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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.3.2 Les mesures alternatives : entre soin et répression

La prise en charge de la toxicomanie a souvent alterné entre la volonté de réprimer les usages de substance (principe répressif) et la nécessité, souvent sécuritaire puis sanitaire, de prendre en charge les toxicomanes (principe médical). La répression et le soin de la toxicomanie sont pourtant deux principes qui semblent inconciliables880(*). Certains pays, guidés par ce double principe, ont mis en place un système de mesures alternatives aux poursuites judiciaires. Celles-ci permettent l'annulation du recours en justice à condition que le toxicomane soit intégré au sein d'un programme thérapeutique. En Europe, rien ne permet d'affirmer que les mesures alternatives sanitaires gagnent du terrain par rapport aux sanctions pénales ou administratives. On observe à l'inverse dans certains pays considérés comme « libéraux » sur le plan pénal (Espagne, Pays-Bas) un durcissement des sanctions pour usage simple alors que l'arsenal juridique intègre les mesures alternatives. Cette tendance apparaît paradoxale alors que les politiques nationales s'orientent de plus en plus vers une approche sanitaire globale, multidimensionnelle et intégrée des usagers de drogues.

La France et l'Italie ont néanmoins accordé très tôt une grande importance au principe des mesures alternatives (au moins en apparence). Ce système a pris le nom en Italie d'affidamento et il constitue depuis 1975 une des principales mesures du dispositif italien de prise en charge des toxicomanes. Il s'opère essentiellement au bénéfice des communautés. Le système français, connu sous le nom « d'injection thérapeutique », resta en revanche l'objet de multiples contradictions et son application présente encore aujourd'hui de nombreux défauts.

1.3.2.1 L'affidamento à l'italienne : une délégation des pouvoirs publics en faveur du secteur privé

Jusqu'aux années soixante-dix, la solution italienne au problème de la drogue était de type répressive-ségrégative881(*). La prison était conçue comme une réponse indifférenciée aux usagers de drogues et aux trafiquants, tandis que les toxicomanes faisaient l'objet de mesures d'internement en hôpitaux psychiatriques. Les premières mesures de peines alternatives à la détention carcérale sont introduites par la loi de réforme pénitentiaire L.354 de 1975. Cette mesure était d'autant plus innovante en 1975, date à laquelle la majorité des pays européens adoptaient des politiques strictement répressives. Il s'agit comme le note Bruno Bertelli d'une première révolution culturelle qui a lieu au sein du milieu carcéral : « Au niveau du système pénitentiaire [...] la loi 354 de 1975 marque la fin de l'unidimensionalité et de l'uniformité de la réponse pénitentiaire. La prison n'est désormais plus conçue comme un conteneur indifférencié de toutes les diverses fautes criminelles, mais comme une forme, parmi tant d'autres, du système sanctionnaire pénal [...] La dichotomie entre le dedans et l'extérieur (prison ou mesures de clémence de type suspensif) est dépassée par la reconnaissance d'institutions et de parcours alternatifs à forte valeur thérapeutique »882(*).

Même si le principe a été établit, l'application reste encore faible en raison d'un manque de directives. La cadre d'application de la loi n'apparaît qu'en 1984, d'abord pour les incarcérations préventives puis pour les peines allant jusqu'à deux ans et demi (1985) puis jusqu'à trois ans (loi 663 de 1986 connue comme loi Gozzini). C'est surtout le texte unique de 1990 (D.P.R. 9 octobre 1990, n.309 T.U) qui donne une importance cruciale au processus de mesures alternatives. Le législateur décrit alors le toxicomane comme un malade devant être soigné et poussé par tous les moyens (même coercitifs) afin d'entreprendre un programme thérapeutique883(*). Les institutions publiques (prisons, tribunaux, services sociaux) ont la possibilité d'envoyer le toxicomane in affidamento, c'est à dire en mise en tutelle, à un service social comme mesure alternative à la réclusion (art.94). Ce régime est applicable pour les peines inférieures à quatre ans et ne peut être utilisé que deux fois pour une même personne. Le toxicomane s'engage à entreprendre et à mener à terme un programme thérapeutique. Cette attribution temporaire aux services sociaux s'accompagne de la suspension provisoire de 5 ans (art.90) de l'exécution de la peine (d'une durée maximale de quatre ans). Celle-ci est classée en cas de réussite du programme thérapeutique entrepris. L'étendue de ces mesures est bien sûr décidée en considération de la gravité des faits imputés au toxicomane. Bruno Bertelli affirme qu'il s'agit d'une « mesure juridique de type clémentiel à travers laquelle apparaît de manière évidente la soumission du principe pénal face à l'objectif thérapeutique »884(*).

Le recours aux mesures alternatives a été massif à partir de 1990. Le nombre de toxicomanes bénéficiant de telles mesures est passé de 2 386 en 1992 (soit 41,9% de l'ensemble des mesures prononcées) à 4 541 en 1994 (soit 38,4%) puis à 5 985 en 1997 (34,2%), ce chiffre est redescendu à 3 746 en 1999 (25,1)885(*). Le nombre de mesures alternatives en faveur des toxicomanes a augmenté rapidement dans la première moitié des années quatre-vingt-dix mais a chuté brusquement en 1997. En revanche, la part des toxicomanes a diminué de façon progressive, ce qui témoigne d `une part que les mesures alternatives constituent un phénomène général au système judiciaire italien, et d'autre part que les toxicomanes ne sont pas les principaux bénéficiaires de ces mesures.

Document 13 : Toxicomanes et alcoolodépendants en mesures alternatives de détention

Source : Ministero della Giutizia- Dipartimento Amministrazione penitenziaria. Extrait de Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », in Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, op.cit., p.152.

La procédure d'affidamento a permis de déléguer un nombre considérable de toxicomanes aux structures de soin leur permettant d'éviter ainsi la prison, facteur de précarisation accrue comme il a été établi auparavant. Plusieurs questions méritent cependant d'être soulevées. Simonetta Piccone Stella remarque par exemple que le toxicomane et la structure thérapeutique se voient tous deux amputés du choix de la décision886(*). L'affidamento prive, selon elle, les toxicomanes de la liberté de se soigner. On peut s'interroger dès lors sur les conséquences du programme thérapeutique entrepris. Aucune étude n'a été réalisée jusqu'à présent pour évaluer les conséquences des mesures alternatives qui restent néanmoins un des principes clef de la prise en charge des toxicomanes en Italie887(*).

Les mesures alternatives à l'incarcération ont pour finalité première d'empêcher une trop forte criminalisation à l'égard des usagers de drogues et de favoriser ainsi leur prise en charge par le système sanitaire. Il a été établi auparavant en quoi le processus répressif est contradictoire avec l'approche sanitaire. On peut pourtant remarquer que face à la multiplication des mesures italiennes de peines alternatives, le nombre de toxicomanes incarcérés est demeuré considérablement élevé. Le flux d'entrée de toxicomanes en prison reste stable depuis 1991 avoisinant 30 000 personnes par an, soit un tiers des entrées totales888(*). Bruno Bertelli note que parmi ceux-ci la part des immigrés a augmenté de façon drastique. Celle-ci est passée de 14% en 1991 à 31,5% en 1998. Il est par conséquent légitime de s'interroger sur les objectifs poursuivis par le système d'affidamento : contrôle social thérapeutique ou décriminalisation de la toxicomanie ? Monika Steffen remarque d'ailleurs que le système de peines alternatives bénéficie essentiellement aux communautés thérapeutiques. Il s'agit pour l'Etat italien de déléguer ainsi une partie de sa fonction de contrôle social aux acteurs de la société civile. Les communautés thérapeutiques et les centres d'accueil privés obtiennent d'ailleurs à ce titre une partie de leur financement du ministère de la Justice et des Sert.

Le système des peines alternatives a été utilisé en Italie comme une des principales réponses face à l'augmentation du nombre de toxicomanes qui a eu lieu à la fin des années quatre-vingt et face aux risques sanitaires encourus. L'affidamento a permis d'ouvrir un nouveau mode de prise en charge. Il s'agit avant tout d'un intermédiaire entre la prison et le dispositif de soin, entre la prohibition et la réduction des risques. Monika Steffen y voit l'élaboration d'une politique d'intégration dont « l'élément stratégique réside dans la construction d'un champ intermédiaire qui n'est ni punitif, ni un simple accès individuel et volontaire aux traitements, mais une modalité d'intervention systématique entre répression et soin »889(*). La validité de cette politique est cependant questionnée d'une part au regard de ses objectifs puisque un tiers des personnes incarcérées sont encore toxicomanes, et d'autre part, en vue du manque de certitudes sur l'efficacité thérapeutique de l'affidamento. L'injection thérapeutique française va répondre à une logique similaire au dispositif italien : il s'agit d'apporter une réponse thérapeutico-répressive au problème de la toxicomanie. Elle sera l'objet d'une utilisation massive au cours des années quatre-vingt-dix à la suite de quoi elle est progressivement remise en question.

* m

880 On a d'ailleurs souligné auparavant les effets pervers induit par cette double orientation.

* 881 Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », in Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, op.cit., p.143.

* 882 Ibid., p.144.

* 883 Ibid., p.142.

* 884 Ibid., p.142.

* 885 Cf. Tableau situé ci-dessous.

* 886 Piccone Stella, Droghe e tossicodipendenza, op.cit.

* 887 Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », in Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, op.cit.,p.157.

* 888 Ministero Giustizia. Dipartimento Amministrazione Penitenziaria. Cité in Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », art.cit., p.151.

* 889 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit, p.121.

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