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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.3.2.2 L'injection thérapeutique française en question

L'idée générale d'une surveillance médicale forcée n'est pas nouvelle en droit français puisque la loi du 30 juin 1838 avait institué le placement psychiatrique890(*) et la loi de 1954 avait mis en place la surveillance sanitaire des alcooliques dangereux pour autrui891(*). Dans tous ces cas, le soin peut être imposé contre la volonté du sujet ou en dehors de la manifestation de sa volonté. L'« injonction thérapeutique » fut affirmée au sein de la loi du 31 décembre 1970. L'expression ne figure cependant pas dans les termes de le loi. L'article L. 628-1 dispose que le procureur de la République pourra enjoindre aux personnes ayant fait un usage illicite de stupéfiants de subir une cure de désintoxication ou de se placer sous « surveillance médicale ». L'expression n'apparaît en elle-même que dans une circulaire du Garde des Sceaux du 17 septembre 1984.

Les conditions du vote de la loi de 1970 ont été analysées dans l'ouvrage de J. Bernat de Celis « Drogues : Consommation interdite. La genèse de la loi de 1970 sur les stupéfiants »892(*): le ministère de la Justice est favorable à la répression de l'usage, les pratiques montrent que les usagers sont de fait déjà déférés à la justice sous les qualifications de détention de stupéfiants, le ministère de la Santé demande une surveillance sanitaire obligatoire. Dans l'esprit de ce dernier la surveillance était conçue comme visant tous les usagers. Or, le texte adopté finalement, en laissant l'obligation de soins à l'appréciation du magistrat, ne poursuivra pas cet objectif de santé publique et de fait un faible nombre d'usagers seront signalés à l'autorité sanitaire. « L'idée générale qui a présidé à l'élaboration de ces différents textes est que le toxicomane doit avant tout être considéré comme un malade et l'usager de substances vénéneuses qui n'est pas encore un drogué, comme un vrai sujet en péril, auquel il faut apporter une protection appropriée »893(*).

La loi de 1970 distingue trois moments du processus pénal où une obligation de soins pourra être imposée à l'usager de stupéfiants, de sorte qu'à chaque stade de la procédure pénale correspond un double traitement judiciaire et sanitaire de l'usager de drogues. Tout d'abord, en amont de la procédure, le Procureur de la république peut choisir de suspendre les poursuites si l'usager accepte de subir « une cure de désintoxication ou de se placer sous surveillance médicale » sous la tutelle de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS)894(*)894(*). Il s'agit ici de l'injonction thérapeutique.

En cours de procédure judiciaire, le juge d'instruction ou le juge pour enfants peut assortir le contrôle judiciaire d'une obligation de soins894(*). Dans ce cas, les poursuites pénales sont engagées et le fait que l'usager se soit soumis à cette obligation ne pourra avoir que des conséquences sur le degré de la peine, par exemple en la réduisant voire en le dispensant de peine. Dans tous les cas, une inscription au casier judiciaire existera.

Enfin, ?lors du prononcé du jugement, la peine peut également être accompagnée d'une obligation de soins895(*), soit parce que l'usager l'a refusée auparavant, soit au contraire pour la prolonger si elle a démarré au titre de l'article précédent. Dans chaque cas, le choix de la mesure reste à la discrétion du magistrat tandis que l'intéressé peut refuser cette alternative, soit à la poursuite, soit à la détention, soit à l'emprisonnement. Depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, la juridiction peut également prononcer un ajournement de la décision avec une obligation particulière896(*). Le Juge de l'Application des Peines peut également ordonner des mesures particulières, dont une obligation de soins, lors d'une libération conditionnelle (art.729 s., CPP).

La loi française de 1970 tente de concilier l'orientation politique sécuritaire avec la volonté d'exercer un contrôle sanitaire sur les toxicomanes897(*). L'injonction thérapeutique est significative du compromis entre les enjeux sanitaires et l'aspect répressif de la loi. Elle présuppose une coopération des autorités judiciaires et sanitaire (DDASS) à qui il incombe de déterminer si l'état de la personne nécessite une cure de désintoxication, une simple surveillance par un médecin ou un suivi dans un centre spécialisé. C'est également l'autorité sanitaire qui effectue le contrôle du traitement.

Mais la position du corps professionnel médical, qui considère que seul un patient venu de sa propre volonté peut suivre un traitement médical ou psychothérapeutique, condamne à l'échec le principe de l'injonction thérapeutique, pierre angulaire de la réglementation des toxicomanies de 1970. Les psychiatres refusent de devenir le bras droit de la justice899(*). Le rapport Pelletier établit que les médecins « ne souhaitent pas se faire, de près ou de loin, les auxiliaires d'un appareil judiciaire qu'ils jugent inadapté au traitement de la toxicomanie »900(*).

On peut distinguer deux phases pour suivre les décisions d'injonction thérapeutiques901(*). La première phase d'application indique un faible recours de 1971 à 1983, qui permettait au début de la période de prendre en charge 352 patients, contre 2 893 en fin de période. Cet effectif est resté assez faible dans les années quatre-vingt ; les financements ont été perçus comme insuffisants pour augmenter l'offre de cures.

* 890 Loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, réformée par la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs cond

* itions d'hospitalisation (JO du 30 juin 1990).

891 Loi n° 54-439 du 15 avril 1954 sur le tra

* itement des alcooliques dangereux pour autrui.

892 Bernat De Celis J., Drogues : Consommation interdite. La genèse de la loi de 1970 sur les

* stupéfiants, Paris, l'Harmattan, 1996, 252 p.

893 Circulaire DGS/1555/MS1 du 28 septembre 1971, cité in Henri Bergeron, L'Etat et la toxicomanie. Histoi

* re d'une singularité française, op.cit., p.27.

* 7

894 Art. L628-1 du Code de la Santé publiqu

* e.

895 . Art.L682-2 du Code de la Santé publi

* que

896 Art. L682-3 du Code de la Santé p

* ublique

897 Art. 132-60 à 66, Nouveau Code Pénal

898 « La loi du 31 décembre 1970 cherche à établir, en ce qui concerne l'usage de stupéfiants, un compromis entre pénalisation et traitement, en associant l'injonction thérapeutique et une sanction pénale » Bisiou Yan, « Le cadre légal français », in La demande sociale de

* drogues, Albert Ogien, Patrick Mignon, op.cit., p.183.

899 L'injonction thérapeutique fut très critiquée des psychiatres qui l'acceptèrent comme la « moins mauvaise réponse » aux peurs collectives que suscitait la drogue. Anne Coppel, « De la Clinique à la santé publique : traitement et réduction des risques », in La demande sociale de drogues,

* 900 Monique Pelletier, Rapport de la mission d'étude sur l'ensemble des problèmes de la drogue,

* aop.cit., p.109.

901 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une ref

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon