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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.3.1.2 La substitution à la française : Subutex® Versus Méthadone

Il existe de nombreuses substances pouvant servir à un traitement de substitution. Parmi toutes celles connues, quatre sont titulaires en France d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l'indication de la substitution et deux se partagent l'essentiel des ventes842(*) : la méthadone (mars 1995) et la buprénorphine haut dosage (BHD, février 1996)842(*). Pourtant en 1998, alors que la méthadone est disponible depuis 1995 et le Subutex® depuis 1996, sur près de 65 000 toxicomanes en traitement de substitution, seulement 7 400 étaient en traitement sous méthadone contre 57 000 pour le Subutex®844(*). Comment rendre compte de cet écart ? Traduit-il une capacité thérapeutique inégale ? Pourquoi la France fait-elle figure d'exception avec le reste de l'Europe qui a massivement développé la méthadone ?

Découverte dans le début des années soixante-dix, la buprénorphine est une molécule de synthèse dérivée de la thébaïne, un des alcaloïdes de l'opium845(*). En tant qu'agoniste partiel des récepteurs, elle produit des effets antalgiques et une tolérance croisée avec les autres opiacés846(*). C'est pourquoi, à la fin des années soixante-dix, à un moment où, outre-atlantique, on commençait à s'interroger sur les risques et les limites d'une prescription massive de méthadone, la buprénorphine est apparue comme une alternative possible à quelques chercheurs qui ont initié des essais cliniques. Le Docteur Jasinski a été le tout premier à faire part d'un essai montrant que la buprénorphine possédait un potentiel thérapeutique réel pour les héroïnomanes, alors que son potentiel d'abus semblait réduit par rapport aux agonistes comme la méthadone847(*). Dans le numéro du 8 février 1980, la revue Science publie un article de l'équipe du département de psychiatrie de Harvard conduite par Nancy K. Mello et J.H. Mendelson dont le titre annonce des conclusions très enthousiastes848(*). Les auteurs affirment au terme de leur recherche :

« La buprénorphine est plus sûre que la méthadone sur deux points : elle n'induit pas de dépendance physique significative et le risque d'overdose est écarté du fait de ses propriétés antagonistes des opiacés. [...] nos résultats basés sur la mesure directe de l'usage d'héroïne chez des dépendants nous permettent de croire que la buprénorphine est un instrument pharmacothérapique sûr et de grande efficacité »

Faute d'approbation de la buprénorphine par la Food and Drug Administration dans une indication de substitution, les premières prescriptions « sur le terrain » ne vont pas se faire aux Etats-Unis mais en Australie et surtout en Europe où le premier article relatant ce type d'expérience sera publié en 1985 par un psychiatre belge, Marc Reisinger849(*). Quelques médecins commencèrent à prescrire des traitements de BHD. Il faut noter qu'il s'agissait alors de prescriptions « sauvages » : le médicament mis sur le marché (le Temgésic) n'avait d'autre indication que le traitement de la douleur et le laboratoire Reckitt & Colmann craignait beaucoup de voir sa molécule déconsidérée si elle devenait un produit « de toxicomane », sans parler de l'hostilité des milieux de spécialistes850(*). Au début des années quatre-vingt-dix, alors que la communauté médicale internationale est hésitante pour pousser au développement de la prescription de buprénorphine dans une visée substitutive des opiacés, c'est en France que la décision administrative et politique va être prise de lancer une présentation à haut dosage.

Un ensemble de médecins et pharmaciens ont commencé à s'organiser depuis le début des années quatre-vingt-dix au sein de réseaux de soins. Ces pratiques, démontrant la faisabilité et l'intérêt de ces traitements en médecine de ville, ont été à l'origine de la demande de l'État au laboratoire Shering-Plough. Les autorités publiques font alors pression sur le laboratoire pharmaceutique détenteur de la molécule en Europe afin qu'il produise une buprénorphine hautement dosée destinée aux toxicomanes. Cela donnera naissance au Subutex®, dont le cadre légal d'utilisation est conçu en 1995. La mise effective sur le marché du Subutex® a lieu en février 1996, quelques mois après qu'une circulaire ministérielle ait mis en place les cadres réglementaires de prescription et de dispensation de la méthadone et de la buprénorphine haut dosage (BHD)851(*). La naissance du Subutex® s'est réalisée dans un temps record.

Ce choix est la résultante de deux facteurs : d'une part la mise en cause des pouvoirs publics dans la politique menée contre le Sida et, d'autre part, la réticence générale des spécialistes en toxicomanie envers les pharmacothérapies de substitution851(*). Considéré comme plus sûr que la méthadone (il n'est d'ailleurs pas classé comme stupéfiant), le Subutex® va être mis à disposition de tous les médecins de façon très souple, alors que la méthadone sera réservée, tout au moins pour la phase initiale du traitement, aux centres spécialisés. Comment rendre compte de ce choix des pouvoirs publics français qui va à l'encontre de la direction adoptée par le reste des pays européens ? Il est nécessaire pour résoudre cette question, d'analyser les caractéristiques de chacune des deux substances.

La méthadone est un antalgique qui reproduit les effets des opiacés ; elle est présentée sous la forme d'un sirop non-injectable. L'usage prolongée de méthadone entraîne un état de dépendance avec l'apparition d'un syndrome de sevrage sévère et les tentatives de réduction doivent se faire de façon très progressive. La méthadone est particulièrement utilisée pour les femmes enceinte du fait qu'elle comporte une moindre toxicité foetale et périnatale par rapport à l'héroïne. La méthadone présente de nombreux avantages thérapeutiques853(*) : une dose suffisante empêche l'apparition d'un syndrome de manque et bloque l'effet de l'héroïne consommée parallèlement ; en prise régulière, l'effet euphorisant de la méthadone est quasi-inexistant et n'entraîne pas de modification de la conscience ou des capacités intellectuelles ; sa prise unique journalière compte tenu de sa demi-vie longue (de 24 à 36 heures en moyenne avec pourtant des variations individuelles importantes) est compatible avec une vie sociale et professionnelle normale. Elle est dépourvue enfin de phénomène de tolérance entraînant une augmentation des posologies au cours d'un traitement durable. Elle entraîne, néanmoins, une dépendance de même type que les autres opiacés. La prescription de méthadone est beaucoup plus stricte que celle de Subutex® (buprénorphine) puisqu'elle est réservée aux médecins exerçant en centre spécialisé de soins aux toxicomanes, pour une durée de 7 jours. Les médecins généralistes sont également réintroduits dans le dispositif spécialisé car ils peuvent suivre des toxicomanes sous méthadone après que ces derniers aient expérimenté le produit pendant quelques mois dans un centre spécialisé854(*).

Le Subutex®, à l'inverse, peut être prescrit par les généralistes en premier traitement pour une durée maximale de vingt-huit jours. La prescription doit se faire sur carnet à souches pour une durée maximale de 28 jours (alors que cette durée était alors de 7 jours pour la méthadone). La posologie recommandée est de 4 à 8 mg par jour (pour la méthadone, la recommandation est de ne pas dépasser 100 mg). La délivrance doit se faire par un pharmacien de ville de façon possiblement fractionnée. Les pouvoirs publics décident en 1999 de supprimer les carnets à souche afin de « banaliser » ces traitements. À l'inverse, devant l'accroissement des cas signalés de détournement du Subutex® et les accidents qui y sont liés, les mêmes pouvoirs publics décideront un peu plus tard, début 2000, de rendre la délivrance en pharmacie obligatoirement hebdomadaire, sauf mention express du médecin sur son ordonnance.

Les ventes de Subutex® en pharmacie depuis sa mise sur le marché ont connu « une croissance rapide et soutenue » ainsi que l'indique l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT). Les estimations seraient de 33 750 personnes sous traitement un an après le début de sa commercialisation, 49 000 deux ans après et près de 60 000, moins de trois après, en décembre 1998855(*). Des estimations plus récentes, de Août 2000856(*), évaluent le nombre de traitements à 157 213. La méthadone va en revanche connaître une évolution beaucoup plus lente, comme on peut l'observer sur le schéma ci-dessous, et l'écart entre les deux traitements va s'accroître : on compte aujourd'hui huit traitements par buprénorphine haut dosage pour un traitement par méthadone857(*). Sur le plan économique, on peut mentionner l'enquête réalisée par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie qui montre que, en 1999, le Subutex® se situait au 14ème rang des 200 produits les plus prescrits et remboursés en France858(*).

Document n°13 : Schéma des ventes des produits de substitution en pharmacie entre 1990 et 2001859(*)

Les retombées économiques des ventes furent énormes pour le laboratoire producteur. Avec un chiffre d'affaires généré par le seul Subutex®, d'un demi-milliard de Francs par an, le laboratoire Shering Plough est devenu un acteur économique puissant dont dépendent de plus en plus d'initiatives dans tous les domaines des toxicomanies (recherches, formations, revues, colloques, actions d'insertion, et même toutes les études évaluatives nationales sur le Subutex®, etc.). Cette concentration pose évidemment le problème du poids, dans la mise en oeuvre d'actions de santé publique en matière de consommation de substances psychoactives, d'intérêts commerciaux de sociétés qui proposent d'autres substances, de surcroît génératrices elles aussi de dépendance. Il est alors légitime de mettre en question les raisons du succès du Subutex® : efficacité thérapeutique ou phénomène économico-politique ? Une enquête, réalisée à la demande de Bernard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, révèle les raisons du succès du Subutex®.860(*) Plus que les particularités pharmacologiques, c'est le cadre d'utilisation et l'image du médicament lui-même qui semble influencer fortement le choix des patients et des prescripteurs.

Les deux médicaments sont tout d'abord dotés d'une symbolique très différente861(*). Pour les patients comme pour un certain nombre de médecins, la méthadone est assimilée à une image de lourdeur institutionnelle, une symbolique de gravité. Ainsi, la méthadone parait avoir eu d'emblée, en France, l'image d'un médicament « de la dernière chance » pour les cas « les plus lourds », les plus « désespérés ». Au contraire, le Subutex® est plutôt perçu dans les milieux d'usagers et parmi les soignants comme le traitement de première intention, plus simple, plus souple, donc destiné a priori à des cas « moins graves ». Les raisons de cette croyance sont multiples et non exhaustives : la méthadone est un opiacé, une classe de médicament qui a longtemps subit des pratiques restrictives dans le traitement de la douleur, stigmates du débat franco-français du début des années 1990 sur les traitements de substitution, focalisés sur la méthadone ; en outre il existait en France une faible « culture méthadone », à l'inverse des Etats-Unis.

De plus, la méthadone est apparue, et est restée, aux yeux de la plupart des médecins généralistes un "médicament de spécialiste" et une marque de défiance à leur égard. Les propos d'un omnipraticien de la région parisienne illustrent bien ce sentiment : « la méthadone c'est pas pour les généralistes, c'est pour l'hôpital. Pourquoi voulez-vous que je prescrive un médicament que je ne dois pas connaître ? »862(*). La méthadone est associée aux centres spécialisés. Le Subutex® semble en revanche plus adapté au cadre du médecin généraliste863(*). Le mode d'emploi des deux produits semblent également être une donnée non négligeable de cette croyance. Le traitement par méthadone implique plusieurs prises journalières. Le Subutex® se présente en revanche dorénavant sous la forme d'un simple cachet, qu'il suffit de prendre une fois par jour864(*).

Enfin les deux substances ont bénéficié de moyens de promotion et de formation bien différents. La méthadone est un enfant de l'Assistance publique ou presque (Pharmacie centrale des Hôpitaux) adoptée successivement par les laboratoires Mayoli-Spindler puis Bouchara-Recordati. La BHD, elle, est diffusée par le très dynamique groupe pharmaceutique Schering-Plough. Les auteurs du rapport sur « L'accès à la méthadone en France » ajoutent alors : « Faut-il, dans ce cas, insister sur la différence des moyens, en hommes et en dollars ? Faut-il insister sur la différence de puissance de promotion et de marketing? ». Le traitement par BHD connaît une sponsorisation auprès des universitaires et des professionnels de la toxicomanie qui lui permet de bénéficier d'un large crédit865(*)865(*). Le combat entre le Subutex® et la méthadone semble alors très inégal, comme le décrivent les auteurs du rapport, non sans ironie :

« Dans le coin gauche, « Iron Méthadone », champion du monde des lourds, short américain vieux de 30 ans, chaussettes françaises toutes neuves, des centaines de milliers de victoire sur les rings professionnels du monde entier, quelques centaines de défaites avant la limite et par KO. Soigneurs : pharmacie centrale des hôpitaux, dit P.C.Hash pour les initiés, assisté de Jo Bouchara, également manager du petit Léo Codion, invaincu pendant 20 ans en hors catégories. Sponsor d'exception depuis 1971 : l'état français. Dans le coin droit, Subutex® dit «Subu l'accessible », tenue élégante sublinguale, plaquette poids plume, jeune espoir mondial faisant ses premiers pas exclusivement pour nous en France, nombreuses victoires chez les amateurs, en poids mouche, sous le nom de Temgésic®. Pas de défaite connue à ce jour (1996), entraîné par le Cher dit « le PLOUG » et une flopée de sparring-partners. Sponsorisé par la sécurité sociale. Déjà promis au top ten des remboursements de médicaments en France »866(*)

Le Subutex® n'est pourtant pas sans présenter d'inconvénients867(*). Il présente tout d'abord une contre-indication d'association qui n'a été mise à jour qu'un an après sa mise sur la marché. Les 6 premiers cas de décès sont publiés en 1997868(*). Leur étude a d'emblée mis en évidence les risques liés à la polyconsommation. La buprénorphine peut être mortelle en association de certains benzodiazépines (le Tranxène et le Rohypnol fréquemment utilisés des toxicomanes) et avec l'alcool869(*). Suite aux premiers cas d'overdose certains journaux ont publié des articles au ton alarmiste qui ont alerté l'opinion publique et une partie du milieu professionnel : « Alerte au Subutex®, médicament mortel,  produit de substitution, il a déjà faits 20 morts »870(*).

En outre, certains ont mentionné ou dénoncé les détournements d'usage de la buprénorphine. L'usage par la voie nasale, bien que remarqué de plus en plus fréquemment en clinique, est encore mal évalué. L'utilisation du Subutex® par des personnes non-héroïnomanes est constatée par différents auteurs, et semble être le fait de jeunes poly-consommateurs (médicaments, alcool, cannabis) rencontrés par les intervenants de rue ou lors de soirées. Le Subutex®, destiné à une absorption sublinguale, est également très fréquemment utilisé par voie parentérale. Il faut rappeler que la buprénorphine n'est accessible jusqu'en 1990 que sous forme injectable, puis sous une forme sublinguale hydrosoluble et facilement injectable, aussi nombre de cliniciens constatent à cette époque l'accroissement des cas de détournements et de toxicomanies graves par injection de ce produit.871(*) Les estimations de départ faisaient état d'un détournement par voie injectable de 12 à 20% environ. Ainsi, l'enquête « PES » avance une part de 44,6% d'injecteurs quotidiens du Subutex® ?parmi ses consommateurs, 78,7% admettant l'injecter « de temps en temps »872(*). Or il apparaît que le Subutex® ?cause une dégradation très rapide du réseau veineux lorsqu'il est injecté, du fait des additifs à la buprénorphine dans la forme disponible. Cet usage intraveineux semble favoriser les polyconsommations intraveineuses873(*)873(*). Enfin, on peut noter qu'il existe un marché noir du Subutex®, notamment en région parisienne, alimenté par les prescriptions multiples ou falsifiées, le troc de substances ou leur revente, le non-respect des posologies indiquées.

Ces dérives s'expliquent avant tout par un manque d'information à la disposition des professionnels sur cette substance lors de sa mise sur le marché. Il n'existe donc aucune étude approfondie, rigoureuse et exhaustive sur ces traitements ni sur leurs résultats tant en termes cliniques que de santé publique. Il est saisissant de voir que, dans la littérature scientifique internationale (anglophone), le nombre d'articles sur la BHD émanant d'auteurs français - les seuls à avoir une expérience clinique in situ de grande échelle - sont infiniment moins nombreux que ceux publiés par des équipes américaines ou anglo-saxonnes en situation expérimentale.

Il existe pourtant des études de suivi des traitements de la substitution, telles que les études SPESUB et SUBTARES, qui établissent l'efficacité du Subutex® ?: près de 69% des patients étaient toujours suivis pour le traitement, 53% par le même médecin un an après le début de leur traitement874(*). Il est cependant nécessaire de souligner que les quelques études menées au niveau national ont toutes été lancées et financées par le laboratoire qui commercialise le Subutex® (étude SPESUB, étude SUBTARES, étude APPROPOS, etc.). Alain Morel remarque d'ailleurs qu'il est difficile d'avoir accès à la méthodologie et aux résultats en dehors des présentations faites par la société Schering Plough dans ses actions marketing.

La situation française en matière de traitements de substitution est en définitive, comme l'a établi un rapport de l'INSERM, particulièrement originale et possède trois caractéristiques874(*) : une ouverture brutale de l'offre de substitution au milieu des années quatre-vingt-dix, une modalité dominante attribuée à la buprénorphine haut dosage plutôt qu'à la méthadone, un rôle majeur soudainement attribué aux médecins généralistes et pharmaciens. En six années, le système de prise en charge des usagers de drogues en France a montré sa capacité à soigner plus de 100 000 personnes avec des médicaments de substitution, soit environ 60 % de la population opio-dépendante estimée875(*)875(*). Cela est d'autant plus remarquable que la France ne disposait pas d'une culture de substitution876(*). Cette évolution a été possible grâce à la collaboration des professionnels de santé avec le système spécialisé, en particulier des médecins généralistes et des pharmaciens . Elle a donné des résultats spectaculaires sur les plans sanitaire, social et économique.

Il apparaît cependant que le choix d'une diffusion massive de la buprénorphine à haut dosage ne répond pas tant à un impératif thérapeutique qu'à un ensemble de facteurs externes qui ont avantagé cette substance par rapport à la méthadone. La propagation du Subutex® est en outre apparue dans un contexte d'urgence pour répondre aux manques du dispositif thérapeutique français en matière de toxicomanie. Les pouvoirs publics ont alors privilégié l'urgence au détriment des mesures de sécurité qui ne furent pas respectées. Le Subutex® ne limite qu'imparfaitement les comportements à risque en raison d'un ensemble d'usages qui mettent en péril la santé du consommateur (associations, usages par injection intraveineuse, etc.) .

Il est aujourd'hui nécessaire, comme le recommande le rapport sur « L'accès à la méthadone en France » de relancer la place de la méthadone au sein du système thérapeutique français. On peut noter à cet égard l'importance d'une circulaire adoptée en janvier 2002 par les pouvoirs publics877(*). Celle ci ouvre la possibilité à tout médecin exerçant en établissement de santé d'initialiser un traitement par la méthadone. Cette disposition, attendue depuis près de deux ans, créé une situation nouvelle et ouvre une deuxième « porte d'entrée » pour accéder à un traitement méthadone par l'intermédiaire des établissements de santé879(*)879(*). La seconde recommandation du groupe d'étude sur les traitements de substitution est la création d'un cadre légal pour d'autres traitements de substitution : sulfates de morphine, dérivés codéinés et opiacés injectables qui ont été trop rapidement écartés de l'arsenal thérapeutique.

Les programmes de substitution ont ouvert une brèche dans le dispositif de traitement des toxicomanes qui se limitait auparavant, d'un point de vue médical, au seul sevrage. Ils témoignent également d'une nouvelle considération de la toxicomanie qui émerge progressivement. La substitution a pendant longtemps été perçue comme le fait de « donner de la drogue aux drogués ». Ce changement est d'autant plus considérable que la substitution n'est pas toujours orientée vers le sevrage, elle peut avoir pour seul objectif de stabiliser le comportement de l'usager de drogues. Aujourd'hui, certains évoquent même la possibilité d'entreprendre des programmes de substitution à vie. La réduction des risques opère un passage d'une logique de répression à une logique de soin. L'introduction, mais surtout le renouveau, des mesures alternatives symbolisent en partie ce passage.

*

* p.48.

842 Idem., p.46

843 Circulaire n° 4 du 11 janvier 1994 et annexe à la circulaire n° 14 du 7 mars 1994, annexe à la circulaire n° 29 du 31 mars 1995.

*

844 Farges F., Hautefeuille M., M., « Les traitements de substitution», in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.cit, pp.217-220.

* 845 Alain Morel, Traitements de substitution à l

* a buprénorphine : l'expérience française, op.cit. p.2.

846 Le phénomène de tolérance croisé signifie qu'un héroïnomane auquel l'on administre des doses de substitution suffisantes ne peut plus ressentir les effets euphorisants de l'héroïne pour un certain nombre d'heures (durée appelée la demi-durée de vie). Cette propriété est commune aussi bien à la méthadone qu'au Subutex ce qui justifient leur usage thérapeutique. Farges F., Hautefeuille M., M., « Les traitements de substitution», art.cit.

* 847 Jasinski D.R. & Al., « Human pharmacology and abuse potential of the analgesic buprenorphine », Archiv

* es of General Psychiatry, 1978, 35; pp.501-516.

848 Cf., Nancy Mello, « La buprénorphine supprime l'usage d'héroïne chez les héroïnodépendants », Revue Science, vol.207, 8 février 1980, cité in Catherine Pequart, « Traitements de substitution par la buprénorphine : évaluations, risques et résultats », in Traitements de substitut

* ion. Histoire, étude, pratique, op.cit., p.80.

849 Reisinger M., « Buprenorphine as a new treatment for heroin dependence

* », Drug Alcohol Dependence, 1985, 16, 257-262.

850 Reisinger M., « Quinze ans de traite

* ment à la buprénorphine », THS La Revue, 1999.

* 851 Circulaire DGS/SP3/95 n°29 du 31 mars 1995.

852 Coppel A., « Les intervenants en toxicomanie, le Sida et la réduction des risques en France », art.cit.,1996.

Morel A., « Histoire et changements des intervenants en toxicomanies en France face aux pharmacothérapies », Lyon méditerranée médic

* al, Médecine du Sud-Est, 1998, n.34, pp.21-24.

853 Touze

* au, Jacques Bouchez, La Méthadone, op.cit.,12p.

854 Cette disposition a fait l'objet récemment d'une nouvelle circulaire qui sera abordée par la suite.

* 855 OFDT, « Usages de drogues et dispositifs publics -indicateurs

* et tendances », Tendances, n°2 septembre 1999.

856 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, Rapport réalisé à la demande de Bern

* ard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, p.5.

857 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et reco

* mmandations, op.cit., 87p.

858 MEDICAM, « les médicaments remboursés par le Régime Général d'Assurance Maladie en 1999 », septemb

* re 2000, Caisse Nationale d'Assurance Maladie.

859 Le schèma suivant est extrait de Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit., p.43.

* 860 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations,

* a op.cit., 87p.

861 Farges F., Hautefeuille M., M., « Les traitements de substitution», art.cit.

* 862 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations,

* aop.cit, 87p.

863 La croyance est elle même liée à la présentation des deux médicaments. La méthadone accumule les handicaps de présentation et de maniabilité : elle est proposée sous une forme de sirop, le sirop est dans des petits flacons en verre (initialement gravé), l'encombrement est maximum tant pour les pharmacies, que pour les centres et pour les patients : les flacons en verre sont dans des boîtes en cartons eux-mêmes rangés selon le dosage dans des cartons différents.

* 864 Pascal Courty note que ce mode de présentation du Subutex peut paradoxalement constituer un obstacle à la thérapie. Pour des patients qui s'injectent quatre à huit fois par jour de l'héroïne, il est extrêmement difficile de faire comprendre qu'un seul comprimé va vous calmer [...] En effet, les patients prennent souvent leurs comprimés en plusieurs prises [...] Cette façon d'agir les maintient dans un état de demi-manque qui n'est pas favorable à leur guérison car ce manque revient les hanter ». Pascal Courty remarque en revanche que du fait qu'il n'implique qu'une prise par jour, le Subutex est plus souple que la méthadone et s'adapt

* e mieux avec un travail régulier. Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit., pp.48-49.

* 865 « Les organisations d'enseignements post-universitaires locaux, les organisations de réunions régionales pour des médecins généralistes, les pharmaciens d'officine et autres professionnels de santé, les congrès nationaux et internationaux, la création de plaquettes d'information, de guidelines ou lignes directrices du traitement par BHD, le développement d'études nationales initiées et (bien) organisées par le groupe pharmaceutique, le soutien à certaines revues sur les addictions ou sur les pathologies associées aux usages et abus de drogues (hépatites par exemple, pathologies pour lesquelles le groupe pharmaceutique a un des deux traitements antiviraux les plus prescrits) sont des exemples, parmi d'autres, qui peuvent expliquer le "déséquilib

* re", le retard d'un traitement sur un autre ». Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit.

866 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit.

* a

867 Il faut ajouter qu'aux inconvénients cités ici de nombreuses questions restent en suspens sur les conséquences d'un traitement par Subutex qu'il est difficile d'évaluer en raison de l'absence de recherche sérieuse sur le sujet. Le Conseil national du sida remarque que tandis que les recherches menées en France et à l'étranger ont démontré, en 1998 et 1999, qu'une part importante des traitements antirétroviraux ont une interaction, in vitro, avec la méthadone, « la situation paraît beaucoup plus imprécise en ce qui concerne le Subutex. Par ailleurs, le laboratoire commercialisant ce traitement n'a pas, semble-t-il, mené les études appropriées ni diffusé de résultats complets sur le sujet ». Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.61.

* 868 Reynaud M. & al., « Utilisation détournée d'une association buprénorphine-benzodiazépine : six d

* écès », La Presse médicale, 1997, n.28, pp.1237-1238.

869 A. Traqui, « intoxications aiguës par traitement substitutif à base de buprénorphine haut dosage, 29 observations- 20 cas mortels », in La Presse médicale, n°27, pp.557-561, étude citée par Catherine Pequart, « Traitements de substitution par la buprénorphine : évalu

* ations, risques et résultats », op.cit., p.86.

870 France Soir, « Alerte au Subutex® , médicament mortel », 28 avril 1998, cité in Anne Copppel, « La réduction des risques en France à l

* a recherche d'un consensus », op.cit., p.270. 

871 Hautefeuille M., « Le Temgésic : nouveau produit, viei

* lle illusion », Interventions, 1991, pp.27-29.

872 France Lert, « Que penser du Subutex® ? », in Villehôpital,

* le bulletin des réseaux, n°18.

* 873 L'utilisation intraveineuse de la buprénorphine semble s'accompagner d'une persistance de consommation d'autres drogues intraveineuses. Ainsi dans une enquête menée sur les patients du Centre de soins spécialisées pour toxicomanes de Clermont Ferrand, 41% des patients traités sous Subutex poursuivaient des consommations par injection (opiacés, BZD, cocaïne, etc.). Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit., p.52.

* 874 Lert F. & al., Evaluer la mise à disposition du Subutex® pour la prise en charge des usagers de drogues. Synthèse rapide de la littérature et des données disponibles et propositions pour un programme de recherche, R

* apport réalisé sous l'égide de l'INSERM, 1998.

* 875 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit.

* r

876 Ce constat doit par ailleurs être relativisé par les fortes inégalités territoriales qui subsistent. En effet, si la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur bénéficie d'un taux de distribution de la méthadone pour 10 000 habitants 2,4 fois plus élevé que la moyenne nationale, et l'Ile-de-France 1,8 fois plus élevé, certaines régions paraissent totalement oubliées. Les Pays de Loire, la Picardie, le Centre, le Limousin sont encore particulièrement défavorisés. Emmanuelli (Julien), Contribution à l'évaluation de la politique de réduction des risques SIAMOIS. Description, analyse et mise en perspective des données de ventes officinales de seringues et de produits de substitution en France de 1996 à 1999. Tome 2 : « Approche détaillée à l'usage des acteurs de terrain», pp. 18 et suivantes.

* 877 Lert F. & al., Evaluer la mise à disposition du Subutex® pour la prise en charge des usagers de drogues, op.cit., p.23

878 C

* irculaire DGS/DHOS 2002/57 du 30 janvier 2002.

* 879 Les auteurs du rapport sur « L'accès à la méthadone en France »  insistaient sur l'importance de nouvelles voies d'accès au méthadone. Il s'agit, selon eux, de mettre en place un accès garanti à la méthadone dans tous les départements, avec le choix pour le patient entre trois portes d'entrée : un « réseau ville » (primo-prescription, dispensation et suivi en ville), un « réseau établissement de santé » ou un « réseau centre spécialisé» (prescription, dispensation et suivi en centre spécialisé). Ces réseaux offriraient une accessibilité, une diversité et une souplesse propices à des passages de l'un à l'autre selon des modalités adaptées aux besoins du patient. Cf., Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., op.cit.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus