtes peu de différences puisque dans les deux cas un tiers des toxicomanes mènent leur traitement à terme. La coupure du dispositif italien de prise en charge de la toxicomanie se traduit en revanche par la différence des méthodes utilisées. Les centres privés refusent le plus souvent le recours à la méthadone, bien qu'elle soit autorisée par la loi de 1975, au profit d'une thérapie de type « environnementale »747(*). A l'inverse, les centres publics ont recours massivement à la méthadone mais s'en détournent vers le milieu des années 80 en faveur d'une approche psyho-sociale démédicalisée.

La composition des équipes thérapeutiques reflète de façon significative ces différences méthodologiques : tandis que le personnel des structures publiques est avant tout médical (médecins, épidémiologiste, toxicologistes, psychiatres, etc.), celui des communautés renvoie essentiellement au monde social (animateurs, éducateurs, assistants sociaux, etc.). Riccardo Gatti remarque toutefois que les psychiatres sont très peu nombreux au sein des services publics italiens de traitement de la toxicomanie748(*). Il explique cet état de fait par un désintérêt des spécialistes pour la toxicomanie mais surtout par l'idéologie de la « non-médicalisation » et de la « non-psychiatrisation » de la toxicomanie. La loi 162/90 a néanmoins provoqué un changement en introduisant la psychiatrie comme l'une des spécialités pour l'accès aux postes de dirigeants de Sert749(*).

Les communautés thérapeutiques résidentielles ne sont pas nées au sein d'un plan coordonné d'action publique mais au dehors de tout cadre normatif et financier institué par l'Etat. Il a découlé de cette origine, une séparation entre les organismes publics et les communautés thérapeutiques qui s'est manifestée dans une faible coopération et la naissance de cultures thérapeutiques et d'intervention distinctes750(*). Les différences idéologiques qui opposent les services publics et les structures privées posent en effet, comme le rappellent Umberto Nizzoli, un problème de coordination entre les deux pôles751(*). Les pouvoirs publics ont tenté d'y remédier par la loi Jervolino-Vassali en facilitant la collaboration entre les deux secteurs752(*). On peut noter, la solution originale adoptée par la Région de l'Emilie Romagne afin de résoudre ce problème. Elle a institué dans chaque Azienda sanitaria un Coordinamento tecnico territoriale  (Ctt) composé des responsables des Sert, des communautés conventionnées, des communes et des volontaires. Celui ci est présidé par le responsable du Dipartimento per le dipendenze pathologiche (Ddp).

L'analyse des politiques et des dispositifs en matière de soin et de prévention de la toxicomanie rend nécessaire la connaissance des milieux professionnels. Les outils thérapeutiques naissent au sein de conflits et de débats qui opposent les intervenants de la toxicomanie. Le système italien se caractérise par une forte opposition entre les intervenants publics et privés. Le système français, à l'inverse, reposait sur un consensus établi entre les professionnels qui a été mis en brèche par le principe de la réduction des risques. C'est dans ce cadre que vont se développer les instruments de prévention de la toxicomanie.

* , p.378

* 734 Steffen M., Les

* Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.120.

735 Fazzi L., Scaglia A., « Les politiques de r

* éorganisation des services », Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, Luca Fazzi, Antonio Scaglia, op.cit., p.206.

736 Ce changement est soutenu par de nombreux acteurs associatifs, en revanche le personnel habitué à penser la toxicomanie comme une pathologie est beaucoup moins disposé à évoluer. C'est pourquoi le législateur a proposé aux opérateurs une stabilisation de leur carrière professionnelle qui n'étaient auparavant que très peu valorisées et promues, en contrepartie d'un nouveau mode de penser et d'agir face à la toxicomanie. La stabilisation des postes, les incitations économiques et la possibilité de carrière auraient des effets de retour significatifs en terme de disponibilité de la part des opérateurs à accepter la responsabilité de penser et à agir de façon multidimensionnelle sur le thème de la protection de la santé dans le champ de la toxicomanie. Fazzi L., Scaglia A., « Les politiques de ré

* organisation des services », art.cit., p.213

* 737 L'évaluation du nombre effectif de toxicomanes, et pas uniquement ceux connus des services de soin, donne lieu à de très larges approximations en raison du statut d'illégalité des consommateurs. Monika Steffen donne par exemple un chiffre d'héroïnomanes potentiel en Italie de 350 000. Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.97.

* 738 Le nombre de toxicomanes pris en charge a fortement augmenté depuis les années quatre-vingt : ils étaient 25 223 en 1984, 73.866 en 1991, 95 674 en 1994 et 116 131 en 1997. Cette croissance exponentielle traduit aussi bien les efforts de prise en charge effectués par les pouvoirs publics, que l'inflations de la toxicomanie elle-même. Osservatorio permanente sul fenomeno droga, 1993, cité in Agnoli Maria Stella, « Il programma delle ricerche sull'efficacia delle strategie di communità », art.cit., p.14.

