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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.3 Les acteurs marginalisés du champ de la toxicomanie

2.3.1 L'émergence du dispositif de droit commun

Les systèmes législatifs italien et français prévoient un ensemble de dispositions spécifiques concernant l'obligation de soins aux « toxicomanes ». Elle établissant un statut d'exception de la prise en charge médicale. Le système socio-sanitaire de droit commun (les établissements hospitaliers, les établissements pénitentiaires et la médecine de ville) fut pendant longtemps écarté du dispositif de soin de la toxicomanie1038(*). Aujourd'hui, la situation a grandement changé, et ce dispositif participe de plus en plus à la prise en charge des addictions, notamment pour ce qui concerne les héroïnomanies. L'épidémie de Sida et le développement des traitements de substitution sont les principaux moteurs de ce changement.

2.3.1.1 Les carences du système hospitalier et pénitentiaire

L'hôpital est apparu très tôt comme le lieu idéal du soin de la toxicomanie. En effet, la cure de sevrage permettant la désintoxication peut prendre place au sein du milieu hospitalier qui présente de nombreux avantages. Toutefois la relation entre le toxicomane et la structure hospitalière est une relation de rejet réciproque1039(*). Les toxicomanes sont très réfractaires à une institution qui est souvent trop rigide pour leur fournir une écoute suffisante. De même, les toxicomanes ont un comportement trop déviant et réfractaires aux normes et sont trop peu disposés à entamer une relation thérapeutique suivie. Ces blocages se traduisent par une faible place de la structure hospitalière dans la prise en charge des toxicomanies.

Le dispositif de soin français est très significatif de cette sous-médicalisation du traitement des toxicomanes. Les médecins hospitaliers se sont désengagés face à la toxicomanie estimant que cela ne relevait pas de leur compétence mais d'institutions spécialisées Ceci aussi bien dans le système de médecine générale que pour la psychiatrie. La présence d'un toxicomane en service hospitalier s'accompagne le plus souvent soit d'une absence de considération, soit d'un sevrage sec forcé, soit d'un traitement de substitution de courte durée. Dans les trois cas, le traitement du toxicomane ne s'apparente pas à une prise en charge globale du patient à long terme. Les toxicomanes sont souvent contraints à abandonner le programme thérapeutique face à la rigidité du contrat de soin.

Il apparaît ainsi très difficile d'entreprendre un programme thérapeutique de longue durée au sein d'un service hospitalier1040(*). Une solution envisagée afin de ne pas concentrer tous les toxicomanes dans un même service, que ce soit somatique ou psychiatrique, fut de créer des « équipes de coordination et d'intervention auprès des malades usagers de drogue » (ECIMUD) composées d'un médecin, d'un psychologue, d'un assistant social et d'un infirmier et qui se déplacent d'un patient à un autre dans le suivi de programmes de substitution par exemple. Ces équipes de liaison en toxicomanie ont été conçues à la suite de la circulaire du 3/04/96, qui destinait une enveloppe de 47 MF pour les nouveaux projets hospitaliers1041(*). Fin 1999, il en existait 69 sur le territoire national. En 2000, une enveloppe supplémentaire de 38 MF a été mise à disposition pour la création ou le renforcement de ces équipes de liaison intra-hospitalières.

La création de réseaux « Ville-Hôpital-Toxicomanie » date également de 1996. Il s'agit de structures en charge d'assurer le liaison et la continuité des soins entre les différents acteurs de la prise en charge : services psychiatriques, services hospitaliers somatiques, médecins généralistes, pharmaciens, centres spécialisés en toxicomanie et services sociaux. Ces réseaux instaurent des stratégies destinées à substituer aux logiques d'intervention parallèles et parfois contradictoires, une logique de partenariat. Leur nombre est aujourd'hui de 67, répartis sur l'ensemble du territoire national. Désormais, une collaboration efficace s'est instaurée entre les centres de soins spécialisés et les services hospitaliers qui permette des prises en charge plus cohérentes et complètes1042(*).

Les pouvoirs publics semblent privilégier depuis peu le rôle de l'hôpital dans la prise en charge de la toxicomanie1043(*). Le milieu hospitalier présente en effet de nombreux avantages qui ne doivent pas être sous-estimés. L'hôpital ne doit pas être considéré comme un lieu clos mais doit participer à l'élaboration d'un réseau de soin de la toxicomanie. Ce réseau de prise en charge passe de façon nécessaire par l'institution pénitentiaire1044(*). On a pu remarquer l'importance de la part des toxicomanes parmi les personnes incarcérées, notamment en Italie où elle atteint1/3 de l'ensemble des détenus1045(*). Les dispositifs sanitaires et carcéraux italiens et français ont ignoré jusqu'à la fin des années quatre-vingt le soin des toxicomanes. Le problème était résolu par le biais des peines alternatives telle que l'affidamento ou l'injection thérapeutique qui permettait de déléguer la prise en charge de certains toxicomanes au système de soin spécialisé (cas français) ou aux communautés thérapeutiques (cas italien). Les risques sanitaires ont imposé un recours massif à ces mesures au cours des années quatre-vingt-dix. En 1997, 5 985 toxicomanes italiens bénéficiaient d'une mesure alternative tandis qu'à la même date 8 052 toxicomanes français étaient sous le régime de l'injection thérapeutique1046(*). Le besoin d'une prise en charge sanitaire au sein des prison est cependant apparu comme nécessaire.

La prise en charge des conduites addictives des personnes détenues a longtemps reposé dans le milieu carcéral français sur l'équipe de secteur psychiatrique qui intervient dans l'établissement pénitentiaire (les Services Médico-psychologiques Régionaux ou SMPR)1047(*). A ce service est venue s'ajouter une unité hospitalière implantée dans l'établissement et dépendant de l'hôpital le plus proche : les Unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA). La France s'est toutefois dotée d'un système spécifique dès la fin des années quatre-vingt1048(*). Des « antennes-toxicomanies », devenus « centres de soins spécialisés en toxicomanie » en 1992, ont été mis en place en 1987. Celles-ci sont rattachées aux SMPR et prennent en charge les personnes toxicomanes dans chaque établissement. Elles sont actuellement au nombre de 16. Les antennes toxicomanies comportent de nombreux instruments thérapeutiques à leur disposition. La prise en charge varie considérablement d'une prison ou d'un service à un autre. Celle-ci va de l'accompagnement individuel aux groupes de parole à la relaxation. L'accès aux traitements de substitution s'est développé depuis quelques années de manière considérable. Enfin, des « unités pour sortants » ont été mises en place pour favoriser la réinsertion sociale des toxicomanes. Les auteurs du rapport ministériel sur « L'accès à la méthadone en France » s'inquiètent cependant des pratiques thérapeutiques observées au sein des prisons françaises qui ne répondent pas toujours aux normes professionnelles.

« On constate que, dans de nombreuses maisons d'arrêt et dans de nombreuses maisons de détention, de trop nombreux médecins demeurent hostiles à toute méthode de traitement de la dépendance autre que le sevrage, pour des raisons fondées sur un parti-pris idéologique, plutôt que sur l'observation clinique et scientifique. C'est ainsi que, selon le lieu d'hébergement carcéral, d'une prison à l'autre ou d'un bâtiment à l'autre au sein de la même prison, les traitements appliqués sont très divers. Souvent encore, on voit imposer un sevrage de la méthadone ou de la B.H.D., médicaments ramenés par certains médecins au rang de d'une drogue identique à l'héroïne. Niant tout intérêt thérapeutique aux médicaments de substitution, on sèvre de tout opiacé des personnes dépendantes des opiacés, et on fait encore dramatiquement appel à des doses historiques de benzodiazépines, en détournant ainsi ces médicaments hors des indications retenues dans leurs AMM »1049(*)

Le dispositif de traitement des usagers de drogues incarcérés a considérablement évolué au cours des dernières années. Il demeure cependant trop centré sur le monde de la prison et requiert une majeure ouverture en faveur des autres acteurs du système de santé. C'est dans ce sens que le Conseil national du sida recommandait au législateur dans son rapport remis en juin 2001 que soit mis en place « une disposition visant à permettre le recours à un praticien extérieur, notamment pour la prise en charge au moyen de médicaments de substitution, pour tout usager incarcéré à qui des soins seraient refusés ou confronté à la rupture des traitements qu'il suit »1050(*).

Le législateur italien a fait le choix de requalifier le personnel de l'administration pénitentiaire en 1990 (loi 162/90, art.36)1051(*) afin de mieux répondre aux exigences de prévention et de soin. Une prise en charge globale a été mise en place. Elle repose, d'une part, sur l'intervention des Sert en milieu carcéral qui demeure toutefois assez faible, comme il a été établi auparavant, en raison d'un ensemble de réticences aussi bien de l'institution carcérale que des opérateurs du service public. Le législateur a, d'autre part, prévu la création « d'institution à garde atténuée pour le traitement des toxicomanes » et de services de toxicomanies au sein de certaines prisons1052(*). Ce processus répond à une logique de « circuits différenciés » afin de reconnaître les besoins spécifiques de la population toxicomane. La réalisation de ces structures est cependant très insuffisante1053(*). Les interventions demeurent fortement marquées d'une dimension répressive et « paralysante ».

Les systèmes carcéraux français et italiens ont développé un double circuit de prise en charge. Ils reposent, d'une part, sur l'intervention d'acteurs extérieurs au domaine carcéral qui effectuent un suivi des toxicomanes selon le modèle du réseau de santé. Leur présence reste cependant faible pour des raisons culturelles. Les prisons ont mis en place, d'autre part, des structures de soin internes qui effectuent une prise en charge médicale (traitements de substitution) des toxicomanes incarcérés. Une question apparaît dès lors : quelle valeur thérapeutique peut-on attribuer à l`institution carcérale ? Celle-ci part d'un principe contraire à la logique de soin. La prison c'est avant tout le lieu d'expiation de la faute1054(*). Le principal obstacle au rôle thérapeutique de la prison est d'ordre culturel. Comme le rappelle Massimo Barra : « L'esprit d'un service est donné par ceux qui le gèrent. Il ne suffit pas de mettre en place des intervenants conventionnés pour modifier une culture et une routine qui a de façon traditionnelle d'autres priorités »1055(*). La prison n'est pas en soi une institution thérapeutique. En revanche, elle a un rôle important, comme l'affirme Bruno Bertelli, dans l'établissement d'un réseau et d'une chaîne thérapeutique. Encore faut-il pour cela que la prison ouvre ses portes à d'autres intervenants mais, surtout, à une véritable culture de la réduction des risques.

« Elle [la prison] peut, en revanche, devenir le lieu dans lequel, conjointement au condamné, est développé un projet et vient préparé un parcours thérapeutique et, de façon plus générale, sont jetées les bases, ou tout du moins les stimulants et les opportunités, pour entreprendre un parcours de réhabilitation sociale. Il est par conséquent nécessaire d'investir ce lieu, soi par le renforcement des professions, soi par le renforcement des contenus, soi encore dans l'implication de nouvelles ressources (internes, externes, de service, relationnelles, financières, etc.) [...] Il est impensable qu'il soit suffisant de contenir les pathologies par des actions de contrôle social ou de réduire le « risque social » produit du délit par des actions d'endiguement et de gardé temporaire »1056(*).

* 1038 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit., 87p.

* 1039 Farges F., Hautefeuille M., M., « Le toxicomane à l'hôpital » in Angel P., Richard D., Valleur., Toxicomanies, op.cit, pp.191-194

* 1040 Ibid, p.192

* 1041 ibid., pp.191-194

* 1042 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, Rapport réalisé à la demande de Bernard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, 87p.

* 1043 A ce propos, la circulaire DHOS/02 - DGS/SDB 2000/460 du 8 septembre 2000 relative à l'organisation des soins hospitaliers pour les personnes ayant des pratiques addictives prévoit un effort budgétaire de 38 millions de francs.

* 1044 Le milieu carcéral a déjà fait auparavant l'objet d'une réflexion notamment du point de vue de l'existence de pratiques à risques. Il s'agit en revanche de questionner ici le rôle thérapeutique de la prison.

* 1045 Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », in Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, op.cit., p.135.

* 1046 Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », ibid., p.152 ; Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit.

* 1047 Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit.

* 1048 Angel P., «Toxicomanes incarcérés», in Toxicomanies, op.cit., pp.262-264.

* 1049 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, Rapport réalisé à la demande de Bernard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, 87p.

* 1050 Conseil national du Sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.93.

* 1051 Bertelli Bruno, « Le politiche penitenziarie », ibid., p.155.

* 1052 Ibid., p.156.

* 1053 Leone B., Migliore A., La comunità dentro il carcere, Angeli, Milano, 1999.

* 1054 Bertelli Bruno, « Le politiche penitenziarie », ibid., p.162.

* 1055 Barra M., «Il tossicodipendente, il carcere e le sue alternative», in Bion, DAP, 163, 1997;

* 1056 Bertelli Bruno, « Le politiche penintenziarie », ibid., p.163.

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