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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.3.1.2 Le dispositif de médecine de ville

Les système de médecine de ville a pendant longtemps été exclu du soin de la toxicomanie. La « pathologie toxicomaniaque » a conduit à la constitution d'un ensemble de structures spécialisées aussi bien en France, qu'en Italie. Les médecins généralistes ont été exclus de la prise en charge de la toxicomanie à l'inverse du système anglais qui prévoyait une libre prescription d'héroïne puis de méthadone par les médecins de famille. Le système italien a pourtant ouvert la possibilité d'un traitement de substitution par méthadone suivi par les médecins généralistes. Celui-ci fut toutefois très peu utilisé et la majeure partie des traitements de substitution ont lieu au sein des services spécialisés. Le système français prévoyait une première substitution par Subutex pour les généralistes, tandis que la méthadone est longtemps restée l'exclusivité des centres spécialisés et du milieu hospitalier. Là aussi les médecins généralistes eurent très faiblement recours aux traitements de substitution qu'ils réservaient aux professionnels de la toxicomanie.

Les médecins généralistes, aussi bien en France, qu'en Italie, paraissent faiblement mobilisés en matière de toxicomanie. Les études françaises (Cf. EVAL1999-20011057(*)) situent généralement la part de médecins prenant en charge des toxicomanes entre 15 et 30%, mais seulement 2 à 5% ont recours aux traitements de substitution1058(*). Le mouvement semble présenter des difficultés à s'étendre au-delà d'une minorité de militants et de convaincus. La propension des médecins à travailler en réseau semble également très limitée. Au total, 15% seulement des patients interrogés disent avoir reçu la proposition par un médecin d'une aide apportée par un autre intervenant. Le pharmacien se trouve en revanche plus engagé au sein du dispositif de prise en charge. En 1998, l'enquête IMR a confirmé le haut niveau d'implication des pharmaciens d'officine puisque près de 60% déclaraient délivrer des traitements de substitution. Le niveau d'implication général reste cependant très inégal1059(*). D'après le bilan (décembre 2001) des comités de suivi de l'exercice 1999, 14% des médecins sont impliqués, de 2 à 46% selon les départements, 30% des pharmaciens avec des écarts de 2 à 100%.

La place des médecins généralistes dans la prise en charge des toxicomanes est pourtant décisive. La diffusion actuelle de la toxicomanie appelle des réponses de proximité1060(*). La moitié des usagers de drogue ne prennent pas contact ou trop tardivement avec le dispositif spécialisé. Les généralistes, par leurs permanences, stabilité et disponibilité, leur diffusion géographique, les possibilités administratives de remboursement de soins, leur caractère non spécialisé, leur connaissance du milieu familial et leurs réseaux de partenaires (pharmaciens, spécialistes, hôpitaux...), ont une base structurelle pouvant compléter utilement le dispositif spécialisé.

Surmontant ces réticences et ces difficultés un petit nombre de généralistes a développé puis formalisé une pratique coordonnée au sein de la profession et auprès du dispositif spécialisé en prenant une structure de réseau ; ils ont ainsi renforcé mais également ouvert de nouvelles possibilités de prises en charge1061(*). Ces travaux communs ont mieux permis d'aborder les sevrages ambulatoires. En effet, ils ont par exemple montré récemment que beaucoup de situations sont tout à fait compatibles avec un sevrage au domicile. En ce domaine, d'autres voies sont explorées actuellement. Par exemple, la vente des seringues ou du Néocodion° à un toxicomane devrait être l'occasion d'une orientation ou d'une articulation entre le pharmacien et le médecin de proximité. Comment dès lors rendre compte des réticences témoignées par le réseau de médecine de ville ?

Une forte contrainte restreignant l'accueil des usagers tient à la violence fréquente développée au cours de la prise en charge, et à la complexité de leurs relations avec les praticiens1062(*). La relation entre médecin et usager de drogue, même sans conflit, s'engage en outre bien souvent sur une série de quiproquos relatifs aux motivations du patient, induits notamment par les difficultés sanitaires et sociales auxquelles ces derniers sont soumis. La nature même des soins à apporter est sujette à une réévaluation constante et à des négociations. Enfin, certains praticiens, pour des raisons morales, éthiques ou par anticipation d'un mauvais suivi des prescriptions de la part des usagers de drogue en général, refusent tout simplement les prises en charge ou se bornent à répondre à une demande de substitution sans envisager l'ensemble des problèmes somatiques rencontrés (en particulier liés au VIH). Les rares médecins prescripteurs rencontrent également de nombreux obstacles posées par la législation qui constitue un obstacle à leur libre exercice.

Un exemple récent est particulièrement significatif. Il s'agit de la mise en cause d'un médecin prescripteur de médicaments de substitution dans le cadre d'une affaire d'infraction à la législation sur les stupéfiants fondée sur ses pratiques médicales1063(*). Médecin généraliste, cette femme, très engagée dans les soins aux usagers de drogues et dans la prise en charge du VIH, a été mise en examen pour « facilitation d'usage de stupéfiants » au motif d'une prescription jugée abusive de Subutex, dont le principe actif (la buprénorphine) ne figure pas au tableau des stupéfiants. Placée sous contrôle judiciaire par le tribunal de Nemours, elle a été temporairement interdite de toute pratique de prise en charge impliquant des médicaments de substitution ou autres produits psychoactifs (tranquillisants, somnifères, antidépresseurs). Les dossiers médicaux de ses patients ont été saisis. Si les poursuites et l'interdiction partielle d'exercer ont depuis été annulées, ces derniers sont restés pour un temps injustifié dans les mains de la justice compromettant ainsi les principes d'anonymat et de secret professionnel1064(*).

Une telle initiative n'est pas isolée ; plus récemment, un médecin parisien prescripteur de Subutex a lui aussi été mis en examen par un juge d'instruction pour « incitation à l'usage de stupéfiants et mise en danger de la vie d'autrui » et sa pratique professionnelle a été soumise au même type de contrôle judiciaire. Touchant ici les médecins prescripteurs, ces difficultés sont également rencontrées par certains pharmaciens, puisqu'ils remplissent une fonction de «gardiens des toxiques », et se trouvent pris entre les usagers, les médecins et la loi, au coeur d'injonctions parfois paradoxales. Des procédures judiciaires à leur encontre, pour des faits de délivrance de médicaments de substitution, sont également régulièrement entamées.

Le problème réside enfin selon Pascal Coutry dans le manque de formation des médecins généralistes qui sont habilités à prescrire des traitements de substitution et notamment le Subutex « sans avoir reçu au préalable une formation ou sans être inscrit dans une pratique de réseau »1065(*). Les médecins ne perçoivent souvent pas le rôle dont ils sont porteurs et attribuent la prescription de traitements de substitution aux spécialistes de la toxicomanie.

« Le peu d'intérêt porté aux soins du toxicomane par l'université fait que beaucoup de praticiens n'ont aucune connaissance de la prise en charge des usagers de drogue. C'est certainement une des raisons principales du détournement de ce produit. Mal connu des prescripteurs, mal prescrit, non accompagné par un suivi socio-éducatif, le Subutex devient l'objet de détournement et de mésusage »1066(*)

De nombreux rapports mettent en avant l'importance du réseau de médecine de ville dans la prise en charge des toxicomanes, notamment par le biais des traitements de substitution1067(*). Le médecin généraliste est en mesure d'une part de préciser la situation du patient au regard de sa toxicomanie (type de produit, ancienneté de la consommation, niveau d'addiction) et d'évaluer d'autre part son état de santé, notamment les problèmes infectieux1068(*). Le pharmacien assure également une place dans la constitution de ce que Pascal Courty appelle un « réseau de substitution »1069(*). La prise en charge du toxicomane ne peut être conçue que dans le cadre d'une collaboration entre le médecin généraliste, le pharmacien et le secteur spécialisé. Gagnon affirme ainsi que « la qualité du triangle relationnel patient-médecin-pharmacien » constitue une condition à la bonne prise en charge du patient »1070(*)1070(*) .

« Pour notre part, nous indiquons toujours sur l'ordonnance le nom du pharmacien de référence qui assurera la distribution du produit [de substitution]. Ce pharmacien est toujours désigné par le patient. Cela permet de former autour de l'usager un véritable réseau que nous pourrions appeler un réseau de substitution, car il se substitue effectivement au réseau de dealers et d'autres usagers antérieurement constitué ». Il ajoute que « outre le dialogue entre l'usager et son, prescripteur, il est capital qu'il y est des liens fréquent entre le médecin et le pharmacien qui s'occupe du même patient » 1071(*).

On peut remarquer que de nombreux progrès ont été réalisés dans cette direction récemment. La circulaire du 30 janvier 20021072(*) a ouvert la possibilité à tout médecin exerçant en établissement de santé d'engager un traitement par la méthadone. Cette disposition, attendue depuis près de deux ans, créé une situation nouvelle et ouvre une deuxième « porte d'entrée » pour accéder à un traitement de méthadone par l'intermédiaire des établissements de santé. Cette décision laisse présager une amélioration du réseau de prise en charge. Le Conseil national du Sida prend acte dans son rapport de juin 2001 des améliorations réalisées en la matière. Il établit également la nécessité de mettre fin au régime d'exception de la prise en charge de la toxicomanie, et notamment de l'injonction thérapeutique. Il s'agit de réinscrire la toxicomanie dans le système de santé de droit commun et de réaffirmer le rôle joué par le dispositif de médecine de ville.

« Aujourd'hui, la situation a grandement changé, et nombreuses sont les personnes qui s'adressent à la médecine de ville ou à la médecine hospitalière pour le traitement de leur addiction. Le développement des traitements de substitution est un des principaux moteurs de ce changement. Cette évolution est incontestablement favorable à l'amélioration des soins des usagers de substances psychoactives, ne serait-ce que par la pluralité des aides et par la diminution des attitudes discriminatoires qu'elle rend possible. Pour continuer dans ce sens, il apparaît nécessaire de décloisonner encore les divers secteurs et dispositifs concernés. Cette évolution passe par l'actualisation des modes d'organisation et de réglementation en vigueur. Elle nécessite la révision de la législation d'exception que constitue la loi de 1970 »1073(*)

« Cette initiative doit conduire à la refonte des livres 3 (« alcoolisme ») et 4 (« toxicomanie ») de la troisième partie du Code de la santé publique (« Lutte contre les maladies et les dépendances »). L'organisation légale de la prise en charge sanitaire a vocation à être énoncée dans les mêmes termes pour l'ensemble des dépendances aux drogues, quelle que soit leur statut légal, dans la mesure où il s'agit ici clairement de problèmes de santé similaires. Il n'appartient pas à l'autorité judiciaire d'intervenir sur l'aspect médical de la prise en charge de la dépendance considérée d'un individu »1074(*)

Le réseau de santé de droit commun a pendant été longtemps marginalisé de la prise en charge des toxicomanes, aussi bien en raison des réticences présentées par les praticiens que par une orientation favorable à la constitution d'un système spécialisé. La multiplication des risques sanitaires encourus par les toxicomanes a cependant rendu nécessaire un rééquilibrage au profit du système hospitalier et du dispositif de médecine de ville. A la logique de concurrence entre acteurs s'est substituée, notamment en France mais de façon bien moindre en Italie, une logique de partenariat. Il s'agit désormais d'établir un réseau afin de faciliter une prise en charge globale du patient. Le milieu carcéral reste toutefois une exception dans le système de prise en charge des toxicomanes en raison d'un ensemble de réticences d'ordre idéologiques et culturelles.

Le dispositif de soin de la toxicomanie est progressivement passé d'un système clos, dans lequel seuls les acteurs les plus spécialisés étaient légitimes, à un réseau ouvert dans lequel interviennent une pluralité d'acteurs divers dans une logique de partenariat. Les critères de légitimité d'intervention dans le champ de la toxicomanie ont été réévalués à l'aune de la nouvelle configuration. Des ressources et des modes d'expertise innovants ont été développé afin de mieux répondre aux urgences sanitaires et sociales vis-à-vis desquelles le dispositif spécialisé demeurait impuissant. C'est par ce biais que de nouveaux protagonistes, auparavant inexistants ou presque, ont progressivement émergé au cours des années quatre-vingt-dix.

2.3.2 L'émergence de nouveaux protagonistes

* 1057 Clauzet, Coqus, Binder, « Médecins Généralistes et Toxicomanies, qu'en attendre? », op.cit.,12p

* 1058 Seyer D. & al., « Traitement de substitution par buprénorphine haut-dosage : les recommandations sont-elles suivies ? », Thérapie, 1998, 53 ; 349- 354.

* 1059 Clauzet, Coqus, Binder, « Médecins Généralistes et Toxicomanies, qu'en attendre? », op.cit , 12p

* 1060 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.66.

* 1061 L'homme J.P., « Consultation du toxicomane en ville : le rôle du médecin généraliste », in Angel P., Richard D.,Valleur., Toxicomanies, Paris, Masson, 2000, pp.221-223.

* 1062 Lalande (Aude), Grelet (Stany), Pratiques de la substitution en ville. Suivi de patients usagers de drogues en médecine générale, approche qualitative, EPID 92 - ARES 92, 1999. 129 p.

Jauffret (Marie), « Les médecins généralistes et la prise en charge des usagers de drogues », SWAPS, n° 11, février-mars 1999, pp. 7-8.

* 1063 Murat (Guillaume), « L'affaire Labarre », Interdépendances, n° 35, octobre-décembre.1999, pp. 6-10.

* 1064 Prieur (Cécile), « Le traitement des héroïnomanes mis en cause par une décision de justice », Le Monde,

* mardi 27 juillet 1999, p. 8.

1065 Courty

* P., Le travail avec les usagers de drogues, op.cit., p.53

1066 Court

* y P., Le travail avec les usagers de drogues, op.cit., p.50

1067 « Le Conseil national du sida constate la persistance de résistances à l'accueil de l'usager de drogues par un nombre important de médecins généralistes, ce qui conduit à restreindre localement l'éventail de solutions thérapeutiques offertes aux usagers pour minimiser les risques induits par leur consommation ou pour y mettre fin » Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.69

* 1068 L'homme J.P., « Consultation du toxicomane en ville : le rôle du médecin généraliste »

* , ar.cit.

1069 C

* ourty P., Le travail avec les usagers de drogues, op.cit.,

* 1070 Gagnon A. et al., « Substitution des opiacés : place et rôle des réseaux. Analyse d'une enquête auprès des médecins généralistes », Rev. Prat. Médecins Général

* istes,2000, 509, pp.1627-1635

1071 C

* ourty P., Le travail avec les usagers de drogues, op.cit.,

1072 circulaire DGS/DHOS 2002/57 du 30 janvier 2002

* 1073 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit.

* s

1074 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.105.

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