* 739 Agnoli Maria Stella, « Il programma delle ricerche sull'efficacia delle strategie di communità », Sociologia e ricerca sociale, Anno XV, n°45, 1994, p.13

* 740 Ce déséquilibre en dotation d'infrastructures thérapeutiques se répercute par ailleurs sur la répartition du nombre de toxicomanes pris en charge. Le Nord de l'Italie est largement sur-représentée avec les régions de la Lombardie (14,5% des toxicomanes en traitement), l'Emilie Romagne (10,7%) et le Piémont (10,3%) qui totalisent à elles seules 35,5% des toxicomanes sous traitement. En revanche la région du Sud la plus concernée regroupe seulement 7,6% des toxicomanes. Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.38.

* 741 Piccone Stell

* a S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.85

742 Fazzi L., Scaglia A., « Les politiques de r

* éorganisation des services », art.cit., p.205.

743 Steffen M., Les

* Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.123.

744 En 1988, selon une étude de l'Osservatorio permanente sul fenomeno droga pour le compte du Ministero dell'interno, les structures publiques obtenaient une représentation similaire (58%) aux structures privées (42%). L'évolution est toutefois notable puisque tandis que les structures publiques avaient augmenté de 24% depuis 1984, les structures privées résidentielles et semi-résidentielles avaient augmenté de 119,3% mais plus encore les structures privées non-résidentielles (282,8%). Agnoli Maria Stella, « Il programma delle ricerche sull'efficacia delle strategie di communità », Sociologia e ricerca sociale, Anno XV, n°45, 1994, p.13

* 745 A partir de 1990, des plans de financements publics furent entrepris au bénéfice des communautés privées par le biais du système sanitaire national. Cette politique de «délégation » fut appliquée alors que les services thérapeutiques publics ne faisaient pas l'objet d'une aussi grande générosité de la part de l'Etat. Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.89.

* 746 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.33.

* 747 Les communautés reposent sur une thérapie sociale ou comportementale qui prend place dans un cadre spécifique. Elles proposent ainsi un hébergement, le plus souvent gratuit mais parfois payant. Le programme thérapeutique peut varier entre 18 mois et trois ans. Toutefois certaines communautés proposent également des thérapies de un an voire de six mois. L'étude du fonctionnement des communautés sera traité par la suite.

* 748 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli op

* eratori del servizio pubblico, op.cit., p.118.

749 On peut souligner que la remarque de Gatti n'est peut-être que partiellement exacte du fait de sa forte subjectivité. Riccardo Gatti soutient en effet l'intégration des psychiatres dans le traitement de la toxicomanie, mais surtout il exerce lui-même cette fonction. Cela n'ôte toutefois pas toute validité à son raisonnement. « Les « drogues » sont des substances psychoactives et induisent à cet effet des syndromes mentaux organiques ou des altérations de l'état mental [...] Dans ce travail de connaissance de la personne [le diagnostic] il est important de comprendre si l'altération de l'état mental observable est en relation avec l'effet pharmacologique des substances consommées ou s'il existe d'autres pathologies psychiatriques (indépendantes des substances consommées) qui interviennent sur le sujet et qui doivent être traitées. De plus il faut diagnostiquer si l'altération de l'état mental que l'on observe peut être du à des pathologies organiques secondaires à la toxicomanie [...] Evidemment la thérapie de la toxicomanie n'est pas seulement médicale [...] le médecin peut seulement soigner l'effet organique des substances d'abus ou les pathologies concomitantes et diminuer les syndromes de l'abstinence mais, si ce travail n`est pas réalisé correctement, réussir à intervenir sur un toxicomane devient très difficile. Le diagnostic et l'observation psychiatrique du toxicomane sont indispensables et doivent toujours être réalisées. L'intervention des autres médecins spécialistes est en revanche liée à la situation clinique de chaque sujet singulier et doit être éventuellement adressé au médecin généraliste ». Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operato

* ri del servizio pubblico, op.cit., pp.119-120.

750 Agnoli Maria Stella, « Il programma delle ricerche sull'efficacia delle strategie di communità », art.cit, p.11.

* 751 Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», La cura delle persone con Aids. In

* terventi e contesti culturali , op.cit., p.45.

752 La loi 162 de 1990 établit une convention afin de réguler les rapports entre services publics et privées et établit la nécessité pour les structures privées de communiquer « les résultats obtenus dans les activités de prévention et de récupération » (art.117). Agnoli Maria Stella, « Il programma delle ricerche sull'efficacia delle strategie di communità », art.cit, p.17

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon